© Pia Elizondo
Pia Elizondo commence la photographie en 1984, sa première exposition aura lieu 1993 à Mexico city, dont elle est originaire. Installée à Paris depuis 10 ans, son travail reste très attaché au Mexique, où ont lieu la majorité de ses expositions. La photographe a également été publiée dans de nombreux magazines outre-Atlantique. Pia Elizondo travaille aussi à la production de petits livres photographiques parfois réalisés à la main. L'argentique reste son médium favori, pour sa qualité d'image incomparable. Mais cela ne l'éloigne pas de pratiques contemporaine comme L'iphone.
Rencontre avec une photographe amoureuse du sténopé.
© Pia Elizondo
Comment avez-vous rencontré le sténopé ?
Je me suis toujours intéressée aux appareils anciens. Quelque part, le sténopé est un peu l'origine de tout. C'est une boîte avec un petit trou avec à l'intérieur une image du monde. Le sténopé a une imagerie particulière, qui m'interpellait. Je crois que la photo tourne autour de la question du temps et cela est visible dans mes images. Le sténopé a une relation avec le temps qui est particulière. Les temps d'exposition sont très longs, il y a une magie particulière, on sent la respiration des éléments, quelque chose se crée dans ce mouvement photographique.
Le sténopé est sans optique, une lumière pure y rentre. On ne la filtre pas, on ne la met pas au point, elle entre de manière très naturelle. Il n'y a pas d'intermédiaire entre l'image qui entre et celle qui se pose sur le négatif.
Avez-vous recours à d'autres médiums que le sténopé?
J'ai beaucoup utilisé le sténopé, c'est quelque chose que j'aime. Mais j'utilise aussi d'autres appareils. Quand je voyage, j’emmène toujours un sténopé avec moi.
Le travail que j'ai réalisé sur Mexico, je l'ai presque entièrement fait avec un petit appareil allemand des années 40, qui s'appelle Robot. On l'utilisait beaucoup pour faire de la photographie aérienne, il est très solide et possède une excellente optique. J'utilise également un Holga et un petit appareil Lomo. J'ai débuté avec cet appareil, au cours de mon projet sur les frontières. J'ai beaucoup travaillé sur la frontière entre le Mexique et les Etats-unis, et c'est un territoire dangereux. Je ne voulais pas passer par les les circuits journalistiques. Je devais avoir l'air d'une touriste, donc un gros appareil n'était pas envisageable, alors j'ai utilisé le Lomo.
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Qu'est-ce qui vous a poussé à réaliser ces sujets autour de la frontière ?
J'ai commencé ce travail en 2003 quand j'ai quitté Mexico City. Mexico City était un centre très puissant pour moi. Quand j'ai quitté ma ville pour Paris, j'ai eu un mouvement très naturel vers l'extérieur, parce que j'étais sortie de mon centre. Vers l'extérieur, on trouve les frontières. C'était aussi au moment des débats sur l'Europe et les frontières. Mais surtout, je vivais une révolution intérieure à ce moment là .Je m'installais en France, j'avais des soucis personnels. Ce projet est à l'image de ma façon de travailler, qui part aussi de mon ressenti, d'une réflexion intérieure. Tous les éléments me menaient dans cette direction. J'ai travaillé sur les frontières entre le Mexique et les Etats-unis, entre la France et l'Afrique et aussi au nord de la France avec l'Angleterre. Mais je n'ai pas traité de la question de l'émigration, c'était la dimension physique de la frontière que j'ai voulu traiter. C'est un travail intime, qui parle aussi de mon territoire frontalier.
La ville semble être une inspiration importante pour vous?
Je travaille beaucoup dans les villes. Une autre partie importante de mon travail n'a pas été réalisée dans un milieu urbain. La ville qui m'inspire le moins, c'est Paris étrangement. Paris a été beaucoup photographiée donc, comme faiseur d'images, on a toujours un peu peur de tomber dans le cliché. Paris est une ville très propre, très lisse et j'aime bien les villes un peu plus brutes.
Comment vous positionnez-vous face à vos sujets photographiques, notamment la ville ?
Il y a deux dimensions dans mon travail. D'une part, je regarde beaucoup de quoi est faite matériellement la ville, son architecture, et d'autre part, je regarde les gens. Mais ce n'est jamais un regard frontal et complet. J'ai une tendance à regarder l'humain fragmenté, en mouvement.
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Votre démarche est-elle expérimentale ?
Pas vraiment, pour expérimenter il faut avoir le temps d'une réflexion. Je suis beaucoup menée par l'intuition. Je fonctionne pour moi, ce que je veux voir dans les images. Même si on a tous des obsessions que l'on poursuit, je pense que je vais, je viens, selon les périodes, les expériences ajoutées...
Selon vous, quels sont les avantages et les inconvénients liés à l'utilisation du sténopé ?
Je crois que l'on doit trouver le médium qui va nous donner ce que l'on cherche. Si on veut faire de la photographie sportive, le sténopé ne sera vraiment pas adapté. Il faut savoir ce que peut faire le sténopé, de la même façon qu'il faut savoir ce que peut faire un Nikon. Chaque appareil possède ses caractéristiques précises. Selon moi, il faut adapter l'appareil au sujet, c'est comme cela que je fonctionne.
Vous utilisez principalement le noir et blanc, pourquoi ce choix ?
