© Mark Thiessen / National Geographic
Reza, est un photojournaliste Français d'origine Iranienne et fondateur de l'association humanitaire Aina visant à promouvoir le processus de démocratisation et de participer à la reconstruction de la société civile dans les pays où elle est présente.
Photoreporter de renom, c'est avec la douceur et la passion qui le caractérisent, qu'il a répondu à nos questions à l'occasion de la journée internationale des femmes. A cette occasion, il présentera dès le 8 mars son exposition « Femmes, entre luttes et grâce » à la mairie du IX arrondissement de Paris.
Vous dites: "Celui à qui on ne donne pas d'armes intellectuelles et culturelles retournera à son unique référence. La culture de la guerre engendre la guerre. " Est ce qu'il s'agit du Leitmotiv de Aina World? et Pouvez vous nous parler de cette association? et du regards des femmes que vous chercher à développer?
Le concept de la formation est basé sur l'observation du terrain, une observation photographique et humanitaire. J'en ai conclu qu'il y-a deux types de destructions : la destruction physique et matérielle, celle des routes, des bâtiments, et celle du corps. Mais on peut y remédier, on peut reconstruire, c'est ce que font les associations humanitaires et les Nations Unies. Et il y a le traumatisme, la destruction de l'âme, une blessure invisible à laquelle on ne peut remédier. Le traumatisme peut perdurer jusqu'à la fin de la vie.
99 % des organismes humanitaires ne font que reconstruire le physique, ils s'occupent de la santé ou de l’éducation. On reconstruit des écoles et des hôpitaux qui sont par la suite transformés en étables... L'éducation, la santé ce n'est pas matériel.
Un enfant dont on tue les parents sous ses yeux, peu lui importe l'école reconstruite, il va venger son père. La difficulté est de couper le cercle de la vengeance.
En France, aux Etats-Unis, après un événement marquant, une crise sociale, on envoie une armada de psychothérapeutes pour parler aux adultes, aux enfants. Une cellule de crise est mise en place parce qu'on a conscience de cette nécessité d'aide Psychothérapeutique.
Mais pourquoi ne fait on pas cela en Afghanistan, où l'on vit depuis 30 ans sous les bombes, ou au Rwanda où il y a eu un génocide, au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie? C'est seulement assez bien pour les écoliers Français ou les Américains ?
Pour moi, la meilleure psychothérapie peut passer par les femmes. Elles sont des mères, elles savent parler aux enfants et elles sont pour l'éducation, pour la paix, plus que l'incitation à la guerre.
Ensuite, je me suis demandé, quelles femmes pouvaient faire passer massivement un message? La réponse est évidente : les journalistes, les artistes, cinéastes, acteurs...
Ces différentes étapes sont le cheminement vers le « Comment faire ? ».
C'est dans cet esprit qu'en 2001 s'ouvre à Kaboul un centre de formation avec une grande partie de femmes avec l'association Aina. Elles sont formées à tout ce qui touche aux médias et à la culture de la communication, la photographie en fait partie.
C'est une école de formation médias pour le développement, les médias pour le changement social, les médias pour réparer une société civile endommagée.
On a formé plus d'un millier d'Afghans dont quelques centaines de femmes.
Une radio a été lancée: « La voix les femmes afghanes », elle émet 11h par jour, et n'est constituée que de femmes. Il y a également des photographes exposées, ayant reçues des prix, des vidéastes dont le premier documentaire a été nommé aux Emmy Awards...
La plupart de ces femmes ont eu des prix de liberté, de courage...
Cette formule fonctionne et c'est pour cela qu'on veux l’importer dans les autres pays, et pour cela que nous avons pour ambition de créer une fondation, pour tous ces projets et ce sous mon nom.
© Reza/ Webistan
Pouvez vous nous parler de l'Iran votre pays d'origine? De la révolution et la place d'une femme en Iran?
L'Iran, aujourd'hui, est la plus grande prison du monde, Gaza étant la seconde.
Les clergés, les gens qui ont pris le pouvoir ont également pris au piège tous les iraniens, hommes et femmes confondus, et ils vivent l'enfer.
Le régime est corrompu, il possède plus d'argent que jamais dans son Histoire et en même temps, le peuple est plus pauvre que jamais.
Dans les 8 dernières années années, la vente de pétrole Iranien est équivalent à plus de 100 ans de ventes. Avec le pétrole, ils ont gagné plus que durant les 100 ans dernières années. Et pourtant, au cours des 8 dernières années le peuple n'a jamais été aussi pauvre, opprimé et sous tension.
Que pensez vous de la place d'une femme photojournaliste dans cet univers masculin?
Je pense que le métier de photojournaliste, comme beaucoup d'autres, a commencé par être un métier masculin car en réalité ce n'était pas imaginable que les femmes puissent faire ce métier. Dès lors, peu de femmes était formées pour des raisons de conditions physiques ou autres.
Mais finalement, petit à petit , on voit que les femmes font certains métiers mieux que les hommes. Si on y réfléchit, au départ il n'y a avait pas de femmes qui gravissaient l'Everest.
C'est pareil pour ce métier, il y a peu de temps les femmes n'entraient pas dans les zones de guerre.
Personnellement, j'ai toujours voulu aider les femmes, car étant sur place, je voyais qu'il y avait des sujets que nous les hommes nous n'arrivions pas à capter. Ces sujets, il faut des femmes pour les faire.
Apres certaines jouent les hommes, les garçons manqués et cela bafoue les situations, les relations. Elles pensent qu'en faisant la même chose que les garçons cela passe mieux mais je pense qu'elles ont tort.
