© Barbaros Kayan
Tout a commencé un 31 mai. Le 31 mai 2013, des stambouliotes opposés à la destruction du parc Gezi, situé à Taksim, au cœur d’Istanbul, se mobilisent pacifiquement. Un projet de centre commercial devait en effet remplacer cet espace vert, cher à de nombreux habitants d'Istanbul. Rien de bien méchant, un rassemblement pacifiste d'écologistes, de riverains, d'intellectuels, d'architectes... Pourtant, cette mobilisation n'a pas été au goût du gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan, premier ministre.
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Ainsi, au fil des jours, est née la répression, et est montée la révolte d'un peuple las de son gouvernement. Comme beaucoup, Barbaros Kayan, photographe, a suivi ces manifestations et a voulu témoigner : « Cela a été naturel pour moi de documenter ce qu'il se passait autour de moi. En plus de cela, j'étais vraiment au cœur des incidents ». Tout a commencé, pour lui d'un point de vue photographique, grâce aux réseaux sociaux, comme souvent « J'ai publié les images que j'ai pris le premier jour des affrontements sur ma page facebook. Puis, rapidement, plusieurs de mes amis m'ont appelé pour que je continue à couvrir les évènements. Beaucoup ont été influencés et sont venus place Taksim se joindre à la résistance ; mes photos ont incité les gens à rejoindre la résistance, ça a été un sentiment incroyable pour moi. » Pourtant, la censure médiatique a été telle que les révoltes étaient peu voire jamais évoquées dans les médias locaux, au grand dam des stambouliotes « Les médias turcs faisaient la sourde d'oreille quant à parler des affrontements, toutes les chaînes d'information passaient des documentaires sur les pingouins tandis que dehors tout brûlait. Cette censure m'a provoqué, et j'ai commencé à publier mes images le plus vite possible. J'ai contacté moi-même des médias étrangers et j'ai continué à photographier. »
© Barbaros Kayan
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Les images de Barbos Kayan ont une force, elles sont esthétiquement formidables, autant que violentes et pleines de convictions. Elles ne se contentent pas de témoigner, documenter, montrer, mais elles prouvent un engagement, et une volonté sans faille du peuple turc.
Ces révoltes traduisent un mécontentement trop longtemps contenu du peuple envers son gouvernement et en particulier son premier ministre Recep Tayyip Erdoğan. Au lieu en effet d'apaiser les tensions qui, au départ, restaient « raisonnables », Erdoğan a préféré réprimer avec perte et fracas « La police était enragée et hors de contrôle, nous devions agir très prudemment lorsque nous les approchions. Je me souviens avoir eu vraiment peur à plusieurs occasions. La première fois en essayant de ne pas être touché par la police qui nous tiraient dessus avec des bouteilles de gaz. Ils se mettaient exprès assez près de nous, heureusement j'ai réussi à ne pas être touché. Une bouteille de gaz a raté ma tête et a heurté le pare-brise d'une voiture. Parmi les incidents, la police de Besiktas a jeté des gaz lacrymogènes dans une ensemble résidentiel. Beaucoup de gens à l'intérieur n'avaient pas de protection. Puis ils ont essayé d'entrer mais ils ont fini par renoncer car ils n'y sont pas parvenus. Je sais qu'avoir un appareil photo dans mes mains ne me donnait pas l'immunité, je pensais juste aux coups que je pouvais recevoir comme tout le monde autour de moi. »
© Barbaros Kayan
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Comme dans toute manifestation lourdement réprimée, le travail des photographes n'est en effet pas facilité, loin de là. C'est ce qu'a vécu Barbos Kayan, qui s'est pourtant rendus jour après jour sur les lieux des affrontements. « La révolte n'est plus aujourd'hui à propos des arbres. Il s'agit du peuple qui dit assez aux interventions arbitraires du gouvernement et aux lois. Plus le mécontentement grandissait, plus la police devenait violente. La violence croissante a alors sucité encore plus de réactions. Les manifestations se sont étendues à toutes les provinces de la Turquie. Les propos du premier ministre Recep Tayyip Erdoğan ont été provocantes au lieu d'être conciliants. Erdoğan a provoqué ses partisans contre les manifestants mais heureusement les gens ne se sont pas clashé les uns contre les autres. »
Un mouvement qui s'est intensifié, et a été largement réprimé.
© Barbaros Kayan
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Et aujourd'hui ? « Après 20 jours, les protestations ont commencé à ralentir. Maintenant, vous voyez des manifestants utiliser des moyens très créatifs pour protester, sous la forme de performances (#standingman) et beaucoup de forums populaires sont tenus dans les différents parcs d'Istanbul. Tout le monde peux exprimer ses sentiments sur la situation en cours et faire des suggestions quant aux étapes qui devront être franchies pour le futur. Evidemment, des provocations continuent d'avoir lieu ; par exemple un jeune groupe des supporters d'AKP ont pillé le forum de Yeniköy. Certains d'entre eux ont été battus. L'atmosphère est toujours tendue. D'un autre côté, le policier ayant abattu le manifestant Ethem Sarısülük a été libéré. Les actes anti-démocratiques comme ceux-là sont de bonnes raisons pour les gens de retourner dans la rue et il semblerait que nous continuerons comme cela. »
L'avenir est incertain en Turquie, mais il semblerait que le peuple ne soit pas prêt à baisser les bras. Leur quête est bien trop essentielle et fondamentale pour décider après tout cela d'abandonner « La Turquie a de plus en plus de questions ethniques et politiques mais nous devons garder l'espoir de vivre dans un pays vraiment démocratique. Nous voulons seulement vivre dans une société libre et respectueuse de la nature et des droits humains. »
Claire Mayer