Joel Meyerowitz © Justine Mahé
Joel Meyerowitz fait partie de ces photographes qui ont traversé des époques charnières et en ont été le témoin.
Il commence sa carrière dans une agence de publicité. Mais sa rencontre avec Robert Frank va marquer un tournant dans son existence. Il découvre une autre façon de photographier, une autre façon de voir et d’appréhender le monde.
Il quitte alors son travail, et descend dans la rue, son appareil à la main. Il a 24 ans.
Depuis, les images de Joel Meyerowitz seront celles de scènes de vie, de villes, d'instants pris sur le vif. New York d'abord, sa ville d'origine, le berceau de ses influences, puis l'Europe. Le photographe marque également les esprits par ses clichés en couleur, pratique qu'il maîtrise avec brio. Puis il s'interroge sur l'utilisation de la couleur et du noir et blanc et décide de déambuler deux appareils à la main, l'une avec une pellicule couleur, l'autre en noir et blanc, et immortalise ses scènes de vie des deux points de vue. Un résultat novateur pour les années 70', et poignant encore aujourd'hui.
En 2011, Joel Meyerowitz est le seul photographe autorisé à pénétrer le sanctuaire du « ground 0 ».
Rencontre avec un personnage inévitable de l'univers photographique.
© Joel Meyerowitz
Pourquoi la photographie ?
Ce que j'ai compris, c'est que la photographie est une forme de conscience. Je me suis senti éveillé quand j'avais un appareil à la main. Dans la rue, les choses que je voyais me semblaient vivantes. J'ai commencé à comprendre qu'il s'agissait du travail d'une vie.
Toutes les choses dans le monde attiraient mon attention, et plus je prêtais attention aux choses, le ground 0 ou les paysages à la fin de la journée, plus j'avais le sentiment d'être là. Peut-être est-il difficile pour vous de comprendre ce langage, j'ai 50 ans de plus que vous, il me reste moins de temps, donc je veux vraiment tout comprendre sur le fait d'être vivant maintenant, et la photographie m'aide à comprendre cela. Voilà ce que la photographie représente pour moi.
© Joel Meyerowitz
Quel artiste vous a inspiré ?
Robert Franck a été mon maître. Je l'ai rencontré un jour alors que je travaillais dans une agence de publicité. Quand j'ai vu la façon dont Robert Franck prenait des photos, ça a changé ma vie. Il bougeait avec son appareil, et prenait des images. Je ne savais pas qu'un photographe pouvait prendre des photos et bouger, le mouvement physique m'a parlé. J'ai immédiatement quitté mon travail, j'avais 24 ans, et je suis allé dans la rue avec mon appareil.
© Joel Meyerowitz
Pouvez-vous expliquer votre utilisation du noir et blanc et de la couleur, et comment vous êtes passé de l'un à l'autre ?
Quand j'ai commencé, j'utilisais des films couleur. J'étais jeune, le monde était en couleurs, pourquoi choisir autre chose ? Mais je voulais voir les images tout de suite. Je voulais aller au laboratoire et voir le résultat immédiatement.
J'ai travaillé presque un an en couleurs mais j'avais le sentiment qu'il fallait que j'explore autre chose. La couleur est juste une projection du monde. J'avais besoin de quelque chose que je puisse parcourir, je voulais explorer les mouvements de l'image, voir comment ils jouaient ensemble. Donc j'ai commencé à faire des images en noir et blanc. J'ai toujours eu le sentiment que la couleur avait quelque chose d'autre, qu'elle était plus importante pour moi. Donc j'ai commencé à porter deux appareils, n&b et couleur.
© Joel Meyerowitz
Jean-Luc Monterrosso (fondateur et directeur de la maison européenne de la photographie ndlr) pensait que personne dans les années 70' n'avait réalisé cela, comparer une image en n&b et en couleurs. Il s'agit vraiment de deux images distinctes, et non de deux images passées du n&b à la couleur et vice versa.
© Joel Meyerowitz
Je me suis demandé pourquoi le n&b me faisait ressentir certaines choses, et la couleur d'autres. Je suis arrivé à la conclusion qu'un photographe décrit le monde devant un appareil. Et il est vrai que la couleur décrit mieux le monde, le n&b est une réduction, il représente seulement 25%. Je ne voulais pas de graphique, je voulais montrer la vie, l'immédiateté de la vie, le sens de la qualité de la vie. Je ne voulais pas utiliser mon esprit pour faire des images en n&b, mais mon corps, mon esprit, tout ce que je pouvais pour décrire ce qu'il se passait. Je ne peux imaginer mes dernières images en n&b.
Pourquoi avoir photographié « ground 0 » ?
Je suis né à NYC donc j'ai eu un sentiment fort. Ma ville avait été attaquée et j'ai voulu faire quelque chose pour aider. Mais il n'y avait rien à faire, ils avaient fermé tous les accès.
© Joel Meyerowitz
Quelque jour après l'attentat, je suis allé à ground 0, et j'ai sorti mon appareil juste pour regarder. Juste derrière moi, il y avait un officier de police, elle m'a attrapé le bras et m'a dit « c'est une scène de crime » et je lui ai répondu « de quoi me parlez-vous, la scène de crime est là bas au milieu, là je suis juste sur le trottoir, dans la rue, vous ne pouvez pas m'interdire de prendre des photos, nous sommes en Amérique ! » Puis elle m'a dit que la zone était interdite aux photographes. J'ai commencé à me battre contre la bureaucratie pour y arriver et j'y suis arrivé. J'ai été le seul photographe autorisé à prendre des images, j'ai vécu là-dedans pendant 9 mois. Ca a changé ma vie.
© Joel Meyerowitz
Depuis, j'essaie de faire chaque année des projets qui peuvent avoir des impacts sociaux. Tout ce que j'avais fait jusqu'alors était juste pour moi, me concernait. J'essaie de m'investir plus dans les questions sociales.
Qu'avez-vous fait après cela ?
Après cela j'ai fait un gros travail sur les parcs à New York. Cette ville a beaucoup de parcs, elle a un côté sauvage que personne ne connaît. J'ai sillonné ces parcs pendant 3 ans partout autour de NY. Chaque ville a besoin de nature, de quelque chose de sauvage et mystérieux.
© Joel Meyerowitz
Propos recueillis par Claire Mayer