Chim (David Seymour), Femme avec un bébé écoutant un discours politique - près de Badajoz, mai 1936 © Estate of David Seymour / Magnum Photos
Musée d'art et d'histoire du Judaïsme 71, rue du Temple 75003 Paris France
L'exposition retrace la guerre d'Espagne vécue par Gerda Taro, la compagne de Capa disparue en 1937, David Seymour, dit Chim et Robert Capa.
Considérée comme perdue pendant 70 ans, elle a refait surface à Mexico en 2007 et sa découverte a été officiellement annoncée en 2008.
Cette mystérieuse valise est composée de trois boîtes de rouleaux de pellicules et de deux carnets, soit au total 4500 négatifs. Des clichés réalisés avec un Leica, un appareil léger, maniable et rapide, qui détrônait alors la chambre photographique, rendant possible de tels reportages.
« La valise Mexicaine » a été exposée à New York en 2010 (ICP), aux Rencontres d’Arles en 2011, puis à Barcelone, Bilbao et Madrid. Elle est aujourd'hui dévoilée à un public français au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme de Paris.
Boîte rouge de la valise
© International Center of Photography
Eprouver un conflit
Patrick Bouchain réalise une scénographie qui nous transporte en Espagne au coeur d'un univers militant et populaire. On ressent dans cette mise en scène la résurgence de la dimension sociale du combat républicain.
L’exposition est rythmée par 32 sections offrant un véritable panorama de la guerre civile espagnole. Les photos on été prises entre 1936 - soit avant le début officiel du conflit - et 1939, lorsque Franco déclare la victoire des armées nationalistes après la chute de Madrid.
Leurs photographies sont le témoin de la montée des tensions, conséquences des malaises sociaux. De trois années d'une guerre civile sanglante et ce jusqu'à la création de camps d’internement en France.
Cette démarche documentaire restitue d'une part un véritable fond historique et d'autre part la réthorique de Gerda Taro, Capa et Chim.
Une scénographie fidèle aux reportages des photographes
La scénographie, composée de« Ruban, chevalets et banderoles, accentue le mouvement dynamique des clichés photographiques de Capa, Chim et Taro. » selon les propres mots de Patrick Bouchain. nous livre cette valise mexicaine avec transparence. Le MAHJ nous dévoile, pour la première fois, l’ordre de la prise de vue ainsi que certaines images totalement inédites.
L'exposition mêle planches contact, clichés et parutions de journaux d'époque. Des planches qui interrogent la pratique du photographe qui tourne autour de sa cible avant de la "shooter" en plein conflit armé. L''essence du métier de photographe de guerre étant là, ce que Michel Poivert appelle, "l'informe de l'information".
De plus, ce matériel nous confronte au choix de la "bonne photo" parmi la séquence. Une sélection qui fut celle des rédacteurs en 1936 et du scénographe en 2013. En effet, celui-ci réecrit l'histoire en décidant de poser certains clichés sur des trépieds.
Néanmoins, dans la pratique, il s’avère que les chevalets rendent l'espace plus contigu qu'il ne l'est déjà. A cela s'ajoute leur instabilité, qui oblige à trop de précaution, détournant de la Photographie et de l'Histoire.
Gerda Taro, Spectateurs de la procession funéraire du Général Lukacs
Valence, 16 juin 1937 © International Center of Photography
Au delà de clichés trop longtemps dissimulés aux yeux de tous, on découvre avec cette exposition la philosophie de trois photographes. Pionniers, Taro, Chim et Capa, façonnent en trois ans ce qui constituera les fondements du statut de photoreporter. « La valise Mexicaine » au MAHJ est avant tout « l’histoire de trois célèbres photographes juifs, totalement investis dans la cause républicaine, qui, au prix de risques considérables, s'engagent dans la photographie de guerre. »
Leur engagement à travers la presse
On découvre des photographies de reportage portant en elles une histoire humaine, et dont la publication, plus proche du militantisme que de la neutralité journalistique, révèle une position antifasciste.
Il s'agit, en effet, de l'apparition de l'une des premières guerre des images racontée par le quotidien de Maurice Thorez, Ce soir, créé en 1937 pour concurrencer Paris-Soir. On peut, tout au long de l'exposition, suivre les publications du quotidien qui sera arrêté à la fin du la guerre pour des raisons politiques, en même temps que l'Humanité.
Robert Capa, Le général Enrique Líster et André Malraux (à droite), front catalan, fin décembre 1938 – début janvier 1939
© International Center of Photography / Magnum Photos – Coll. International Center of Photography
Le récit s'expose en photo séquence, les messages visuels et écrits sont exacerbés, c'est la consécration du récit photo en Europe. Cette construction narrative et émotionnelle des événement introduit également l'entrée de la photographie dans l'espace populaire.
