Reporter photographe, née à Aix-en-Provence, Sarah Caron débute par des études de Lettres et de Civilisation Étrangère d'Espagne et d'Amérique Latine, point commun avec ses premières photographies, qu'elle réalise à Cuba en 1994 durant la crise des « balseros ».
La photographie va la mener en Amérique du Sud, en Asie, en Afrique et au Proche -Orient. C'est en 2007, que les commandes de la presse internationale l'emmènent en Afghanistan et au Pakistan. Ses reportages donneront naissance en 2010 à deux livres l'un photo, Pakistan/Land of the pure et l'autre un récit de ses reportages Le Pakistan à Vif édités par JC Gawsewitch.
Enfin, en 2012 elle reçoit le Prix Canon /AFJ de la femme photojournaliste. Rencontre avec une grande photoreporter, à l'occasion de la journée internationale de la femme.
Qu’est-ce qu'être une femme photojournaliste?
Pour moi, on est avant tout une personne, c’est dû à mon éducation. J’ai été élevée par des parents soixante-huitards, ouverts d’esprit, qui offraient un train à leur fille et une poupée à leur fils.
La première fois que j’ai ressenti ma condition de femme, c’était l’autre qui me renvoyait cette image. C'était le cas d'un rédacteur en chef : plus jeune, j’ai proposé un reportage sur l’immigration, et quand j’en ai parlé on m’a répondu « Ma petite Sarah, c'est trop difficile pour une femme de faire ce sujet ».
Je l’ai quand même fait, et à mon retour il a été beaucoup publié et a donné naissance à un livre Odyssée Moderne, aux éditions Images en Manœuvres.
J’avais fait mes preuves, et je n'ai plus été considérée comme une faible femme, mais comme une photographe.
C'est peut-être aussi dû à mon physique. J'étais danseuse classique, fine, timide et je faisais jeune, on disait de moi que j’étais frêle et on ne m’envisageait pas comme reporter.
Et puis je ne m’habille pas en treillis à Paris, mais plutôt de façon féminine. Mais tout cela c’est l’autre, la façon dont il vous voit.
Peut-être que la différence réside dans le fait que l’homme doit faire ses preuves en photographie tandis que la femme doit faire ses preuves avec ses photographies mais également sur le terrain.
Brigade des martyres d'Al Aqsa, Naplouse, 2006 © Sarah Caron
C'est un milieu initialement masculin, bien qu'on recense de plus en plus de femmes dans les agences. Quels sont pour vous les inconvénients d'être une femme?
Pour moi il n’y a pas d’inconvénients.
Quand on parle de femme photoreporter on pense aux inconvénients mais quels sont les avantages?
Il y a des avantages. J’ai des accès que les hommes n’ont pas. Par exemple, au Pakistan je peux être avec les femmes Pachtounes, tandis qu'un homme ne peut pas.
De plus, même auprès des hommes, j’ai des avantages, car en tant que femme européenne ils me laissent pénétrer dans des lieux interdits à leurs femmes. Mais ils continuent à me considérer comme une femme et ainsi me protègent, font attention à moi, ce qu'ils ne feraient pas avec un homme. La situation est idéale.
Que pensez vous de l'évolution du métier de femme photoreporter?
Je crois que pour la nouvelle génération les choses sont différentes. A présent, on sait que les femmes sont aussi capables que les hommes, elles n'ont plus besoin de faire leurs preuves comme auparavant.
Lahore 2012 © Sarah Caron
Ce métier est-il une « cam »?
On dit souvent que c’est comme une drogue, mais je pense que c’est une question de tempérament. On est de nature curieuse ou on ne l'est pas. On peut être curieux et voyager juste à côté de chez soi en écoutant, en s’intéressant, en prenant le temps de rencontrer l'autre.
Je pense que l'on fait ce métier, que l'on va dans ces pays car à la base on est curieux, et pas l'inverse.
Vous photographiez le Pakistan depuis quelques années à présent, avec entre autre Benazir Bhutto, que pouvez vous nous en dire?
Je suis partie photographier Benazir Bhutto pour une commande d'un portrait simple. Mais une fois sur place elle a été assignée à résidence et il se trouvait que j’étais à l’intérieur avec elle, cela a duré 4 jours. Je faisais des photos pour le Times a alors débuté une compétition avec Newsweek, les commandes se suivaient, cela a duré deux mois, et m’a permis de faire beaucoup de reportages au Pakistan.
Le petit vendeur de saints, Cuba, 2000 © Sarah Caron
Pourquoi avoir photographié deux fashion-week dans ce pays ?
Durant mes reportages, j'ai réalisé qu'il s'agissait d'un monde sans femmes, elles n’intéressaient personne. Hormis les Bhutto, mais c’était particulier, et j’avais vraiment envie de travailler sur les femmes pakistanaises.
Bien qu’elles ne soient pas particulièrement chaleureuses. En général, elles étaient détachées, condescendantes, nos rapports se résumaient à me demander si je voulais un café et si j'avais des enfants, ma réponse était négative et elles me regardaient avec pitié.
