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Alain Bizos, débute sa carrière en tant qu'assistant de l'artiste sculpteur Arman, figure majeur de l'art contemporain. Plasticien à ses débuts, il revendique la figure d'auteur photographe lorsqu'il participe en 1979, comme photo-reporter à la relance du magazine Actuel. En 1986, il fait partie, aux côtés de Christian Caujolle, des fondateurs de l'Agence VU' et y demeure longtemps très actif
Ayant pris ses distances avec la photographie de presse, il se consacre aujourd'hui à ses archives et réalise de nouveaux travaux de nature politique et critique.
Depuis ses créations new-yorkaises, jusqu'à ses oeuvres les plus contemporaines en passant par ses reportages pour la presse, la galerie VU' expose désormais l'étendue des travaux d'Alain Bizos.
Parlez-nous de votre exposition « En toute liberté » à la galerie VU' du 22 février au 6 avril prochain, puis du 12 avril au 11 mai
Cette expositions est en deux parties, parce que nous n'arrivions pas à choisir dans la quantité de choses que nous avions envie de montrer. C'est un peu chronologique, la première partie traite les années 70, 80 et la deuxième depuis Actuel jusqu’à aujourd'hui. Donc beaucoup de choses très variées et différentes, parce que d'après ce qu'on me dit j'ai un parcours un peu atypique.
Vous avez été l'assistant d'Arman. Quel est l'impact de cet homme dans vos travaux?
C'est d'abord sa personne et ses travaux avant-gardistes. Lorsqu'il s'est installé a New-York, je l'ai accompagné et j'ai eu la chance de commencer à vivre à New-York et de rencontrer toutes les personnalités du pop art, Wharol, Lichestein... J'ai fait la connaissance de plein de gens formidables qui m'ont de fait influencé, par leur personnalité, leur connaissance et leur travail évidement. J'ai donc subi l'influence de la vie artistique New-Yorkaise de l'époque et ces années passées là bas, grâce à Arman, ont étés très importantes.
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Ce milieu d'avant garde à New York a beaucoup influencé vos travaux
Oui, énormément. Au début des années 70, lorsque j'ai commencé, j'utilisais la photographie comme médium pour constater des choses, des actions, je faisais des séquences.
Comme par exemple dans ma série "vols qualifiés" présenté à l'exposition : je volais des objets dans des grands magasins, et le fils d'Arman me photographiait. Par exemple j'avais pris un jeu de croquet au BHV, j'étais sorti avec du magasin en le tirant en laisse. A l'époque il n'y avait pas encore tout l'électronique, donc c'était extrêmement facile, plus c'était gros plus c'était simple. Ensuite, j'exposais la séquence photographique, entre 5 et 10 images, qui montrait l'acte du vol. Un certificat accompagnait les images, qui stipulait le lieu et l'heure du vol et précisait que toute personne qui la possédait en était receleur aux yeux de la loi. Ce que je voulais, c'était impliquer tout le milieu artistique dans un acte illégal. Les galeries devenaient receleurs comme les collectionneurs qui achetaient les oeuvres.
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Vous n'avez jamais eu de problèmes avec ces « vols qualifiés » ?
J'ai exposé "vols qualifiés" en 1972 à Nice dans la galerie Ferrero. Un avocat collectionneur, m'avait pris une oeuvre en me disant qu'il me défendrait parce qu'il était sur que j'allais avoir des ennuis.
La presse a couvert l'évènement, avec des articles dans des journaux, des magazines d'art, mais c'est étrange, je n'ai jamais eu de problèmes. Avec "vols qualifiés", la démarche conceptuelle subversive de l'exposition s'inscrivait dans la continuité de ce que j'avais vécu en 1968 aux beaux arts.
Vous utilisez beaucoup la photographie sous forme de « séquences ». Pouvez-vous l'expliquer ?
Dès ma sortie des beaux arts, j'aimais bien raconter des histoires. Chez Actuel par exemple, je faisais souvent des sujets qui étaient parfois sur 12 - 14 pages, avec 80 photos, qui racontaient tout le reportage. Pour mon reportage en Afghanistan, on avait publié les images d'une attaque d'un migre Russe et aussi la photo de la grotte ou j'avais dormi pendant 15 jours avec les Afghans. On mélangeait, les constats journalistiques et les éléments un peu personnels de notre aventure, et c'est aussi pour cela que les récits photos d'Actuel ont été célèbres. J'ai donc commencé les séquences comme cela, pour raconter mes reportages.
