Après des études d'histoire d'histoire/histoire de l'art à l'université de Strasbourg, Matilde Gattoni se lance en 2000 dans le monde du photojournalisme au début de la deuxième Intifada en Palestine. A 38 ans, cette passionnée vit depuis 6 ans au Moyen Orient.
Son reportage The Swallows of Syria (Les hirondelles Syriennes) touche autant qu'il déroute. La photographe a suivi des femmes syriennes qui ont quitté leur pays, leurs racines, pour le Liban, où elles essaient de survivre. Essaient...
Rencontre avec une photographe talentueuse qui a des choses à dire.
© Matilde Gattoni
Pourquoi la photographie ?
C’est un moyen extraordinaire pour essayer de comprendre le monde qui nous entoure, la façon dont il évolue, ainsi que ses habitants. Au fur et à mesure que j’avance dans ma carrière, je sens l’exigence d’explorer mon monde intérieur a travers ce que j’observe, les deux univers se superposent jusqu’à se fondre l’un dans l’autre.
Quels sont les artistes qui vous ont inspiré ?
De nombreux peintres, tel que Michel Ange, Turner, Le Caravage, mais aussi des réalisateurs de films tel que Wong Kar-wai et Hitchcock.
Pouvez-vous nous expliquer le sujet de votre reportage sur les réfugiées syriennes ?
Il s’intitule The Swallows of Syria (Les hirondelles Syriennes). Dans un moment où l’on ne parlait que de rebelles et de soldats pour raconteur la guerre en Syrie j’ai voulu donner une voix aux femmes réfugiées dans le nord du Liban. Elles n’ont accepté de se faire photographier qu’à visage couvert, par peur de la répression.
© Matilde Gattoni
Comment vous est venue l'idée de ce sujet ?
A l’époque, je vivais au Liban, je me suis rendue dans la Bekaa pour un journal afin de couvrir la nouvelle vague de refugiés syriens qui arrivaient dans le pays et personne ne voulait se faire photographier. Une femme a proposé de se laisser photographier à visage couvert. Une fois rentrée chez moi j’ai pensé qu’il fallait approfondir le sujet et y retourner, parler avec d’autres femmes et voir si elles étaient d’accord pour participer au reportage. Le fait qu’elles parlaient aussi peu par rapport aux hommes m’a donné envie de leur donner un espace pour s’ouvrir et se raconter.
© Matilde Gattoni
Comment celui-ci s'est-il organisé ? Quand et pendant combien de temps ?
Le reportage s’est déroulé sur plusieurs mois avec la collaboration d’un journaliste qui s’est chargé d’interviewer les femmes et de recueillir leurs histoires.
Comment avez-vous connu ces femmes et de quelle façon êtes-vous entrée en contact avec elles ?
Nous étions en contact avec un homme qui les aide à quitter la Syrie et à leur trouver un premier accueil au Liban.
© Matilde Gattoni
Comment s'est passé votre approche ? Ont-elles accepté immédiatement de vous rencontrer et de se faire photographier ?
Pas du tout, beaucoup d’entre elles ont refusé par peur d’être reconnues même en étant voilées. Le processus a été long et compliqué, certaines d’entre elles étaient terrorisées, choquées, d’autres avaient vraiment envie et besoin de parler. On a donc tourné de maison en maison afin de recueillir les histoires de celles qui ont accepté.
Les femmes photographiées ne sont pas enregistrées à l’ONU, elles sont rentrées au Liban illégalement et habitent sur un territoire occupé par le Hezbollah. Elles font toutes partie de familles qui appuient la rébellion et le Hezbollah, appuie le régime d’Assad. Elles ont peur d’être dénoncées au régime, rapatriées et ou tuées.
© Matilde Gattoni
Quelles solutions s'offrent-elles à ces femmes ? Comment réussiront-elles, selon vous, à s'en sortir ?
Après avoir passé les premières semaines hébergées chez des familles libanaises elles louent maintenant un appartement, un sous sol, une étable qui leur coutent très cher, la vie au Liban est bien plus chère qu’en Syrie. Elles tentent de travailler mais ce n’est pas facile, les ouvriers syriens sont maltraités et souvent sous-payés. L’hiver est particulièrement dur, les immeubles ne sont pas chauffés. Elles ne sont pas suffisamment couvertes, elles quittent la Syrie avec le strict minimum pour se déplacer rapidement donc avec juste les vêtements qu’elles ont sur elles.
© Matilde Gattoni
Avez-vous essuyé beaucoup de refus ?
Une femme sur deux que l’on a rencontré a refusé de se faire photographier.
Qu'est-ce qui a été le plus difficile à réaliser ?
Les photos. Les interview étaient plus faciles, mais elles paniquaient devant l’objectif, souvent elles tremblaient, certaines pleuraient, ça a été difficile de les faire sentir a l’aise, de les tranquilliser, sans jamais les forcer, si elles refusaient on n’insistait jamais.
© Matilde Gattoni
Qu'est-ce qui vous a le plus plu dans ce reportage ? Votre meilleur souvenir ?
Une jeune fille de 16 ans qui avait un courage extraordinaire, lorsque je lui ai demandé ce qui lui manquait le plus de la Syrie, elle a répondu : l’odeur de Homs (sa ville). J’ai pensé que c’était une réponse si simple et à la fois si extraordinaire.
© Matilde Gattoni
La journée de la femme approchant, avez-vous un message à délivrer ?
Ce reportage est un hymne à la fois la force des femmes qui sont capable de montrer un courage extraordinaire dans des circonstances dramatiques. Ces femmes ont quitté leur pays pour protéger leurs familles et leurs enfants en particulier.
J’aimerais que les femmes qui regardent ces images s’identifient un instant dans la vie de ces femmes sans visage, car ce sont des histoires universelles de mères, sœurs, femmes au foyer, enseignantes. La guerre touche partout et au hasard, personne n’est a l’abri.
© Matilde Gattoni
Des projets à venir ?
Un travail sur le rêve et l’immigration.
© Matilde Gattoni
Propos recueillis par Claire Mayer