© Daniel Challe
Photographe depuis bientôt 30 ans, Daniel Challe suit une ligne poétique personnelle. Il entrecroise deux thèmes dans son travail photographique, l'autobiographie et le paysage. A l'occasion de la journée mondiale de la photographie au sténopé, rencontre avec un artiste passionné.
© Daniel Challe
Comment et quand avez-vous fait la rencontre du sténopé comme outil photographique?
Etrangement par une commande que m’avait passé Claude Tible, le directeur artistique du Carré d’Art à Chartres – de – Bretagne. Il avait organisé, avec d’autres, un ensemble de manifestations autour du sténopé intitulées Le monde par le trou de l’aiguille dans l’agglomération rennaise et m’avait donné une carte blanche. C’était en 2011. A cette époque, je travaillais sur la figure de l’île, et je lui avais proposé de faire une série au sténopé sur le sujet. J’ai produit un ensemble d’images paysagères et intimistes, qui s’est intitulé Chronique de l’île.
Pourquoi utilisez-vous ce medium ?
Il est le prolongement de tout le travail que j’avais produit dans mon journal photographique avec des appareils photographiques amateurs, des boîtiers à 4 sous dont je me suis servi pour produire mes poèmes photographiques. Ces appareils définissaient pour moi un regard à hauteur du regard de l’enfant, ils me permettaient
d’explorer des pans de ma mémoire, de mes liens, à la matière du monde, à une géographie rêveuse.
Votre démarche est-elle expérimentale ?
Non, ma seule recherche est poétique. Regarder le monde, marcher, m’intéresser au réel, à ma mémoire traversée par tous les paysages et les corps qui la hante.
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Selon vous, quelles sont les contraintes et les avantages liés à la photographie sténopé?
Enregistrer sans cadrer, sentir le Temps qui vient se déposer dans la boîte, la fugacité et l’émotion de la lumière. Je l’ai écrit dans un poème en prose intitulé La boîte, dont voici un court extrait : « Machines les plus dérisoires pour recueillir à nouveau ce qui fut rivé à nos yeux d’enfants, pour retrouver ce sens de la beauté éphémère –fuga- porter dans son cœur le mouvement du ciel : Brownie Flash, Diana, Holga, Instamatic, boîte en carton percée, jetable. »
Avez-vous recours à un autre type d'appareil que le sténopé, pourquoi et comment cela influence-t-il votre travail?
J’utilise tous les formats photographiques le 24x36, le 6x6, le 4x5 inch. Cela dépend des séries, des projets. J’aime bien changer de temps en temps d’appareil pour dérouter mon œil, effacer mes habitudes.
Que représente pour vous l'acte de photographier, que cherchez-vous à capter et à transmettre?
L’acte de photographier est pour moi, avec l’amour, la plus grande jouissance de l’existence. Quand je photographie, je me sens libre, en état de poésie, disponible au monde. C’est le contraire de notre existence quotidienne faite d’asservissements, d’entraves, de masques sociaux. Photographier, pour moi, c'est retrouver mon corps d’enfance, celui d’avant les mots, celui des sensations premières, traverser à la nage mon inconscient. C’est me relier très profondément à mon corps. Je cherche à transmettre ces battements, ces sensations. Aussi bien à travers l’espace et le paysage, qu’à travers les corps que je photographie.
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Vos travaux photographiques semblent très liés aux paysages qui vous entourent. Quelle relation l'environnement entretient-il avec votre photographie?
Tout part de là, de ces sensations profondes de l’espace qui sont le noyau du poème.
Ces sont les paysages de l’enfance. La montagne, le jardin, les rivières, la nature m’inspirent. Ces paysages sont autobiographiques au sens où je les ai beaucoup fréquenté, regardé. Ils font partie de moi. Je peux les retrouver dans d’autres endroits que ma Haute-Savoie natale. En Bretagne par exemple, où j’habite aujourd’hui. J’aime aussi parfois les villes, y errer, m’y perdre. Les villes italiennes ou anglaises, ces lieux résonnent en moi. Comme si quelque chose de ma mémoire était appelé par les rues.
Vous mentionnez également La figure de l'enfant, quelle est sa place au sein de votre photographie ?
C’est l’enfant qui photographie. Je crois que l’on trimballe en soi deux ou trois sensations, qui sont le cadre à partir duquel on voit. Ce sont elles que nous tentons de faire revivre selon l’idée développée par l’écrivain Jim Harrisson : « En tant que romancier et poète, j’ai souvent pensé que je transportais avec moi une fenêtre afin de regarder ce que je souhaitais regarder, que ma vocation consistait à devenir cette fenêtre pour proposer une vision peut-être unique et esthétiquement agréable, quelle que soit l’horreur du paysage humain ». L’enfant, du moins au tout début, c’est celui qui n’a pas les mots, et qui, comme le photographe, voit. Il y a une phrase de Wols que j’aime beaucoup : « Pour voir, il ne faut rien savoir, sauf savoir voir ».
