© K.M Asad
« En 1993, l'un de mes amis m'a suggéré de suivre des cours de photographie. Je suis donc allé au Bangladesh Photography Society, pour prendre des cours. Ces cours ont marqué ma vie. J'ai compris que la photo était un outil puissant pour exprimer mes opinions, pour déclarer des choses, à la façon dont un poète le ferait avec son stylo. La photo peut également aider à créer un changement, des inégalités, des exploitations de la société, c'est un agent du changement. »
Vingt ans après, Abir Abdullah expose « Piège mortel » à Visa pour l'image, où il traite les incendies, nombreux, trop nombreux, dans la ville de Dacca, capitale du Bangladesh. Des images stupéfiantes en noir et blanc, d'un photoreporter inspiré par Sebastio Salgado, Paolo Pellgrin, ou encore James Nachtwey.
Pourquoi avez-vous décidé de rester au Bangladesh et de traiter ce sujet ?
Il s'agit d'un gros problème pour nous, au Bangladesh, celui des incendies. Pas seulement pour les travailleurs de ces usines, n'importe quel civil peut être présent, à n'importe quel moment. Nous avons une responsabilité, le problème est vraiment important. Je pense personnellement qu'ils peuvent être traités, et doivent être documentés, le danger doit être montré. En même temps, j'ai essayé de montrer le courage de ces gens, ces civils, la façon dont ils prennent des risques dans les opérations de sauvetage. C'est mon engagement de documenter, de rapporter, de montrer, pour que les choses changent.
Comment les secouristes, les pompiers, réagissent lorsqu'ils vous voient sur les lieux d'un incendie ? Ne vous prennent-ils pas pour quelqu'un de gênant ?
A chaque fois, ils sont très impliqués, occupés, et parfois ils ne se rendent pas compte de qui fait quoi autour d'eux. Le chef des secouristes est aussi photographe, je le connais, donc quand je le vois, je le salue, nous sommes en contact. En tant que journaliste, nous nous adaptons aussi à la situation, nous devons nous faire discrets et surtout ne pas être un poids pour les secouristes, il s'agit de notre propre responsabilité s'il nous arrive quelque chose.
Incendie au dépôt du Conseil national des cursus et manuels scolaires. Quatorze unités de pompiers et deux équipes de l'armée et de la marine tente de maîtriser le feu, sept heures après son départ, délcaré à 7h15. Tejgaon, Dacca, Bangladesh, 18 octobre 2009 © Abir Abdullah / EPA
Vous n'avez jamais été en danger ?
En 2011, j'étais à Amsterdam, je faisais partie du jury du World Press Photo. Nous étions en centre ville, dans un hôtel. La deuxième nuit, j'ai été réveillé en plein milieu de la nuit, l'alarme incendie retentissait. Immédiatement, je me suis dit que j'allais mourir à Amsterdam dans les flammes. Il y a une sorte de traumatisme lorsque j'entends ces sirènes. Je suis sorti de ma chambre tout de suite, laissant tout derrière moi, mon passeport, mon appareil … Il s'agissait d'une fausse alarme !
Mis à part cette expérience, en général, je n'ai jamais eu d'incendie dans ma maison ou dans d'autres endroits. J'ai eu quelques blessures mineures, je suis très prudent pour éviter les accidents.
Vos images sont prenantes car vous êtes au cœur de ces incendies, au moment décisif : comment êtes-vous au courant de l'arrivée d'un incendie ?
J'ai des amis qui travaillent dans des journaux, donc si quelque chose arrive, ils m’appellent immédiatement. Je regarde également les informations télévisées, si je vois quelque chose, je me rends également immédiatement sur place. C'est difficile, il m'est arrivé plusieurs fois d'arriver trop tard.
Un pompier tente d'éteindre un incendie à l'usine de Kung Keng. Les conditions de travail dangeureuses ont provoqué de nombreux accidents. Zone industrielle, 6 août 2005 © Abir Abdullah / EPA
Quelle est la chose la plus difficile pour vous dans la réalisation de vos images ?
Photographier les familles qui ont perdu quelqu'un dans les incendies, c'est ce qui est le plus difficile pour moi. Emotionnellement, il est difficile pour moi d'être devant des familles choquées, prostrées devant les corps de leurs défunts.
Allez-vous continuer à traiter ce sujet ?
J'aimerai suivre les travailleurs blessés. Cela représente plus de 600 travailleurs qui ont perdu leurs mains et leurs jambes. La moitié d'entre eux sont des femmes. J'aimerai suivre leurs vies, comment ils continuent. J'aimerai suivre de plus près les vies de ces survivants.
Propos recueillis par Claire Mayer