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Comment voyez vous la figure de l'artiste reporter photographe aujourd'hui ?
Tout d'abord, c'est avoir un vrai point de vu totalement subjectif sur les choses, sur les images que l'on donne à voir, et surtout au moment ou on les fait. Cela se joue vraiment au niveau de l'écriture, l'identité qu'on amène au travers de ces images. Comme un alphabet propre que l'on construit petit à petit dans la vie par l'expérience, par l'échec.
Par exemple, je revendique le fait qu'on se dise "tient, c'est du Bizos" quand on voit mes images. C'est cette écriture qui nous donne cette position assez unique d'auteur et d'artiste, avec ce besoin de montrer nos images et de partager. Ce que je trouve très important c'est surtout de poser des questions, je dis toujours que l'art qui ne pose pas de questions, c'est de la décoration. Quand avec des images, on pose des questions, on participe de la vie, de la société, de l'évolution de notre espèce
Quels changements votre collaboration avec la presse a -t-elle apporté dans vos travaux ?
Je rentre vraiment dans la presse avec Actuel en 1979. J'avais aussi participé aux débuts de Libération, mais plutôt bénévolement en "amateur" parce que le travail me plaisait. Jean François Bizot m'appelle un jour à New-York et m'annonce qu'ils sont en train de relancer Actuel sous la forme d'un magazine de grand reportage et qu'il aimerait que je sois le photographe. J'étais pas du tout un photographe de presse à ce moment là. Mais Jean François connaissait mon travail de plasticien, il appréciait le genre d'images que je faisais et au lieu de faire appel à un reporter photographe classique, de Gamma ou de Sipa il voulait quelqu'un qui ait une écriture.
Donc il m'a proposé de venir et Arman m'a conseillé d'y aller, en me disant que cette aventure ne durerait pas plus de trois mois. Mon premier gros sujet fut celui sur Nina Hagen avec trois couvertures. Nous n'arrivions pas, en effet à se décider sur la photo à publier en première page. Jean-François Bizos a donc eu une idée de génie, il a décidé de faire trois numéros avec ces photos de Nina Hagen. 400 000 exemplaires ont été vendus, ce qui a véritablement lancé Actuel. Ensuite, Actuel est devenu un grand succès et je suis resté photographe de presse pendant longtemps.
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Vous aviez la particularité de traiter de sujets d'actualités peu couverts par le reste des médias
C'était l'intérêt d'avoir un magazine comme Actuel. Même si à l'époque, d'autres proposaient aussi des sujets un peu décalés comme le Figaro magazine, Géo et même Paris match.
A l'heure actuelle, de moins en moins de magazines osent mettre de l'argent sur un sujet un petit peu à la marge, parce qu'ils ont peur que ce ne soit pas assez grand public. C'est vrai que nous à Actuel nous osions le faire et cela marchait très bien. Personnellement, j'aime bien trouver des choses un peu à côté, qui parlent quand même de notre époque, de notre société de vrais problèmes, mais abordé par un angle qui fait que c'est peut-être plus drôle, décalé.
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Justement vous parlez d'humour, je trouve que c'est un trait caractéristique de vos travaux
Oui, j'aime bien. Vous savez ce que l'on dit de l'humour, c'est "la politesse du désespoir". C'est un peu ma nature et puis c'est une manière d'aborder les choses et de faire réfléchir aussi. Par exemple, Coluche était génial, et fait beaucoup réfléchir. D'ailleurs je l'ai beaucoup photographié, j'ai eu la chance de le connaitre aussi. J'ai une tendance à aller vers l'humour dans ce que je fais et je le revendique.
Pouvez-vous nous raconter un souvenir de terrain marquant ?
J'en ai plein ! Quelque chose de simple, pas trop dramatique peut-être...
L'histoire de Mesrine, même si elle me colle un peu à la peau, est quand même incroyable. C'était vraiment un accident dans mon parcours. J'étais ami avec un journaliste de Libération, Gilles Millet qui était le spécialiste des prisons, des problèmes de QHS. Il rencontre Mesrine qui vient de s'évader, il vient carrément le voir à Libération et ils décident de faire un livre ensemble. Pour prouver que le projet est en cours, il fallait faire quelques photos. Donc Millet dit à Mesrine qu'il a un ami intime en qui il peut avoir totalement confiance, c'était moi. Il me le présente, nous devenons copains, et 6 mois plus tard, pendant un week-end à la campagne, nous réalisons les fameuses photos. La dernière, effectivement, était incroyable. Je n'avais emmené qu'une seule bobine de 36 poses sur 35 mm.