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Vous vous dîtes adepte « d'une photographie vivante », comment concevez-vous cette démarche ?
Vivante, parce que je n’aime pas la mise en scène, les images apprêtées, le travail excessif à l’ordinateur. La photographie, pour moi, c’est dehors, dans le monde, et non pas devant les écrans. C'est un désir profond de sortir, d’aller chercher le poème dans les paysages, dans les rues, dans les visages. Je ne suis jamais si bien que quand je suis dans le paysage, dans les rues.
Quel regard portez-vous, lors de la découverte de vos photographies : êtes-vous surpris ?
Oui, car je travaille toujours avec du film en argentique, et que l’image vient après-coup. Parfois, je les vois longtemps après, je les redécouvre, les relis. Je repasse en travelling arrière mes planches-contacts. J’aime la latence de l’image argentique, qui est comme la bobine du rêve. « Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais » disait Marguerite Duras à propos de l’écriture. La photographie procède de ce même sauvetage.
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Y a t-il des photographes qui vous inspirent?
Oui, beaucoup de photographes me touchent et m’inspirent : August Sander, Robert Adams, Ralph Eugène Meatyard, Robert Frank, Emmet Gowin, Pierre de Fenoyl, Andreï Tarkovski , Eric Dessert.
J’achète beaucoup de livres de photographie et aussi de poésie, c'est pour moi quelque peu la même chose. Je me plonge dans les images, je lis des poèmes, j’en écris un peu parfois. Cela fait naître des émotions, et ce sont ces émotions que je porte en moi pour photographier.
Vous utilisez le noir et blanc, comme la couleur qu'est ce qui détermine ce choix?
Je n’ai longtemps pratiqué que le noir et blanc, car j’aimais beaucoup le laboratoire photographique, faire de beaux tirages barytés, et rêver dans le noir. Mais depuis quelques années, j’utilise presque exclusivement la couleur, même s’il m’arrive de charger mon Leica M6 avec une Tri X Pan. Cela dépend des couleurs de l’âme et de l’esprit des séries.
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Comment retravailler-vous vos images et quels effets recherchez-vous ?
Je demeure un photographe plutôt qu’un pixelgraphe...Ce qui me guide toujours, c’est la logique de la lumière à la prise de vue. En couleur, je travaille souvent avec un tireur analogique qui fait du tirage traditionnel. J’ai encore chez moi mon laboratoire noir et blanc, même si, comme tout photographe, j’utilise l’ordinateur pour archiver mes images.
Quel regard portez-vous sur l'évolution technologique du matériel photo ?
J’aime encore les boitiers argentiques, les Rolleiflex bi-objectif, le Leica M6, ma chambre en bois 4 x5.
Je n’ai fait qu’une seule série en numérique, elle s’intitule Love Birds. Tout le reste de mon travail est fait avec du film. Je ne recherche pas la performance technologique du numérique. Je préfère les petits boîtiers compacts type Ricoh GR3 avec des optiques fixes (le 50mm), je rêve de l’appareil idéal qui serait proche du Leica, mais à un coût moindre que le dernier M qui vient de sortir. Un boîtier léger, discret, que je pourrai toujours avoir dans ma poche. Ce ne serait dans tous les cas qu’un complément de mes boitiers argentiques.
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Vous réalisez également des livres d'artiste. Comment associez-vous cette pratique à la photographie ?
Le livre de photographies est le cœur de mon travail, c’est lui qui guide mes projets souvent plus que les murs des galeries. Peut-être est-ce en rapport avec mon goût pour la poésie. Je fréquente la photographie bien plus par le livre que par les expositions. Chez moi, j’accroche des petits tirages sur un mur et, les livres se font, se construisent petit à petit, très lentement. C’est comme cela que j’ai construit Le Cercle, Fuga ( éditions Filigranes) , Baby Box et Paysages de l’âme (éditions Diaphane).
Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
J’ai repris depuis quelque temps mon travail de commande. Je suis en résidence photographique au Domaine de Kerguéhennec, dans le Morbihan. Je travaille à la chambre 4X5 inch, sur le paysage en suivant une rivière. Je réalise par ailleurs, dans une maison de retraite à Lorient, des portraits/paysages de quatre personnes âgées avec lesquelles je travaille depuis septembre 2012.
Et puis j’ai le projet de reprendre tout mon travail photographique en 24x36 depuis mes débuts et d’en faire des petits livres, chapitre par chapitre, de les publier au fil du Temps. Cela s’intitulera Roman ou l’enfant-photographe. J’ai commencé les maquettes, un carnet qui me suit partout dans lequel je colle mes images.
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Propos recueillis par Manon Froquet