Jérôme Delay est un photojournaliste au parcours atypique. Dans sa jeunesse, il fait partie du club photo du lycée. La photographie devient une passion qui évolue au fil du temps. Il débute aux Etats-Unis, et pige pour une société de presse au Colorado, pour ensuite intégrer le staff de l'AFP en 1984 à Washington. Il couvre l'actualité de la maison blanche et part pour Jérusalem en 1991. Depuis 2005, il vit en Afrique du Sud. Ses clichés sur le Mali on fait le tour du monde. Lorsqu'on lui parle de son métier il répond : « Je n'ai pas l'impression de travailler. » Dans le cadre de la journée mondiale de la liberté de la presse, il dévoile sa vision des choses.
Pensez-vous être libre dans la réalisation et le choix de vos reportages?
On est libre de choisir où l'on va, on peut faire ce que l'on veut. En Corée du nord, ce n'est pas comme à Paris. Le problème le plus important reste le coût de production des reportages. Je souhaiterai être au Mali en ce moment mais je n'ai pas le budget. Les photojournalistes sont de plus en plus mal vus. Nous n'avons pas toujours accès aux lignes de front. Il est arrivé que les reporters prennent l'armée un peu comme des taxis. Il nous est arrivé d'être 350 journalistes sur un même conflit. Chacun pensait pouvoir aller là ou il le désirait. En Irak, sous Sadam Hussein, je n'étais pas libre de mes mouvements. Je devais avoir une approche responsable. A Tripoli, en Libye, c'était la même chose, cependant j'ai pu décrire un peu ce dont j étais témoin. Dans notre métier, on raconte une histoire qui n'est plus possible par la suite. C'est une époque sur laquelle on ne pourra pas revenir.
Quel reportage a été pour vous le plus difficile à réaliser?
Tous les reportages sont difficiles. Il y a de l’appréhension, comment va être ce nouveau terrain ? Il n'existe pas de reportage plus difficile que d'autres. Laurent Vanderstock a eu une expérience en Syrie et pour lui ce pays rassemble les pires nations. On se doit d'avoir un regard indépendant même s'il est contrôlé.
© Jérôme Delay, Sipa press
Pensez-vous que la liberté de la presse soit menacée en France, qui se place à la 37éme place dans le classement de Reporters Sans Frontières ?
J'ai beaucoup de respect pour les photographes et journalistes qui sont dans ce pays. Dès qu'ils souhaitent photographier un lieu, une personne, ils sont poursuivis par la justice. Il faut flouter. Au bout de dix minutes dans le métro avec un appareil photo, vous êtes chahuté. Parfois, c'est l'union soviétique. Beaucoup de reporters partent, vont à l'étranger, certes pour découvrir d'autres contrées, mais également pour pouvoir travailler sans être agressé.
Un pays vous a-t-il marqué en bien ou mal vis à vis des droits des journalistes ?
Aux Etats-Unis, on peut travailler en toute liberté, il y a un droit à l'information dans la constitution américaine. Je suis déçu par la France, les gens sont méfiants. On doit faire un réel travail de relations publiques avec les personnes que l'on photographie. Il y a toujours un individu qui va vous utiliser et contrôler votre travail. J'ai horreur qu'on me prenne en photo donc je comprend la réaction des gens. Souvent, on nous demande si l'on agit après la prise, si l'on aide les personnes. C'est un véritable débat.
© Jérôme Delay, Sipa press
Vous a-t-on déjà contraint à supprimer vos photos ?
On m'a volé des appareils, des disquettes à Kanaky, lors du coup d'état du capitaine Dadis. J'ai attendu une semaine dans son salon pour le prendre en photo. J'ai finalement réussi et au moment de partir il s'est énervé et a voulu la disquette, je lui ai dit que je supprimais (je peux récupérer quand c'est effacé). Il y avait des hommes armés tout autour, il a finalement prit ma carte mémoire. On s'est tous fait piquer des films. Quand on est passé du film au numérique, au Kosovo je mettais toujours deux pellicules dans ma poche et je les donnais lorsque l'on me demandait mes photos. Il m'est arrivé d'être expulsé lors de mes reportages en Israël, en Libye pendant une semaine j'étais arrivé avec les mauvais papiers et j'ai été arrêté deux ou trois fois.
© Jérôme Delay, Sipa press
Vos boitiers vous protègent-ils ? Ou vous mettent-ils en danger ?
Il est certain que ça ne sert a rien de se promener comme un sapin de Noël. Les boitiers peuvent effrayer. Néanmoins, ils protègent en cas de conflit.