D'un seul coup, à la fin il a cette idée incroyable, il me dit « tu veux que je te montre comment je serai lorsqu'on me guillotinera ? » J'aurai jamais osé, même pas pensé à lui dire un truc pareil, en plus il y avait encore la peine de mort en 79! Alors, il prend un vieux carton qui trainait là, il le perce et met la tête dedans. Nous étions morts de rire. Puis je me mets à la verticale, je déclenche, coup de flash et là dernière photo de la pellicule. C'était fou, rétrospectivement je me dis que c'est incroyable. Sur 36 poses j'ai 25 images que j'ai utilisé, qui étaient vraiment bien et c'est lui qui a eu cette idée hallucinante. Quand je vois l'image et que je m'en souviens, c'est bizarre . Il savait qu'il allait être tué, il en parlait souvent, mais avoir cette idée c'est autre chose, c'était un moment très étonnant.
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J'ai aussi eu des aventures avec des amis, comme Marc Kravetz, qui était le le chef de service étranger de Libération, avec qui j'ai fait le Liban, l'Iran. Je le retrouvais très souvent à Téhéran, lui pour Libération et moi pour Actuel. On s'étaient dits qu'on se retrouvait à l'enterrement de "pépère", c'est comme cela qu'on appelait Khomeini.
Effectivement Khomeini est mort, je venais juste d'avoir une petite fille qui avait 4 mois à peine et j'étais en week-end chez son parrain quand j'apprends la mort de Khomeini . J'ai planté la mère la fille, le parrain, je suis remonté à paris par le premier train. Ensuite, j'ai attrapé un avion pour Stuggart, les Iranien avait ouvert la frontière pour 24 h seulement, on pouvait entrer sur le territoire sans visa si on avait un carte de presse. Dans l'avion de Stuggart, je rencontre qui : Marc Kravetz! Donc nous étions ensemble et nous avons réussi à entrer en Iran pour l'enterrement. C'était vraiment un moment complètement fou, 4 millions de personnes toutes en noir, sur des kilomètres et des kilomètres, rassemblés là pour l'enterrement de Khomeini.
Ce jour-là, l'hélicoptère est descendu avec le corps dans le cercueil ouvert. Celui-ci flottait sur la foule et évidement à un moment il se renverse, et le corps tombe. J'étais en train de faire des photos et j'ai vu la jambe blanche en l'air, j'ai compris ce qu'il se passait. Mais j'étais trop loin... Quelqu'un a fait des photos depuis l'hélicoptère avec un petit appareil simple de l'époque, et les a vendu pour rien. C'était en 1988, dans Paris match, une double page, avec le corps de Khomeini en train de basculer du cercueil et tomber dans la foule presque nu. Ils ont compris que les photos avaient été prises de l'hélicoptère par le copilote, il a été fusillé tout de suite
Vous dites être plus ou moins déçu du travail de la presse aujourd'hui qu'en est-il?
Actuel était une énorme liberté, même si l'on décidait collectivement des sujets que nous allions traiter, une fois la décision prise je le faisais en toute liberté. Quand je revenais, j'écrivais les légendes, le texte, je participais même à la maquette avec le directeur artistique qui était quelqu'un de génial. Je participais donc au reportage du début à la fin qui allait être publié, de mon histoire, des gens que je racontais. J'ai eu la chance de connaitre une grande liberté lorsque je travaillais avec la presse et cette liberté a vraiment disparue. Quand on a connu cette immense liberté, c'est extrêmement compliqué d'accepter les propositions de la presse que l'on connait aujourd'hui.
Au bout d'un moment, travailler pour la presse ne m'amusait plus, il n'y avait plus le plaisir et cette liberté, on ne contrôlait plus rien.
Quand ce phénomène a -t-il commencé?
Sincèrement, dans les années 90, puis avec l'arrivée du numérique. Je me souviens, en 1996, le moment où Libération a décliné. Ils ont alors revendu les deux filiales qui allaient bien dont l'agence VU'. C'est le groupe Abvent, éditeur de logiciels d'architecture, qui a racheté VU', en apportant la technologie dont l'agence avait besoin. Celle-ci a eu cette chance, d'entrer tout de suite dans le numérique grâce à eux. Certaines personnes de ma génération ont refusé cette arrivée du numérique, et ont été complètement évincées.
