Julien Daniel est photographe depuis 1997. Cette année-là, il rejoint le jeune collectif l'Oeil Public, composé alors de 4 photographes.
Son engagement de photographe s’immisce réellement dans son existence trois ans plus tard, lorsqu'il décide de prendre part activement à l'Oeil Public, devenu une agence photographique, ainsi que par le biais de projets personnels comme « 2 ou 3 choses que j’ai vues d’Elle » (4 saisons à Moscou 2000-2001), récompensé d’un World Press Photo en 2000, d’une Mention Spéciale au Prix Kodak de la Critique en 2001, du Prix Fnac Attention Talent en 2002, de « New York, J + 11 » (septembre 2001), récompensé d’un World Press Photo en 2001 et plusieurs fois exposé. « Odessa-Odessa » (Ukraine-Texas 2003-2004), récompensé du Prix Kodak de la Critique en 2005.
C'est finalement en 2008, à cause de la crise qui n'a pas épargné l'Oeil Public que Julien Daniel, encouragé par le photographe Wilfrid Estève, rejoint l'agence MYOP. Celle-ci regroupe 12 photographes membres, et 6 photographes diffusés, avec une volonté claire : « L’agence MYOP a été fondée par des photographes dont la volonté est de défendre un mode d’expression trop souvent éloigné de son but premier et pourtant intrinsèque : informer. »
Ainsi, Julien Daniel n'a pas hésité à couvrir les manifestations pour et contre le mariage pour tous car il a « senti instinctivement que cela allait être un marqueur de l’actualité de notre pays ».
Rencontre avec un photographe phare de l'actualité, qui témoigne avec brio d'un sujet qui divise actuellement la société française.
© Julien Daniel
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Pourquoi la photographie ?
C'est une question à laquelle je n'ai très sincèrement pas de réponse claire. J'ai toujours été depuis mon enfance un « visuel », je dessinais beaucoup : bandes dessinées, batailles, supers-héros, sportifs (il y a eu la période foot, la période Tour de France, ect...). C'est un talent qui a été beaucoup encouragé par mes parents. Mon père était lui-même photographe (de publicité). J'ai passé une partie de mon enfance à me balader entre les fonds et les pieds d'éclairage dans son studio. Je pense avoir été aussi marqué par le mode de vie du photographe indépendant qu'il était : pas d'horaires, pas de routine, une certaine liberté, des gens sympa qui gravitaient dans l'entourage (assistants, mannequins, artistes). Pourtant lorsque j'ai du choisir des études et donc un métier, c'était plus le cinéma qui m'attirait. J'ai donc fait une école d'audiovisuel, l'EFET. Elève très moyen, je n'avais pas le niveau pour entrer à Louis Lumière par exemple. Après mes études et quelques expériences sur des plateaux de télévision, ma vocation pour ce travail n'était plus tout à fait certaine. Il fallait en plus que je gagne ma vie et j'ai trouvé un emploi à la FNAC. C'est en m'ennuyant derrière mon comptoir pendant plusieurs années que j'ai commencé à penser à la photo. Je pratiquais cette activité pendant mes jours de congé. J'ai acheté mon premier appareil photo (un Nikon F3 HP tout cabossé) juste après une rupture sentimentale en 1992, curieux non ?
© Julien Daniel
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Y-a-t-il des artistes qui vous ont inspiré ?
Un nom revient avant les autres lorsque je repense à mes premiers émois de photographe, c’est celui de William Klein. J’étais très impressionné à l’époque par ses cadrages au grand-angle, avec des visages très expressifs au premier plan, en noir et blanc bien sûr. C’est d’ailleurs vers à type de photographie que je me suis essayé mes premières années : Tri-X, 24 mm, une approche directe des gens, presque « agressive ». Et puis les choses ont évolué. J’ai voulu avoir un autre rapport avec les gens que je photographiais, c ‘est pourquoi j’ai commencé à faire du portrait, en format carré. A ce moment, la référence c’était Irving Penn, mais aussi, plus près de moi (il habitait dans le même quartier) Xavier Lambours. Je crois que maintenant les influences sont plus diffuses et variées. J’ai une bibliothèque bien remplie de livres photo d’auteurs très différents. Reste un photographe au dessus des autres pour moi, c’est Eugène Smith. Sa quête de la photo parfaite, du reportage parfait (son travail sur la ville Pittsburg) me touche énormément.
Quand avez-vous rejoint l'agence MYOP et pourquoi ?
J’ai rejoins l’agence MYOP en octobre 2008, quelques mois après avoir quitté l’Œil Public. C’est Wilfrid Esteve qui m’a incité à déposer ma candidature lorsqu’il a su que j’étais redevenu indépendant. Habitué pendant 10 ans au fonctionnement d’une structure assez proche, je n’étais pas trop dépaysé. Il fallait de toute façon trouver une structure pour diffuser mes archives. MYOP proposait ce service, ça tombait plutôt bien. Je connaissais certains des membres de l’agence, une nouvelle aventure collective commençait, j’y suis allé.
© Julien Daniel
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Pourquoi avez-vous choisi de couvrir les manifestations en faveur et défaveur du mariage pour tous ?
J’ai couvert les manifestations autour du projet de loi sur le Mariage pour tous car j’ai senti instinctivement que cela allait être un marqueur de l’actualité de notre pays. Habitant à Paris, il m’apparaissait évident dans ces conditions de prendre mon appareil photo pour garder une trace de ces manifestations populaires. J’ai commencé par la manifestation du 16 décembre, favorable au projet de loi, puis il m’a semblé important d’avoir des images des partisans de l’autre camp, lorsqu’ils sont descendus dans la rue le 13 janvier dernier. Sinon il m’aurait manqué quelque chose, mon approche aurait été déséquilibrée.