En effet, Brian Wallis (commissaire d'exposition à l'ICP) affirme qu' :
«(…)à travers une série ou une séquence d’images, ils voulaient construire un récit émotionnel des événements, qui ressemble beaucoup à un scénario de film ou à des actualités filmées. Cette démarche nécessitait des images non seulement des temps forts, mais aussi des moments paisibles, des accalmies, des moments liés à la mort et au silence. Ces séquences de petits événements devinrent alors le fondement des récits photographiques, choisis et mis en page par d’astucieux directeurs artistiques dans les nouveaux hebdomadaires photo populaires en France et dans le monde. ».
Les publications de Chim , Capa et Taro participaient alors à cette révolution de la presse, dont l'héritage trouve encore un écho aujourd'hui.
Ces trois reporters ont donné ses lettres de noblesse au photoreportage engagé. La guerre civile espagnole attise les enjeux liés à la propagande et dans cette guerre des idées, le trio photographique a choisi son camp : l'éloge de la lutte républicaine.
Des photos au plus près du peuple
Outre la dimension tragique liée à cette guerre, l'approche de Chim, Capa et Taro est boulversante. Ils sont au plus proche des civils, témoignant des impacts de la guerre sur cette population que l'on sent si proche d'eux. Comme cette photographie de Robert Capa,Exilés républicains marchant sur la plage vers un camp d'internement prise en mars 1939 : elle condense à elle seule l'histoire du XXème siècle.
Robert Capa, Exilés républicains emmenés vers un camp d’internement
Le Barcarès, 1939 © International Center of Photography / Magnum Photos
Les trois photographes, eux même exilés, traitent la question des réfugiés avec brio. La dimension collective est centrale dans ces photographies. Ainsi, La parade de Bilbao, immortalisée par Chim, ainsi que la photographie d'un groupe devant la morgue de Gerda Taro affichent les retombées populaires du conflit.
Et puis l'effort collectif s’efface au profit de la représentation de figures individuelles, notamment des portraits, encore éclatants aujourd'hui.
Le regard est capté, dignité et héroïsme sont de mise, et l'on entend presque raisonner les chants républicains au sein des ruines, de la vie quotidienne, mais aussi des combats.
Les liens qui unissent les trois photographes juifs exilés sont indéniables, c'est une même vision au coeur de l'action qui s'exprime dans leurs travaux.
Néanmoins, l'exposition groupée de «La valise mexicaine» n'atrophie aucunement l'expression de leurs individualités et de leur sensibilité.
Robert Capa, Le général Enrique Líster et Ernest Hemingway (à droite)
Móra d’Èbre, front d’Aragon, 5 novembre 1938
© International Center of Photography / Magnum Photos – Coll. International Center of Photography
Riches de leur convictions antifascistes, les photographes endossent le rôle d'acteur engagé politiquement et physiquement dans le conflit. Le terrain comme fil conducteur, ils sont au plus près du drame de la population espagnole qu'ils ne comprennent que trop bien, ayant été eux mêmes chassés de leurs pays pour leurs convictions.
Au fil du temps, la proximité est devenue la signature de Robert Capa : « Si la photo n’est pas bonne, c’est que vous n’êtes pas assez près. ». déclarait-il. Ce que nous rappelle amèrement les clichés de la bataille de Brunette, où Gerda Taro perdit tragiquement la vie.
Ses deux compagnons mourront également sur le terrain quelque années plus tard, Capa en 1954 en Indochine et Chim à Suez en 1956.
Fred Stein, Gerda Taro et Robert Capa sur la terrasse du café Le Dôme à Montparnasse
Paris, début 1936 © Estate of Fred Stein - International Center of Photography
Ces trois fondateurs de la photographie de guerre moderne, laissent derrière eux une valise mythique, qui aujourd'hui encore nous éclaire sur l'Espagne franquiste.
Pour ceux qui veulent comprendre l'histoire du photoreportage, « La valise mexicaine» présentée par le Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme est une exposition incontournable.
Jamais la guerre n'avait été photographiée de cette manière, au plus près de l'action. Néanmoins, si les conflits perdurent au XXIe siècle, leur nature a profondément changé, comme le statut de photoreporter.
En pleine crise du photojournalisme Taro, Capa et Chim incarnent l'âge d'or de la photographie de guerre.
Laura Béart Kotelnikoff et Manon Froquet