Ce phénomène est arrivé extrêmement vite, avec l'apparition des téléphones portables et une profusion d'images prises quotidiennement. A l'heure actuelle, il peut se passer n'importe quoi , il y a quelqu'un avec un téléphone portable qui prend la photo. La photo d'enterrement du Pape Jean-Paul 2 à Rome m'avait, à l'époque, déjà frappé. C'était une demi page en une du monde qui montrait le passage du cercueil et on voyait des milliers de mains levées avec un téléphone portable pour prendre une photo.
© Alain Bizos
Pendant les révolutions Arabe, on a vu le même phénomène
Les notions d'images de presse et d'évènements ne sont plus abordées de la même manière. Il n'y a plus personne pour courir partout et traiter d'un sujet. De très nombreuses agences fournissent des photos au km, pour des prix ridicules. Les bouleversements on été si rapides, j'ai eu la chance d'exercer au cours d'une période dorée, ou l'on était libres, où nous étions beaucoup respectés et durant laquelle nous avions de vrais budgets.
Quand j'ai couvert la fin de la guerre du Liban, les syriens avaient attaqué le réduit chrétien, donc pendant 3 semaines nous étions bloqués à Beyrouth. A ce moment là, nous pouvions travailler, mais pas envoyer de photos, c'était vraiment dur. Pourtant pendant 3 semaines j'étais payé tout à fait correctement. A cette époque donc, nous gagnions bien notre vie, et nous savions que notre travail allait être respecté, ce qui a complètement basculé au milieu des années 90.
De plus, le numérique a également été une révolution technique en ce qui concerne notamment la qualité des images. Pour ma part, je continue à travailler en diapositive et à faire des tirage Shiba chrome à la main par un développeur photo. Tant que je pourrais le faire je le ferais, la qualité est tellement différente.
Pensez-vous que les nouveaux moyens techniques aient créé une forme de démocratisation ?
Tout le monde peut montrer des images, très bien j'en suis ravi. Comme avant, quand tout le monde montrait ses images de vacances. Mais attention, quand on a l'idée d'informer les gens, là je me méfie. Dans un métier comme le notre, nous avions la notion du « double checking », de contrôler ce que nous faisions, de savoir à qui l'on parlait, qui nous donnait les informations. Nous avions le temps de faire ce travail de vérification, auparavant obligatoire dans la presse Américaine. Nous ne donnions pas un élément ou un fait si nous ne l'avions pas eu de deux personnes complètement différentes qui ne se connaissent pas, pour être sur de la fiabilité de nos informations.
Il y avait un aspect extrêmement fiable et sérieux. Cela peut-être démocratique que tout le monde fasse son pain soi même, mais ce qui me fait peur, c'est la vitesse des informations. On l'a vu dernièrement, le nombre d'informations fausses, mensongères ou il y'a eu une manipulation des gens. Le danger est véritablement là, dans la manipulation du public, ce qui est extrêmement grave .
C'est vrai qu'il s'agit d'une forme de démocratisation, tout le monde peut envoyer des images via internet de quelque chose qu'il a vu, ou qu'il veut dire. Mais c'est aussi la porte ouverte à tout et n'importe quoi.
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Beaucoup de reporters disent du Mali que c'est une guerre sans images. Nombreux sont les accès bloqués, comme si du côté français comme malien, les autorités cherchent à montrer une « guerre propre ». Qu'en pensez-vous ?
Je comprends très bien que du côté Malien comme du côté français ils aient peur. Imaginons qu'ils enlèvent deux ou trois Français, ce serait la catastrophe. C'est aussi pour protéger les journalistes. Parfois certains ne réfléchissent pas, ils font un peu n'importe quoi.
Donc je comprends très bien les deux points de vus, en même temps, je trouve pas ça normal non plus. Mais c'est à chacun de se débrouiller. Je suis allé dans des pays de façon entièrement clandestine, caché, avec les passes montagne. Comme l'Iran ou l'Afghanistan à l'époque et nous prenions les même risques. On empêche à personne d'être assez malin pour se fondre dans la population et réussir à aller faire un vrai sujet. Ca fait partie de notre métier. Je comprends le point de vue des autorités, mais du côté des journalistes je n'ai pas vu, pour le moment, un vrai sujet qui soit un peu à part.