L'objectif est comme une arme. A Paris, il y a toujours un reporter qui se fait attaquer lors d'une manifestation, ça ne nous rend pas invincible. Je pars simplement avec un objectif et mon appareil, les mains dans les poches.
Reporters sans frontières recense dans le monde 15 journalistes disparus, et 179 emprisonnés, cela vous fait-il peur ou vous donne-t-il encore plus envie de continuer ?
Il faut se battre pour récupérer les reporters, photographes en prison, pour la liberté. On a le devoir de se rendre dans les endroits interdits, que les gouvernements nous interdisent. Il faut informer.
© Jérôme Delay
Que pensez vous de la situation actuelle du Mali ? Il arrive 99 ème au classement RSF sur la liberté de la presse?
Nous avons réussi a prendre des clichés de la population et des soldats. Au Mali, si vous dites quelque chose qui ne plaît pas, vous avez des ennuis rapidement. Mais à coté de ça, c'est un beau pays, avec des personnes impressionnantes, photogéniques. J'ai photographié la vie quotidienne des Maliens, les gens affectés par la guerre, ce qui était aussi intéressant que de représenter la guerre en elle-même.
Vous y avez fait des photos marquantes, à certains moments avez-vous hésité à photographier ?
Oui et non, on possède une certaine auto-censure. Il faut un contenu, une lumière, une composition pour prendre une photo. Nous ne sommes pas des machines, à toujours appuyer sur le bouton. Il existe des instantanés comme celle du puit au Mali, qui font partie de l'histoire. Ils ont pour but d'informer. Il y a un coté témoignage.
© Jérôme Delay, Sipa Press
Avez-vous reçu des consignes sur place ?
Nous avons reçu des directives à l'aéroport, nous ne pouvions pas en sortir. J'ai fait le choix de partir à pied, et ensuite j'ai pris une ambulance. Une autre fois, nous étions plusieurs journalistes et l'armée a décidé d'emmener tout le monde à la base, nous sommes trois ou quatre à avoir refusé et à rester sur place.
Vous avez confié dans une interview pour Télérama que l'armée française au Mali voulait une guerre « propre », pouvez-vous l'expliquer ?
Guerre propre, car il y a eu trois décès coté Français, une trentaine coté Tchadien, et l'on ne peut pas estimer combien du coté de l’insurrection. Ils ont été les plus nombreux à mourir. Les décès français on été très médiatisés, pour une forme de victoire, alors que de l'autre coté il y a eu plus de morts et de blessés.
© Jérôme Delay, Sipa Press
Comment un photoreporter trouve sa place dans ce type de guerre ? Avez-vous eu l'impression de travailler pour l'armée ?
Je n'ai pas le sentiment de travailler pour l'armée, on peut en être tributaire, mais ils ont leurs propres photographes. Je fais ce métier pour moi, pour vous et Associated Press (AP).
Avez-vous vu une différence par rapport aux autre conflits que vous avez photographié il y a quelques années ?
Avec la technologie, tout est direct, une photographie prise maintenant est vu partout demain.
Nous sommes responsables, en tant que photographes, de nos actes. Il faut toujours faire attention. Nous pouvons être repérables partout sur internet. Quand je suis parti en voiture au Mali, je ne l'ai pas crié sur les toits. C'est une histoire de bon sens, il faut savoir se protéger.
© Jérôme Delay, Sipa Press
Quel conseil pouvez-vous donner aux futurs reporters et photographes ?
Il ne faut pas rester à la maison, attendre que le téléphone sonne et être prêt à ne pas gagner de l'argent à foison. On se doit d'être passionné, d'aimer les gens. Posséder une certaine éducation et s’intéresser à tout, être curieux. Il y a une génération de photographes extraordinaires qui oublient leur confort quotidien. Ce n’est pas facile, parfois ils sont désillusionnés. Il faut avoir de la chance et la provoquer. Il n'y a pas réellement de règles, mais si l'on part en Syrie, il faut y aller pour les bonnes raisons.
Avez-vous d'autres projets ?
En ce moment, il y a Mandela, le Congo. Au Zimbabwe, il y a les élections avec un régime répressif... Mon but est de mettre en valeur l’Afrique, qu'on la voit sur une carte, et préserver l’intérêt que portent les gens pour ce pays.
© Jérôme Delay, Sipa Press
Photographies et vignette © Jérôme Delay
Propos recueillis par Louise Leclerc