© Benoit Capponi
Benoit Capponi utilise principalement des techniques argentiques et des procédés alternatifs. Il aime la photographie qui touche à l'artisanat et aux matières.
En 2012 il est exposé à La Capsule, avec sa série «jeux de ville» réalisée au sténopé. Les échanges mutuels du « collectif 37ème vue » dont il est membre ont joué un rôle certain dans l'affirmation de ses choix artistiques. Qu'il utilise le sténopé ou un autre dispositif, la cohérence de la démarche photographique et le plaisir sont au centre de son propos.
© Benoît Capponi
Comment et quand avez-vous fait la rencontre du sténopé comme outil photographique?
Je ne m'y étais pas vraiment intéressé avant une occasion particulière. Lors de stages et d'ateliers de laboratoire argentique noir et blanc, on me demande un jour de travailler sur les surfaces sensibles avec un public plus jeune.
En plus de m'être beaucoup amusé en construisant et en utilisant ces « appareils photo » avec des enfants, je me suis piqué au jeu grâce à la simplicité de l'outil, aux possibilités de construire un outil photographique sur mesure. Certes, il impose un caractère bien particulier aux images qu'il produit, mais il peut être conçu et façonné par le photographe pour se mettre au service de sa fantaisie et de son imaginaire.
Pourquoi utilisez-vous ce medium ?
Je suis loin de ne photographier qu'au sténopé, bien sûr. Je fais partie de ceux qui ont fait le choix de proposer des images et de construire un univers visuel qui n'est pas une reproduction de la réalité. Les images sont d'abord un support d'imaginaire et d'émotion sensible.
Le sténopé autorise un grand nombre d'exercices de style, et peut produire des photographies au caractère très particulier : une netteté imparfaite mais pourtant infinie, un cadrage un peu aléatoire, des possibilités inédites de travailler sur l'angle de vue et les déformations géométriques. Mais aussi, un étagement des plans de l'image, éloigné de la vision de l'oeil, des temps de pose forcément longs qui imposent de prendre en compte la dimension du temps...
C'est l'un des outils possibles pour produire une photographie poétique et onirique, qui fasse appel à l'émotion. Je veux que le spectateur y trouve sa place, qu'il puisse interpréter, se raconter, s'approprier l'image.
Dans mon approche de la photographie, la dimension ludique est très importante, d'un bout à l'autre de la chaine de production d'une image. Le sténopé est un terrain de jeu vraiment intéressant à explorer. C'est bien sûr pour tout cela, mais avant tout par plaisir que j'utilise beaucoup de sténopés.
© Benoît Capponi
Selon vous, quelles sont les contraintes et les avantages liés à la photographie au sténopé?
Il y a des contraintes techniques inhérentes à l'outil, essentiellement liées aux temps de pose et à la netteté imparfaite, qui interdisent beaucoup de champs d'application courants en photographie. Pas question par exemple, de faire au sténopé du reportage au sens classique du terme ! Il faut donc s'éloigner d'une quelconque notion de reproduction de la réalité, et réserver l'utilisation du sténopé à des images très interprétées. Mais ces contraintes techniques peuvent, dans le champ artistique, devenir de vrais avantages pour imaginer d'autres images.
Quel type de Sténopés utilisez-vous ?
J'ai commencé par des bricolages à partir de matériaux simples, pour les besoins d'activités éducatives menées avec des enfants : boîtes de toutes formes et tailles, trous confectionnés dans du papier aluminium...
Très vite, il a fallu améliorer la qualité et la précision du trou, qui conditionne tout. Aujourd'hui, je n'utilise que des trous préfabriqués et calibrés. J'en ai adapté sur des boitiers de récupération, ou sur des boitiers spécialement construits, en bois. J'ai même un modèle acheté tout fait. J'utilise du film et j'ai des « boîtes » qui vont du 6x6 au 4x5 pouces en passant par le 6x9. Certains permettent des déformations de l'image en jouant sur la planéité du film.
