Eric Antoine © Julien Felix
Né en 1974, Eric Antoine est un fervent défenseur de la photographie ancienne et de ses procédés qui en font des œuvres à part. Sa série « ensemble seul » sera présentée à la galerie Laurence Esnol à Paris du 18 octobre au 30 novembre prochain. Rencontre avec l'artiste.
Pouvez-vous me raconter votre parcours ?
Je suis photographe autodidacte, j'ai toujours expérimenté avec la photographie argentique et passé de longues heures dans mon laboratoire. J'ai travaillé par passion, pendant 15 ans pour des magazines internationaux de skateboard. Ce milieu très créatif et avant-gardiste m'a laissé publier des photos "expérimentales" sans me forcer au numérique et j'ai toujours poussé plus loin mes images.
Il y a bientôt 5 ans, j'ai commencé à m’intéresser de plus près aux procédés anciens et je me suis concentré sur le collodion humide pour une série de photo très personnelle qui a donné naissance à "ensemble seul". Cela coïncide avec un tournant dans ma vie à partir duquel je me suis focalisé sur mon activité artistique.
© Eric Antoine
© Eric Antoine
Pourquoi la photographie ?
Rien de bien original, j'ai commencé la photographie pour le souvenir, mon manque de mémoire m'a naturellement amené à prendre des photos de mes amis et voyages. J'ai abordé beaucoup de domaines de la photographie, je suis curieux et j'aime en apprendre toutes les facettes. Je collectionne aussi beaucoup d'appareils de formats différents et leur évolution m’intéresse énormément. De par mon activité, j'ai besoin de bien connaitre le matériel du 19 eme siècle ou début 20eme, j'ai appris à le bricoler et à accepter ses défauts.
Même si ça peut paraitre un peu évident, je vis de manière fusionnelle avec la photographie, et je ne l'ai jamais considérée comme une activité professionnelle.
Quels sont les artistes qui vous ont influencé ?
Je ne pense pas être très influençable et mes inspirations sont plutôt dans le cinéma et la peinture classique que dans la photographie, je regarde peu ce qui se fait. Bien entendu, je suis plein d'admiration pour les pionniers de la photographie moderne comme Gustave le Gray et ses contemporains et l'histoire de la photographie me fascine sans pour autant faire de moi un nostalgique. Je m'en défends. J'ai beaucoup d'albums de photographies familiales du début 20eme et je pense que ces images ont eu une influence sur moi ces dernières années. J'aime étudier les peintres classiques Français et Flamands, je m’intéresse beaucoup au nu et à la nature morte, et je pense que ça transpire sur ma photographie. Sans qu'il m'influence, je travaille beaucoup avec mon ami photographe Julien Felix qui a les même centres d’intérêts que moi, et l'on s'entraide pour les nombreux soucis techniques de ce procédé laborieux.
© Eric Antoine
© Eric Antoine
Pouvez-vous nous expliquer votre série « ensemble seul » ?
"ensemble seul" est la série d'images que j'ai commencé il y a 3 ans. Elle est née d'un besoin de retour à la simplicité, une fuite loin du sensationnel et de l'approximation. J'ai perdu mon épouse de la maladie et j'ai décidé de ne plus voyager, ne plus chercher ailleurs le plaisir ou l'image mais de rester dans notre maison, à la campagne, et de concentrer mon oeuvre sur ce lieu. Il en résulte une soixantaine de photographies dans lesquelles je cherche à faire ressentir l'absence, l'isolation, le retour sur soi et la fuite du temps. J'utilise un procédé ancien avec des cadrages modernes, je ne cherche pas à singer le passé et je veux mes images simples et intemporelles, loin du déluge numérique, des images qui montrent le temps, en commençant par celui pris à les créer.
Comment l'avez-vous réalisé ? Pourquoi utiliser cette technique du collodion humide ? Comment l'avez-vous apprivoisée ?
Toutes les photographies de cette série ont été prises avec du matériel ancien avec le procédé du collodion humide. Elles sont soit présentées sous forme d'ambrotypes ou bien de tirages barytés grand format d'après négatif collodion. Je travaille avec le tireur Diamantino Quintas, une des nombreuses rencontres exceptionnelles depuis le début de cette série. J'ai utilisé ce procédé pour sa finesse, mais aussi pour ses défauts que j'utilise un peu comme un peintre utilise la texture de ses peintures. Je peux tout gérer, de la chambre photographique à la fabrication des chimies, je peux intervenir à toutes les étapes, et cela me permet de ne dépendre de personne, et surtout pas de produits manufacturés.
Même si je m’intéresse a nombreux autres procédés, je suis un peu dévoué à celui ci ces temps ci et le coté organique du verre tout comme celui du baryté m’obsède. Je vois ces images comme des peintures, comme des sculptures et comme des photographies, pour moi, elles sont complètes. J'ai besoin de cet ensemble pour exprimer ce que je recherche.
© Eric Antoine
© Eric Antoine
Ce procédé rend humble et surtout ramène à la notion d'apprentissage. Pendant longtemps c'est le procédé qui dicte les images, il faut un temps certain pour renverser cela. On vit à une époque où l'on se contente de peu et on tend vers la facilité plutôt que l'excellence. Il ne suffit pas d'utiliser maladroitement un procédé ancien pour sublimer des images sans intérêt. C'est un outil comme un autre pour compléter un travail. Avant chacune de mes prises de vue, je me pose la question "est ce que cette photo aurait un intérêt, même si je la prenais en numérique?"
Avez-vous des projets à venir ?
L'exposition à la galerie Laurence Esnol à Paris du 18 octobre au 30 novembre, et puis peut être à la galerie Joseph Bellows en Californie en 2014. L'année prochaine je travaillerai d'une part sur ma future série qui ne sera pas forcément faite avec les mêmes procédés, mais également sur deux projets de livres, "Port Land" et "ensemble seul".
© Eric Antoine
© Eric Antoine
Pour voir le travail d'Eric Antoine :http://vimeo.com/52855421">
Propos recueillis par Claire Mayer