C’est pour cela que j’ai travaillé sur le monde de la mode au Pakistan, cela me permettait d’approcher enfin les femmes. Même si les mannequins restent un univers particulier.
Mais ce sujet sur les femmes pachtounes des régions tribales me hantait, je n’arrivais pas à le faire, j’hésitais, je ne savais pas si je devais le faire étant donné leur hermétisme.
Et il y a eu le prix Canon/AFJ qui m'a permis de consacrer du temps à ce projet et de l'aboutir, c’était ce que je cherchais depuis longtemps
Mannequin Pachtoune © Sarah Caron
Quel bilan faites-vous aujourd'hui? Quelle est la situation de façon générale au Pakistan et celle de la femme en particulier dans ce pays ou sévit la "Talibanisation"?
C’est un vaste pays, avec des conditions sociales différentes, des ethnies différentes mais je dirais que naître femme au Pakistan est une malédiction.
Pour les femmes de la « upper-classe », c’est plus simple, même si peu parviennent à faire des études, à avoir un métier, elles ont des problèmes au sein de la société.
En effet, c’est une société schizophrène, il y a beaucoup d'hypocrisie, certains comportements sont acceptés, mais les gens doivent continuer à se cacher pour les pratiquer, comme pour les rapports amoureux...
J’ai connu une femme professeur d’art plastique à l’université de Lahore, elle avait fait ses études au Canada et elle regrettait d’être rentrée, elle regrettait les parcs, les pique-niques, les promenades avec son petit-ami.
Après, être une femme dans les villages et les sociétés traditionnelles, c’est une horreur.
Elles n’existent que pour le clan. Elles existent pour faire plein d'enfants, les nourrir et faire d’eux des hommes pour qu'eux se battent ou travaillent, également pour le clan. Ou bien elles font des filles pour qu’elles se marient suivant des alliances qui arrangent une fois de plus le clan.
Il n’y a pas d’individualité, l'individu est le prolongement de quelque chose d'indissociable d'un ensemble, c’est comme les doigts de la main, on n'existe pas seul, on existe pour les autres.
Vous avez travaillé sur le veuvage en Afrique, en Inde et en Bosnie pourquoi ce sujet vous intéresse? Pouvez-vous nous en parler?
Il s’agit de trois différents types de veuvages, mais ils naissent tous d’un même questionnement : Comment fait une femme dans la société lorsqu’elle est privée de l’homme ?
Je me posais cette question en tant qu’européenne, et les sujets que j'ai choisi de traiter sont trois sociétés dans lesquelles on est moins que rien en perdant son époux.
Veuve Blanche, Inde 1998 © Sarah Caron
Quel est votre rapport à l'utilisation du noir et blanc ?
C’est réfléchi avant le reportage, il faut une adéquation entre le fond et la forme.
Les hijras en Inde, les ladyboys au Cambodge, les travestis à Cuba, strip-teaseuses au Chili… Il y a beaucoup de féminité dans votre travail, mais y a t-il une part de féminisme en vous?
C’est encore une fois dû à un questionnement : comment des hommes voudraient-ils devenir des femmes dans des pays où elles sont si peu considérées?
Pour les lady boys, j’étais au Cambodge et j’ai vu passer des tuk-tuks remplis d'hommes avec plein de fanfreluches. Je leur ai demandé où ils allaient et si je pouvais venir, ils allaient monter un spectacle de danse et de chant et voulaient bien de moi, alors je les ai suivis.
Dans ce pays, on pense que cette ambiguïté du genre est due à l’âme qui s’est trompé de corps, c’est accepté, et on leur donne un travail au sein de la société, un salon de coiffure ou de manucure… Mais au delà de cette perspective, il s’avère que les khmers rouges ont exterminé les lady-boys.
De la même façon, les travestis à Cuba appartiennent au monde d’avant Fidel Castro, au monde des cabarets…
Donc en réalité, ma ligne photographique est politique.
Veuve dans la boue, Cameroun, 2000 © Sarah Caron
Que pensez vous de la journée de la femme?
Je pense que malheureusement si on a encore besoin de faire une journée de la femme c’est que la situation n'est pas satisfaisante.
Qu’est ce que cela représente d’avoir reçu le prix Canon/AFJ de la femme photojournaliste 2012 ?
Avant, quand on me demandait ce que cela faisait comme différence d’être une femme photojournaliste, je répondais sur un ton agacé que je ne savais pas car je n’avais jamais été un homme dans une vie antérieure.
A présent, je suis obligée de me poser la question, et de répondre gentiment... Plus sérieusement cela m’a permis de faire ce reportage sur les femmes Pachtounes au Pakistan, de donner un visage et une existence à ces femmes qui ne sont pratiquement jamais au coeur de l'intérêt médiatique.
Sarah Caron expose actuellement sa série " Fashionistas " à l'hôtel Lutetia jusqu'au 30 mars prochain.
Propos receuillis par Laura Béart Kotelnikoff
Photos © Sarah Caron