Avez-vous recours à un autre type d'appareil que le sténopé, pourquoi et comment cela influence-t-il votre travail?
Oui bien sûr, le sténopé n'est vraiment réservé qu'à certains types de travaux. Pour le reste, j'utilise essentiellement des appareils moyen format ou grand format, le plus souvent en argentique et en noir et blanc.
Votre démarche est-elle expérimentale ?
En sténopé, pas vraiment. Les bases techniques du sténopé sont assez simples, il serait exagéré de parler de démarche expérimentale dans mon cas. Certains sténopistes vont très loin, construisent des appareils qui leur permettent d'explorer des voies très originales: des appareils circulaires à trous multiples, des pliages de surfaces sensibles à l'intérieur des boîtes... Ces démarches nous emmènent plus loin que l'image seule. Le support, la forme en font déjà des oeuvres plastiques. Pour ma part, je reste le plus souvent sur des sentiers beaucoup plus balisés.
Que représente pour vous l'acte de photographier, que cherchez-vous à capter et à transmettre?
Lorsque je propose une image à la vue d'un spectateur, c'est un reflet de mon imaginaire qui est sur le papier. J'aimerai que ce reflet puisse être un support, un prétexte pour que l'imaginaire du spectateur puisse s'en saisir et le réinterpréter. Souvent, il s'agit d'une image sur laquelle chacun peut raconter sa propre histoire, qui peut être très différente de celle que j'ai pu me raconter en la faisant.
L'une de mes dernières séries, réalisée avec Tomas Bozzato, mettait en scène des jouets d'enfants dans des environnements urbains. Nous avons eu la chance, récemment, de pouvoir observer les réactions souvent amusées des spectateurs lorsqu'ils découvraient les images de l'exposition, et de les voir, souvent en famille, s'inventer leurs propres histoires, les confronter, entre eux ou avec nous. Il s'agit plus de provoquer l'imagination que de transmettre.
© Benoît Capponi
La ville semble au cœur de vos travaux photographiques, qu'est ce qui vous attire dans cette thématique ?
C'est là que je vis, c'est simplement l'univers que j'explore le plus facilement. Et puis, comme il s'agit de provoquer l'imaginaire, la ville est un territoire de jeu extraordinaire. C'est un lieu qui a des sens multiples, sur lequel chacun projette des fantasmes.
Les espaces urbains superposent des strates, des époques. La ville est un objet qui ne cesse de changer, mais qui dure dans le temps. C'est comme un gigantesque réservoir de traces visuelles, et ce que nous voyons peut revêtir pour chacun d'entre nous un sens différent.
On ressent également, un questionnement autour de la notion d'inanimé et de présence. Est-ce ce que vous avez voulu communiquer ?
Forcément, mais c'est plus une conséquence logique des thèmes traités et de la manière de photographier. Puisqu'il s'agit d'une photographie qui s'éloigne de la figuration, on y perçoit d'avantage l'inanimé, l'image fantasmée, des présences, des émotions, qu'une quelconque reproduction du réel. Pour autant, je ne parlerais pas de questionnement.
Vous dites aimer la photographie qui prend son temps. Comment le rapport au temps s'inscrit-il dans vos travaux ?
Du point de vue de la réalisation, de la préparation d'une image, du déclenchement même, j'ai besoin de temps.
Ma manière de photographier s'accommode très mal de l'immédiateté, de la rapidité. Je suis beaucoup plus à l'aise en tournant autour du sujet, au propre comme au figuré. Il y a quelque chose de très contemplatif dans cette pratique. C'est une des raisons qui font que j'utilise des techniques qui obligent à prendre ce temps : les techniques argentiques et procédés anciens, le sténopé... Que je le veuille ou non, je ne déclenche pas de la même manière selon les outils que je vais utiliser, numériques ou analogiques.