Initialement, j'ai appris la photographie en noir et blanc, puis j'ai appris à faire de la couleur mais j'ai toujours beaucoup aimé le noir et blanc. J'y reconnais une humeur intérieure, qui n'est pas forcément vivement colorée, mais avec beaucoup de nuance de gris.
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Quel regard portez-vous sur l'évolution du matériel photographique et l'apparition du numérique ?
J'ai beaucoup de mal avec le numérique et en réalité, je ne suis jamais vraiment passée au numérique. Je possède un appareil numérique, je le connais et l'utilise dans le cadre professionnel. Mais je n'aime pas la qualité du numérique. Je crois que l'argentique, grâce au métal, a des nuances particulières. Il manque une sorte d'âme au numérique, et une profondeur d'image. Ce ne sont pas des images dans lesquelles on peut entrer. Je travaille en argentique, ensuite je scanne et je tire en numérique. Les labos commencent à être plus difficiles à trouver et c'est relativement cher.
Retravaillez-vous vos images ?
Je fais exactement le même travail qu'en labo, mais sur l'ordinateur. Je n'interviens pas dans l'image, donc je nettoie, gère les contrastes, mais je ne recadre jamais mes photos.
Est-ce important pour vous l'idée de revenir aux origines de la photographie ?
J'aime les techniques anciennes, car j'aime ses rendus. Je suis très curieuse du rendu que pourrait avoir mes images actuelles, avec l'utilisation de techniques anciennes. J'aimerai beaucoup voir mes images du désert tirées en platine ou en collodion.
Que représente pour vous l'acte de photographier, et que cherchez-vous à transmettre ?
J'ai beaucoup entendu que la photographie est une manière de prendre quelque chose aux gens. Il y a toujours quelque chose de très agressif dans l'acte photographique. Cette dimension violente de la prise d'image, je la ressens davantage comme une transgression.
Mais quelque part, il y a un échange, cette prise va revenir et avoir une forme, celle de l'image. Pour moi, l'acte photographique est un acte de reconnaissance, qui permet de se positionner dans le monde. Dans l'image, l'on se reconnaît ou non, cela fonctionne un peu comme un miroir. On trouve toujours un mouvement d'aller et de retour dans cet acte mais aussi une grande part de désir.
Je ne cherche pas à transmettre quelque chose de précis. Je crois que mes images sont des portes, dans lesquelles le spectateur peut se refléter et être transporté.
Quel regard portez-vous lorsque vous découvrez vos photographie, êtes-vous surprise ?
Avec le sténopé, il y a toujours un élément de surprise, on ne sait pas vraiment ce que l'appareil est en train de voir. Même si l'on connait son appareil, il y a une dimension approximative. Mais l'on poursuit quand même une image. On rejoint la question du temps, l'attente pour développer le film, le voir ensuite en positif. C'est tout ce processus photographique qui m'enchante.
Avez-vous retrouvé ce rapport au temps avec l'Iphone ?
C'est tout le contraire, on a pas besoin d'attendre pour montrer notre photo à une ou un million de personnes, c'est immédiat. Cela peut paraître contradictoire, mais ce qui m'intéresse avec le sténopé, c'est la lenteur et pour l'iphone, la rapidité. C'est un bel outil, très actuel. Il permet de se faufiler dans le monde virtuel, qui est, aussi étrange soit-il, chaque jour un peu plus le nôtre.
© Pia Elizondo
Vous réalisez des livres d'artiste, est-ce important pour vous de travailler le livre en tant qu'objet ?
Le travail avec les mains, le côté artisanal, me plait beaucoup. J'aime aussi l'objet fini, tiré en peu d'exemplaires, sous forme de livre. Comme «De la possibilité du désir», que j'ai relié à la japonaise. Selon moi, dans la photo, le livre est le meilleur support final de l'image étalée.
Y a-t-il des sujets que vous rêvez de photographier ?
Je photographie à l'instinct, mais il y a quand même des territoires qui me font envie. Le Caire, ou encore le nord du Mexique. C'est un territoire très particulier, où les cultures se fondent. Les gens ne vivent pas d'un côté ou de l'autre, l'ensemble de la frontière leur appartient.
Que pensez-vous de la position de photographe au Mexique ?
Cela dépend quel photographe, être photo-journaliste au Mexique en ce moment est suicidaire et ce depuis longtemps. La situation est vraiment terrible, c'est l'horreur, j'ai pu m'en apercevoir lors de mon précédent travail sur la frontière.
Le Mexique est un pays qui a une énorme tradition photographique, où il y a beaucoup de très bons photographes. Ils sont nombreux à travailler avec les techniques anciennes. Il y a aussi une photographie d'art contemporain, très dynamique.
Avez-vous des photographes qui vous inspirent ?
Ils sont nombreux, j'ai été très marquée par les photographes américains des années 40-50 comme Weegee. J'aime aussi beaucoup la photographie japonaise.
Avez-vous des projets en cours ou à venir?
Cela fait trois en que je travaille sur divers projets, qui donnent lieu à la création de plusieurs petits livres. En ce moment, je travaille beaucoup avec l'Iphone. C'est une expérience, j'ai trouvé la voie qui me permet de faire des images avec mon téléphone, en conservant mon style et mon regard.
Propos recueillis par Manon Froquet