Le 12 février dernier,http://actuphoto.com/23931-interview-de-christian-lutz-a-propos-de-la-censure-de-son-ouvrage-in-jesus-name-.html"> à propos de la censure de son ouvrage In Jesus' Name. Le photographe, membre de l'agence VU', avait en effet réalisé, dans le cadre d'une trilogie sur le pouvoir, le dernier volet de celle-ci sur le pouvoir religieux. Il avait alors fait un reportage sur l'ICF (International Christian Fellowship, une Eglise évangélique suisse). Son ouvrage In Jesus' Name, issu de ce reportage, avait été subitement censuré juste après sa publication suite à des plaintes pour atteinte à l’image. En début d’année 2013, un jugement provisionnel a confirmé l’interdiction du livre. Alors que Christian Lutz a accepté cette décision, l’avocat des plaignants a déposé un dossier afin de continuer l’action en justice, estimant que « la situation juridique n’était pas claire ».
Rencontre avec le photographe, qui explique les raisons de sa décision et fait le point sur la situation.
Pouvez-vous nous expliquer où en est votre projet In Jesus' Name ?
Depuis l’interdiction prononcée cet hiver, il s’est passé beaucoup de choses, dont une très heureuse : l’exposition de ma trilogie sur le pouvoir, au Musée de l’Elysée à Lausanne.
Les trois volets y sont présentés, dont le dernier In Jesus’ Name. J’ai eu la chance d’être soutenu dès le début de cette affaire par Sam Stourdzé, le directeur de l’institution lausannoise. L’exposition était prévue depuis plus d’un an et il ne s’est pas dégonflé. Au contraire, il a pris position clairement pour la liberté de création, d’expression et pour la liberté d’informer.
Comme vous le savez, j’ai accepté le jugement provisionnel. Car je me suis vite rendu compte que le débat ne prendrait pas devant le tribunal. Que là, le seul enjeu serait de prouver le consentement des plaignants à apparaître dans le livre. En sortant du juridique, j’ai pu investir pleinement le champ artistique et me concentrer sur la réalisation de l’exposition, qui est une contre-proposition au musellement. Rien d’illégal dans ma démarche. En effet, le jugement provisoire ne concerne que l’ISBN du livre. Donc, je peux exploiter les photographies qui le composent. Comme je n’ai pas voulu mettre à mal les plaignants, dans le cadre de l’exposition, les photographies sur lesquelles ils apparaissent sont présentes, mais ils n’y sont pas reconnaissables.
In Jesus’ Name 2012 © Christian Lutz / Agence VU'
Quelles ont été les retombées de cette exposition ?
A l’heure actuelle, l’exposition est encore en cours, jusqu’au 1er septembre. Il y a eu énormément de monde le soir du vernissage, beaucoup de réactions face aux différents travaux que je présente et face aux plaintes de l’ICF qui étonnent et surprennent. C’est la première fois que les trois séries de la Trilogie sur le pouvoir sont exposées simultanément dans un même lieu. C’est intéressant de voir comment ces différents volets se répondent et mettent en évidence à la fois la théâtralité du pouvoir et ses non-dits, ces espaces troubles où se joue la véritable histoire du pouvoir.
Avoir accepté la décision de justice, est-ce un échec pour vous ?
Non, comme je vous le disais tout à l’heure, j’ai choisi de prendre la parole sur d’autres terrains, que ce soit par le biais de rencontres publiques et de conférences ou sur le terrain artistique, en contournant l’interdiction, en incluant un quatrième pouvoir, le judiciaire, dans le travail In Jesus’Name exposé au Musée de l’Elysée. Je me sens cohérent avec moi-même et lucide, et comme le déclarait Stéphane Hessel « la lucidité est égale à résistance ».
In Jesus’ Name 2012 © Christian Lutz / Agence VU'
Avez-vous des contacts avec les personnes photographiées, avez-vous pu vous expliquer avec elles ?
A partir du moment où il y a eu procédure juridique, j’ai compris qu’il n’était plus vraiment possible de prendre contact avec ces personnes. Je le regrette d’ailleurs, car j'ai passé du temps avec la plupart d’entre elles et nous avons partagé plein de moments.
Aujourd’hui, nous sommes devenus des étrangers les uns pour les autres. En revanche, je suis en contact avec certains anciens fidèles de l’Eglise, qui ont quitté la communauté pour des raisons qui leur appartiennent, mais c’est certain que cette histoire d’interdiction a été un événement de trop pour eux.
Tropical Gift, 2010 © Christian Lutz / Agence VU'
Quelle est la suite maintenant ?
Avec mon avocate, nous étudions actuellement les différentes issues possibles, conciliations, propositions ou autres. Il est aussi tout à fait envisageable que, si rien ne nous convient, j’entrerai en procès. Ce qui est positif, c’est que plusieurs journalistes ont fait — et font en ce moment — des enquêtes approfondies qui révèlent les incohérences de cette affaire et du discours des responsables de l’ICF.
Par ailleurs, je reçois de nouveaux témoignages de soutien et notamment le soutien concret d’Impressum, qui est la plus importante association de journalistes et de photographes de Suisse. Je me sens bien entouré. Je dirais que ce qui est important aujourd’hui, c'est de libérer le livre qui est pris en otage dans un drôle d’imbroglio, et je me battrai pour cela.
Protokoll, 2007 @ Christian Lutz / Agence VU'
Propos recueillis par Claire Mayer