Le temps apparaît aussi dans l'image elle-même, et c'est une manière, de ne pas figer l'image dans un sens, ou de ne pas en faire un discours. Bien souvent, c'est une façon de mettre à distance la figuration et d'intégrer une dimension temporelle dans l'image fixe. Par exemple, en utilisant des temps de pose longs, ou en concevant les images à partir de multi-expositions dès la prise de vue.
Vous utilisez principalement le noir et blanc, qu'est ce qui détermine ce choix?
Pour les mêmes raisons que celles dont je viens de parler. Eliminer la couleur, c'est un premier moyen de s'affranchir du réel. Ou plus exactement, c'est déjà en soi une interprétation du réel. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas le faire en couleur, bien entendu, mais mes incursions dans ce domaine sont rarissimes.
Il y a aussi sans doute une déformation personnelle : j'ai appris le laboratoire argentique en noir et blanc très jeune. Et lorsque l'on maîtrise des techniques, on sait les exploiter, c'est à partir d'elles que l'on construit son univers artistique. Je ne me suis jamais dit « tiens, je ne vais photographier qu'en noir et blanc ».
Par exemple, la maîtrise du laboratoire me permet de travailler moi-même sur toute la chaîne, jusqu'à la production d'une image matérielle. Je pense ici à un tirage sur papier ou sur toute autre surface.
La matérialité de l'image est très importante pour moi. Je pense qu'une photographie, c'est avant tout un tirage, sur un support adapté à l'image. Je suis d'ailleurs très frustré de devoir numériser les tirages pour les montrer sur des écrans. Surtout après avoir fait tant d'efforts pour obtenir un rendu et une matière, choisi des papiers ou des supports.
Selon moi, le seul endroit pour vraiment regarder une photographie, c'est une exposition, avec un vrai tirage!
En couleur, et plus encore en numérique, je serais obligé de laisser à d'autres, et parfois même de standardiser, toute une partie de ce travail. En ce qui me concerne, il fait partie intégrante de la production d'une photographie d'auteur. Même si c'est un peu simpliste, je fais volontiers le parallèle entre la musique et la photographie : le compositeur écrit une partition comme on prend une vue, et le musicien l'interprète, tout comme le fait le tireur. Je tiens beaucoup à ces deux occasion de jouer, physiquement, avec la lumière.
© Benoît Capponi
Quel regard portez-vous lors de la découverte de vos photographies, êtes-vous surpris ?
Il y a une forme de surprise avec certaines techniques comme le sténopé, ou les multi-expositions. Mais la prise de vue est quand même assez contrôlée. L'acte de photographier ne se limite pas au déclenchement, même si c'est souvent celui-ci qui est valorisé. Je considère que le travail de développement et plus encore de tirage (ou de post production) sont au moins aussi importants. Sur cette partie du travail, la surprise n'est pas tellement de mise. Au contraire, on est dans le contrôle total, alors qu'on a accepté une part d'aléatoire à la prise de vue. C'est un peu paradoxal, mais c'est vraiment une démarche différente.
La vraie surprise peut venir plus tard, au moment du contact de la photographie avec le regard du spectateur. C'est la seule chose vraiment importante : que quelque chose se passe à ce moment là.
Comment retravaillez-vous vos images et quels effets recherchez-vous ?
Comme je ne travaille que sur des surfaces sensibles et le plus souvent sur film, c'est seulement au laboratoire que je retravaille mes images, sous l'agrandisseur.
Les effets recherchés dépendent de chaque image, de chaque série, du caractère que l'on veut lui donner. Au sténopé, l'envie me vient de plus en plus souvent d'aller beaucoup plus loin dans le travail d'interprétation, tant le potentiel me paraît riche. Jusqu'ici, je constate que j'ai plutôt tendance à ne pas suffisamment explorer ces directions.
Y a t-il des photographes ou des figures artistiques qui vous inspirent?
