Né à Brooklyn, c'est au départ vers l'armée qu'Ed Drew se tourne. Il rejoint en effet le service de la Royal Air Force américaine, pour laquelle il se rendra à Little Rock, dans l'Arkanzas et au Japon.
La découverte du Japon et de sa culture sont une véritable révélation artistique pour Ed Drew, qui décide alors de développer son intérêt pour l'art, et surtout de commencer, plusieurs années plus tard, un cursus artistique au San Francisco Art Institute. Tout en pilotant les avions de l'US Air Force, Ed Drew s'initie donc à l'univers de l'art, et plus précisément à la photographie.
Ainsi, d'avril à juin 2013, alors qu'il est, pour le compte de l'armée, dans une base déployée dans une province afghane, il allie ces deux modes de vie que l'on pourrait croire antinomiques, et réalise sa série Afghanistan combat zone tintype ( Ferrotypes de zone de combat en Afghanistan). Un résultat surprenant, mais surtout esthétiquement troublant.
Rencontre avec Ed Drew, qui s'explique.
© Ed Drew, courtesy of Robert Koch Gallery, San Francisco
Pourquoi la photographie ?
J'ai toujours aimé la photographie, car cela me permettait de montrer ce que je voulais dire, j'ai toujours été quelqu'un de visuel. J'aimais beaucoup regarder des images quand j'étais plus jeune, et je pensais que les appareils photos avait un pouvoir, qu'ils étaient magiques. Les appareils photos m'ont toujours fasciné.
J'ai commencé à prendre des photographies artistiques lorsque j'ai rejoint l'armée à 18 ans, mais j'ai vraiment commencé à rêver de devenir un artiste quand l'armée m'a envoyé dans une base près de Tokyo. Je suis allé dans une quantité de musées d'art, et j'ai décidé que je voulais être photographe.
Certains photographes vous ont-ils inspiré ?
Les photographes japonais m'ont beaucoup influencé, vous pouvez voir à quel point ils l'ont été dans mes ferrotypes (« le ferrotype est une technique photographique mise au point en 1852 par Adolphe-Alexandre Martin. Une fine plaque de tôle recouverte d'un vernis noir et d'une émulsion au collodion produit après exposition et développement une image positive directe » ndlr).
Leur esthétique est la plus puissante pour moi, et me parle clairement dans mon langage artistique. Mes préférés sont Rinko Kawauchi, Hiroshi Sugimoto, Daido Moriyama, Yamamoto Masao, et Eikoh Hosoe, pour n'en citer que quelque uns.
© Ed Drew, courtesy of Robert Koch Gallery, San Francisco
© Ed Drew, courtesy of Robert Koch Gallery, San Francisco
Je suis également un grand fan de Robb Kendrick, il est celui qui m'a inspiré dans la réalisation de mes ferrotypes il y a plus de dix ans. Sally Mann m'a aidé à comprendre la beauté des défauts lorsque vous travaillez avec ce genre de procédés. L'assistant de Mathew Brady n'était pas un photographe de ferrotypes, mais son style m'a aidé dans la réalisation de mes portraits en Afghanistan.
Pouvez-vous expliquer votre série Afghanistan combat zone tintype ?
Mes ferrotypes afghans sont une partie du large corps du travail que racontent ces histoires de fraternité dans le monde militaire, et les personnes impliquées dans une guerre. J'ai utilisé des ferrotypes pour montrer un côté de cette histoire que j'essayais de raconter. Avec les ferrotypes, je voulais me focaliser sur l'humanité d'une personne. Avec le numérique, vous ne pouvez pas faire une photo unique comme cela, car ce n'est pas physique jusqu'à l'impression de la photo. Avec les ferrotypes, le processus entier est très physique ,et me rappelle combien la personne était réelle, donc j'ai pensé qu'il était vraiment important d'utiliser les ferrotypes car il n'y a pas de façon de reproduire exactement la même chose une fois que cela a été fait. Voyez-vous, ces ferrotypes n'ont pas l'air jolis ou n'essaient pas d'être différents, mais il s'agit des significations, de la physicalité et l'unicité de l'individu qui a crée des métaphores que j'ai essayé d'exprimer dans chaque personnalité des personnes photographiées. Mes images parlent d'une personne sans utiliser de mots.
© Ed Drew, courtesy of Robert Koch Gallery, San Francisco
© Ed Drew, courtesy of Robert Koch Gallery, San Francisco
Quand et comment avez-vous réalisé cette série ?
J'ai apporté tous les produits chimiques et le matériel des Etats-Unis dans une grande tente que j'avais aménagé. J'ai fabriqué une chambre noire en utilisant un rideau et une valise. J'ai réalisé ces images d'avril à juin de cette année 2013.
Qu'est-ce que vous aimez dans ce traitement de la photographie ?
J'aime faire une photographie du début à la fin, lorsqu'il faut utiliser les produits chimiques avec attention et suivre de près les étapes appropriées qu'on ne peut pas réparer après les avoir terminées.
J'aime travailler avec la photographie numérique, mais elle a une signification différente pour moi. Vous pouvez facilement retravailler des images numériques, avec le procédé du ferrotype ce n'est pas possible. Vous devez donc prendre du temps, c'est comme de la méditation, où vous devez penser calmement à tout ce que vous devez faire. Il met en évidence deux aspects de la culture japonaise que j'aime le plus, la méditation zen et l'idée de wabi sabi, qui est une acceptation et une appréciation de l'éphémère du monde matériel. J'aime aussi le fait qu'il n'y ait qu'un ferrotype , vous ne pouvez pas reproduire exactement le même, c'est donc unique, tout comme les gens.
© Ed Drew, courtesy of Robert Koch Gallery, San Francisco
© Ed Drew, courtesy of Robert Koch Gallery, San Francisco
Que voulez-vous exprimer ? Quel message voulez-vous faire passer ?
Je veux montrer qu'importe ce que font les gens et à quel moment. Je pense que j'ai également voulu utiliser ce procédé car c'est une belle métaphore de la vie. Vous avez une seule chance de faire la photo appropriée et dans la vie vous n'avez qu'un essai. La photo ne doit pas être parfaite, mais comme la vie vous devez accepter ce que vous avez, et ses défauts. Lorsque vous regardez l'image, vous devriez voir la beauté de la personne, et comprendre qu'il s'agit d'art et de gens faisant la guerre, et non la guerre elle-même.
Avez-vous des projets à venir ?
Tous mes projets concernent mes expériences personnelles et les sujets qui me tiennent à cœur.
J'ai toujours une idée large et profonde des significations présentes derrière mes photos, les choses pour lesquelles je me passionne. Je pense beaucoup aux questions de société en Amérique depuis notre passé, et j'aimerai intégrer cela dans mes propres expériences. Il y a également des expériences de l'enfance que je veux explorer.
© Ed Drew, courtesy of Robert Koch Gallery, San Francisco
Propos recueillis par Claire Mayer