Quelles ont été vos impressions dans ces deux manifestations ?
Ce qui est le plus troublant, c’est cette impression de deux mondes totalement différents :
D’un côté, une population plutôt urbaine, branchée, jeune, souriante, avec des slogans qui fusent dans tous les sens, de façon débridée. Des couples, gay, lesbiens, hétéros, les fameux drapeaux arc-en-ciel. Une impression de fête et de bruit, même si l’ambiance était plus sérieuse et concentrée que lors d’un défilé de la Gay-Pride. Les enjeux n’étaient pas les mêmes cette fois, il y a une revendication politique, une demande d’égalité aux yeux de la loi et de la société.
© Julien Daniel
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De l’autre côté, un contraste saisissant : beaucoup plus de personnes âgées, des enfants très jeunes, des familles très « comme il faut », des « petits blancs » en écrasante majorité. Une uniformisation (voulue) des slogans et des couleurs, des « uniformes » (T-Shirt orange pour la sécurité, jaune pour l’encadrement, vert pour je ne sais plus qui, rose pour les uns, bleu pour les autres). Tout semblait fait pour éviter les « débordements ». A photographier, c’était plus difficile, moins intéressant, trop organisé (par les réseaux de l’église, les partis de droite ?). J’étais personnellement mal à l’aise au milieu de cette foule car les motivations des « anti » me paraissent instinctivement suspectes : volonté morale de préserver l’ordre établi, jugements de valeur sur ce que doit être ou ne pas être une sexualité « normale », mise au pilori de Christiane Taubira, ministre (noire) qui porte le projet de loi, volonté de faire un 3eme tour à l’élection présidentielle perdue par la droite, ect...
Pouvez-vous nous parler des deux ambiances de ces évènements ?
Je l’ai évoqué juste avant. Je me suis fait la réflexion le 13 janvier : j’ai assisté au deuxième acte de ce que certains considèrent comme le « retour de la vraie France ». Le premier acte étant le discours de Sarkozy à la Concorde avant l ‘élection présidentielle (perdue). Malgré moi et de façon épidermique j’ai choisi mon camp. Certains me ressemblent beaucoup plus que d’autres. Je n’ai à aucun moment ressenti de malaise au milieu des manifestants du 16 décembre.
En tant que photographe, a-t-il été facile de les couvrir ?
© Julien Daniel
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Je n’ai eu aucun problème à couvrir ces deux événements. J’ai toutefois senti des regards beaucoup plus « vigilants » et insistants sur mon badge de presse avec les anti. Une méfiance naturelle vis à vis du journaliste « forcément de gauche ». J’avais déjà vu ça en pire en 2002 lors de la manifestation du 1er mai du Front National dans l’entre-deux-tour de la présidentielle.
Vous avez également réalisé le portrait de Frigide Barjot : dans quelles circonstances l'avez-vous rencontré ?
Le portrait de Frigide Barjot a été réalisé en commande pour le magazine l’Express. J’accompagnais une journaliste qui devait écrire un long papier sur elle.
J’ai donc assisté à presque deux heures d’entretien et j’ai finalement pris l’essentiel des clichés sans la faire poser.
Vous a-t-elle parlé de son engagement et de ses souhaits dans le cadre de cette loi ?
L’essentiel de cette interview a été consacré à son engagement contre ce projet. J’ai entendu tout son argumentaire qui m’a semblé sur le coup assez mesuré et équilibré. Mais le mouvement qui se cristallise derrière elle est bien plus crispé et radical. Il suffisait d’entendre les discussions des uns ou des autres dans les cortèges du 13 janvier pour se rendre compte d’une bien plus grande radicalité dans les propos. Le fait que Frigide Barjot reste tout de même une des chefs de file de ce mouvement indique que cela ne la dérange absolument pas. Mon sentiment personnel est de toute façon que lorsque les églises (quelles qu’elles soient) se mêlent de politique, le résultat est désastreux. La morale religieuse et la morale républicaine sont deux choses différentes. C’est le côté « chrétienne exaltée » qui me paraît le plus dangereux dans ce que représente Frigide Barjot.
Les souhaits des opposants à ce projet de loi sont multiples : cela va de la remise à plat de toutes les questions liées au couple et à la famille à un abandon pur et simple de ce projet de loi, en passant par le referendum, souhaité par la droite en pleine crise identitaire pour tenter d’effacer les claques successives qu’elle vient de prendre en pleine figure depuis l’élection de François Hollande, qui est bien sûr « l’homme à abattre ».
© Julien Daniel
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Avez-vous des projets à venir ?
2013 s’annonce passionnante pour ce qui est des projets. Je travaille depuis deux ans avec le journaliste Vincent Rea sur le conflit linguistique en Belgique et ses conséquences . Nous sommes lauréats du Prix « Inside Web&Doc » avec ce projet, organisé par le FIGRA (Festival International du Grand Reportage d’Actualité). La plateforme KissKissBankBank qui est partenaire de ce Prix va nous accompagner pour nous aider à réunir des fonds qui vont s’intégrer dans notre plan de financement. Nous serons alors en mesure de repartir sur le terrain ce printemps. Si tout se passe bien, notre documentaire-webdocumentaire sera diffusé au printemps 2014, au moment d’échéances très importantes pour la Belgique. L’actualité de ce projet peut être suivie sur Facebook (Une Histoire Belge) et sur Twitter (@1histoirebelge).
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Propos recueillis par Claire Mayer