Je vais me limiter aux premiers photographes qui me viennent à l'esprit. Ils ne sont pas forcément très connus d'ailleurs. Parmi eux, des spécialistes de techniques anciennes comme Jean Claude Mougin et ses magnifiques séries au platine. Chez Alexei Alexeev, j'ai été très marqué par les séries autour de l'univers d'Alice. Bérengère Haëgy, elle, maîtrise avec une patience infinie la fabrication d'images impossibles. Jérôme Tanon renouvelle avec inventivité et une vraie personnalité la photographie en montagne.
Enfin des « sténopistes », j'ai un attachement particulier pour les oeuvres de Patrick Caloz ou d'Alain Etchepare, entre autres.
J'aurais pu en mentionner bien d'autres, mais en citant ces premiers exemples qui me viennent à l'esprit, je retrouve une constante à laquelle je suis sensible : c'est la cohérence de la démarche et du propos. Ainsi que la large place laissée à l'imaginaire du spectateur, c'est toujours une photographie au fort caractère et un univers affirmé.
C'est très frustrant de ne citer de quelques noms parmi toutes celles et ceux dont je pourrais parler ici !
Quel regard portez-vous sur l'évolution technologique du matériel photographique ?
J'ai un regard curieux, bien sûr. Puisque les outils de la photographie, ont formidablement évolué et ouvrent des champs de possibles inédits pour la photographie artistique.
Mais à part la rapidité du médium, surtout intéressante dans les applications professionnelles. Les évolutions les plus importantes en matière d'exploitation artistique, se situent plus du côté de la post-production et des logiciels de traitement, que du matériel de prise de vue en soi.
La production de l'image se simplifie et se démocratise. Parce que le progrès technique met la production et la diffusion d'une image techniquement acceptable presque à la portée de n'importe qui. Ce qui pose des questions bien plus capitales que celles du choix d'une marque d'appareil ou des caractéristiques d'un capteur. Sans s'étendre sur ces questions, cela entraine un bouleversement des conditions de l'exercice d'une profession, une révolution dans les usages de la photographie et dans le statut de l'image.
A mon sens, la seule chose qui compte vraiment dans le choix d'un outil, c'est son adaptation au projet auquel on le destine, et la maîtrise que l'on en a.
Pour du reportage d'actualité par exemple, et pour la plupart des applications professionnelles, il est impensable ou très difficile d'utiliser autre chose que la chaîne numérique. Pour une production artistique, tout reste beaucoup plus ouvert et cela dépend seulement des choix de l'artiste.
Personnellement, je ne maîtrise pas assez la post-production informatique pour arriver à en exploiter tout le potentiel. La rapidité d'exécution de l'outil serait davantage une gêne au regard de ma manière de photographier, plutôt lente et introspective. Pour l'instant, je réserve donc mon appareil numérique aux images qui sont de l'ordre de l'illustration.
Le matériel ne se juge qu'au regard de l'usage que l'on en a.
Avez vous des projets en cours ou à venir ?
Oui, je crois que l'on a toujours plusieurs fers au feu. Je réfléchis, sans l'avoir commencé, à un projet de « portraits fantasmés », autour de personnages littéraires, mythologiques ou de l'imaginaire collectif. J'aimerais demander à des modèles de s'approprier les personnages auxquels ils sont attachés, pour travailler ensemble à une galerie de portraits irréels.
Mais celui qui m'occupe le plus actuellement, n'est pas au sténopé. Il s'agit d'une série à la chambre photographique et au moyen format sur les lieux de combats de la première guerre mondiale. Je cherche à construire une évocation de la dimension purement humaine de ce conflit. En photographiant tels qu'ils sont aujourd'hui, les lieux très précis où des combattants ont vécu, et à propos desquels ils ont écrit dans des carnets, dans des lettres à leur proches... C'est un projet en cours depuis longtemps, j'en suis aujourd'hui presque à mi chemin. Le travail de documentation et de préparation est important.
Le travail de Benoît Capponi est à retrouver sur son site : http://gris18.com/
Propos recueillis par Manon Froquet