En revanche, celles qui font un vrai travail photographique en restant elles-mêmes, on voit la différence de travail entre elles et les hommes. Celles qui viennent par conviction, passion, Amour de l'autre, elles arrivent à pénétrer profondément les projets, sujets que les hommes n'arrivent pas a faire.
Quels sont les avantages d'une femme selon vous?
Pour moi, c'est l'attention portée aux femmes par l'ensemble des gens sur place.
Même les plus durs guerriers, militaires, mafieux ou même journalistes sont plus tendres avec les femmes.
De mon point de vue, elles sont moins menacées, agressées, attaquées que les hommes sur place.
Et elles ont accès à beaucoup plus d'endroits que nous. Elles peuvent entrer dans l'intimité des être, de la famille, l'intimité des femmes certes, mais même l'intimité des hommes est plus ouverte aux femmes.
© Reza/ Webistan
Que pensez vous des propos de Gali Tibbon quand on lui demande quels sont les avantages d'être une femme photojournaliste: "Je pense que notre principal avantage est la capacité de transformer un inconvénient en quelque chose de positif. Nous avons tout simplement un angle de vision différent, moins prévisible, souvent plus frais et particulier. D'une certaine façon, c'est comme si quelqu'un ne vous laissé pas entrer par la porte, vous êtes obligé d'essayer de pénétrer par la fenêtre. Et ce que vous obtenez à partir de la fenêtre est toujours très intéressant."
Je pense qu'en réalité les portes sont plus ouvertes pour les femmes que pour les hommes. Les femmes ont beaucoup plus la possibilité d'entrer par les portes que nous les hommes sur le terrain.
Comment percevez-vous l'évolution du statut de femme reporter dans l'Histoire?
Il y a 30 ans il y avait 3 femmes photographes : Christine Sprengler, Francoise Demulder et Catherine Leroy. Aujourd'hui il y a beaucoup de femmes sur le front. Et cela augmente encore.
Néanmoins, pour moi, on les a toujours prises au sérieux.
De plus, certains sujets n'auraient jamais existé sans les femmes.
Vous photographiez énormément la femme, pourquoi? Quel a été l'élément déclencheur de cet intérêt?
C'est évident, les femmes sont belles et les photographes aiment la beauté.
Plus sérieusement, j'ai compris que les vraies victimes des guerres étaient les enfants et les femmes, ceux qui souffrent vraiment. Cette prise de conscience m'a amené à travailler d'avantage sur eux.
Pour moi, la paix ne peut venir que des femmes, il faut les promouvoir. Peut-être que si on arrivait à avoir plus de femmes à l'Assemblée Nationale ce serait mieux pour la démocratie.
Qu'est ce que c'est être une femme en Afghanistan ?
J'ai beaucoup travaillé en Afghanistan, d'ailleurs parmi les femmes photographes Farzana Wahidi, formée à Aina World et à l'AFP, est très talentueuse. Elle a réalisé un des meilleurs reportages à l’intérieur de l'Afghanistan.
Nous essayons de donner une image positive du pays, de montrer l’amélioration mais c'est compliqué. Le changement de mœurs n'est pas évident, c'est toute une génération qui doit avancer. Beaucoup de personnes pensaient qu'une fois les talibans partis, les femmes enlèveraient leurs burqas mais la liberté est un processus long à mettre en place.
Un changement culturel prend plusieurs générations et les femmes Afghanes vont encore avoir beaucoup de difficultés après le départ de l'armée.
© Reza/ Webistan
Que pensez vous de la journée de la femme? Est ce la première fois que vous participez à un événement en lien?
Avant dans la société, il était important de créer une journée de la femme, mais aujourd'hui est ce vraiment nécessaire ?
C'est comme si on disait qu'il y-avait une seule journée dans l'année dédiée aux femmes. Mais après on oublie ? Cela me dérange. Une femme doit être célèbrée tous les jours.
Et puis droit des femmes, droit des hommes, il n'y a pas de différence, je préfère la nomination des canadiens : droit humain.
Les canadiens avaient essayé de changer ce mot à l'Assemblé des Nations Unies et les français ont refusé de le changer.
Moi je suis pour le droit humain, c'est plus paritaire, égal, il n'y a pas de différence, pas de faveur.
Mais cette journée est une possibilité de parler de ce qui m'est cher, le droit humain, donc je suis pour.
C'est important que l'humanité prenne conscience du rôle que les femmes ont, et de leur souffrance également.
Les femmes sont les plus grandes victimes de la guerre mais elle sont aussi le vrai vecteur d'un changement prochain.
Que pouvez-vous nous dire de votre exposition du 8 mars ?
C'est ce que je viens d'expliquer, je veux montrer le rôle important que les femmes jouent dans la vie, dans le monde . Je veux montrer qu'elles souffrent énormément, que ce soit dans les guerres, les conflits, la pauvreté... C'est elles qui s'occupent de tout. Les femmes sont en première ligne de la guerre de la vie. Le vrai front de guerre dans la vie c'est les femmes et les enfants qui en sont les soldats.
Et c'est un front bien plus dur à supporter que celui des tranchés.
Enfin, il y a également des femmes qui font changer le monde, les mœurs, c'est cela que je veux montrer.
Quel espoir mettez vous en elle? Que pensez vous de la citation de Victor Hugo "Femmes, c'est vous qui tenez entre vos mains le salut du monde"?
C'est Victor Hugo qui a dit cela ou moi ? (Rires)
Tout ce que j'ai essayé d’expliquer dans cette interview, c'est cela. La place de la femme est essentielle.
Propos receuillis par Claire Mayer et Laura Béart Kotelnikoff`
Photos © Reza/ Webistan