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Jérôme Delay, journaliste de l'AP, dont la plupart des photos que l'on voit du Mali ont été prises par lui, a dit « C'est mon 6e conflit et je n'ai jamais vu ça. Même embedded avec les Américains en Irak et en Afghanistan, on avait accès aux combats. L'armée française s'y refuse. » Qu'en pensez-vous ?
A mon époque, nous étions parfois dans des endroits encore plus difficiles, les journalistes réussissaient à passer et à faire des sujets, ça m'est arrivé. Peut-être que maintenant, avec les technologies modernes, il est encore plus facile de coincer les gens, de savoir ou il sont. Il est évident qu'il faut avoir un vrai sujet, parce qu'il ne s'agit pas d'aller se jeter dans la gueule du loup.
Je pense qu'il y a certainement des sujets à faire un peu décalés, par exemple autour des mausolées, les fameux écrits. Je ne veux pas porter de jugements, mais je me demande si maintenant, tout le monde ne va pas pêcher dans la même direction en se disant que ça va être vendeur. Justement, on a de plus en plus de mal à voir des gens qui font des sujets décalés, mais tout aussi intéressants, qui apportent autant d'informations et qui font aussi comprendre des choses. Il y a aujourd'hui une telle course pour réussir à vendre, qu'il est difficile de faire des sujets en marge, c'est toujours pareil, on rejoint l'économique.
Le gouvernement Français cherche quand même à montrer une certaine vision de l'évènement
Ils essaient tous de contrôler les informations. J'avais fait un sujet au Mozambique à l'époque ou c'était un pays communiste très dur, une dictature rouge militaire. Samora Machel meurt, ils ouvrent les frontières aux journalistes pour l'enterrement. Je me rends à la capitale Maputo, pour News Week. J'envoie mes photos tout va bien et puis je disparais. J'avais pris un bus pour Beira, le port principal qui se situait au niveau du « couloir de Beira », le seul corridor qui menait au Zimbabwé .
Il y avait du pétrole, un chemin de fer, une route, c'est tout, l'armée du Zimbabwé y était entrée et contrôlait toute la zone. Il y'avait des guérillas partout, c'était un endroit incroyable ou personne n'avait été. J'ai remonté le couloir de Beira en 3 semaines, à pieds, en faisant du stop dans les vieux camions. Je l'ai fait sans autorisation, ni moyens, personne ne savait que j'étais là. J'avais profité du côté officiel pour réussir à faire clandestinement un sujet qui n'avait pas été traité et qui intéressait plein de gens. j'ai pris des risques, Il y'avait des mines partout, j'aurai pu être enlevé puisqu'il y avait des guérillas dans tous les sens.
Peut-être que maintenant les nouvelles technologies ne facilitent pas les choses. Il est facile d'être repéré avec un téléphone portable, pire encore avec un téléphone satellitaire. A l'heure actuelle les reporters sont tributaires de tout cela, moi je viens d'une autre école. Quand les Russes sont rentrés en Afghanistan, j'étais pas loin à Téhéran donc j'y suis allé. J'ai eu un peu de mal à y rentrer, puis j'ai passé trois semaines avec les premiers moudjahidine en guérilla dans la vallée.
Dans le dernier message laissé depuis Téhéran à la rédaction d'Actuel, je leur disait que j’essayais de rentrer en Afghanistan. Pendant un mois à Actuel personne ne savait ou j'étais et ce qu'il m'arrivait. Si j'étais mort, si j'étais passé, si j'étais en prison, si j'avais rencontré une Iranienne.. Après j'ai réussi à revenir à Téhéran et je les ai appelé pour leur dire que j'étais bien rentré et que ça c'était bien passé et puis j'ai pris l'avion et je suis rentré à Paris.
Mais c'était une autre manière de travailler complètement différente, maintenant tu disparais pendant trois jours c'est la panique.
Cela ne vous donne pas envie de retourner sur le terrain ?
Si j'avais les moyens de le faire, presque pour le plaisir et après tant mieux si on le publie. Mon rêve, c'est d'avoir les moyens de faire les choses pour moi avant tout et en toute liberté. Ce qui est le titre de mon exposition, d'ailleurs. Je ne dis pas que je ne veux plus retourner en reportage pour la presse, mais les conditions dans lesquelles on nous fait travailler ne m'intéressent plus. Quand on voit les budgets photos, c'est une folie, je crois qu'il y a un vrai problème économique et moi j'ai connu des conditions qui étaient royales ou l'on pouvait vraiment faire son métier.
© Alain Bizos
Propos recueillis par Claire Mayer et Manon Froquet