© Nicolas Guerbe
Laurent Monlaü est un photographe, voyageur avant tout. Né en 1957 à Marseille, il commence la photographie en 1977 avec un reportage à Londres « Portraits Punks ». Puis il commence à voyager au bout du monde, en passant par l'Amérique, l'Afrique, les Iles du Pacifique... Il fera de nombreux reportages pour la presse internationale, qui publiera ses photos, où on reconnaitra de suite son sens des couleurs et de la lumière. Il impose son style dans des domaines différents : mode, portraits, reportage, voyage. Depuis 2007, il a entrepris une démarche de voyageur en explorant les forêts primaires, les « rainforest », tout autour du monde. Il expose son travail dans plusieurs Galeries, dont Le petit Endroit à Paris.
Parlez-nous de votre parcours.
J'ai commencé la photographie sur la route, en voyageant, en partant au bout du monde. Cela remonte à la fin des années 70. Après je me suis retrouvé à devenir photographe professionnel. J'ai construit ce trajet de photographe auteur et voyageur à travers la presse, en travaillant pour de nombreux magazines différents et en exposant un peu partout. Je travaille beaucoup sur le portrait. Je travaille aussi pour Geo, je réalise de gros travaux pour eux sur le patrimoine mondial de l'UNESCO, des images, des portraits. Je travaille un peu partout dans le monde et surtout dans le pacifique.
© Laurent Monlaü
On vous demande des travaux particuliers ou c'est vous qui choisissez ?
Disons que c'est toujours pareil. En fait, moi je suis pas un photographe de news. Quand je travaille sur la forêt par exemple je travaille sur le long terme. Donc les gens le savent ou ne le savent pas, ils rentrent dans mes cases ou je rentrent dans les leurs. Proposer des sujets aux magasines c'est pratiquement devenu impossible. Excepté s'il y a une news où je doive aller en Syrie, mais je ne suis pas du tout réactif comme ça, ce n'est pas du tout mon domaine. Donc, c'est les magasines qui choisissent.
Comment vous est venue cette idée de photographier des forêts ?
C'est venu il y a longtemps. Je travaille là-dessus depuis 5 ans et j'ai commencé par photographier l'Amazonie. Depuis le début ce qui me plaisait c'était de photographier le chaos de la forêt, le chaos de la nature. Cette espèce d'impression qu'on a de l'anarchie totale, des espaces primitifs, des zones de forêts primaires, le chaos de la nature par rapport à la vie humaine totalement ordonnée qui cherche par dessus tout à mettre de l'ordre alors que l'essence même de l'existence est totalement chaotique. Le texte de Michel Onfray illustrant mon exposition parle de ça, il correspond totalement à cette vision.
© Laurent Monlaü
Ceci vous évoque donc le chaos ?
Voilà, je n'y vais pas pour me confronter au chaos, c'est plutôt une contemplation, qui me rassure, qui me correspond. Et puis d'abord c'est une démarche de voyage, de marche, de flâneur, d'explorateur. Cartier Bresson aussi est dans la même optique, même si ce n'est pas du tout mon école. La façon de travailler est sur le motif. Avec la forêt, on est sur cette démarche de voyageur. Le mot espace est important.
Vous partez tout seul ?
Suivant les pays je pars tout seul, sinon je pars avec quelqu'un. Il y a des pays qui sont plus compliqués que d'autres. Donc des fois c'est bien de ne pas être seul, des fois c'est plus simple de l'être. Je le suis les trois quarts du temps. Mais j'aime les deux. Et arriver dans ces endroits là, je suis très contemplatif, je me pose des heures et des heures. Généralement, les forêts sont très éloignées des espaces urbains, on prend un bateau, puis on marche, cela prend beaucoup de temps. Ensuite, la pose production me prend 6 mois, je travaille sur la lenteur, j'aime beaucoup. Le contraire de ce qu'on vit en général.
© Laurent Monlaü
Est-ce que ce choix des grands formats est d'être plus proche du réel ?
Oui évidemment, mais c'est aussi par rapport à la précision que les grands formats supportent. Souvent dans l'art contemporain, on a de grands formats par rapport à une image qui est pauvre. Là c'est le contraire, c'est à dire que c'est une image qui se révèle en grand format d'abord par la précision, et aussi parce qu'avec le motif lui même, tu te retrouves dans un impact qui est autre qu'une réalité. Le grand format est donc pour la précision, mais aussi parce que le sujet, les arbres, sont faits pour être grands.
Pourquoi faire des gros plans d'une partie de la forêt et pas des ensembles ?
J'ai toujours été prés des choses que je photographiais. Je n'ai jamais eu besoin d'avoir un hélicoptère. Enfin ça peut m'arriver qu'on me le paye ! C'est ce que je vais faire en Nouvelle-Calédonie pour un boulot pour Géo, mais vous voyez si je devais vous photographier, la bonne distance serait mon bras. C'est pareil pour les arbres. C'est un peu des portraits de forêt, il faut être proche des choses qu'on photographie.
Y a t-il une perspective environnementale à vos travaux ?
Bien sûr, mais ce n'est pas le but premier. Parce que, ça me semble une évidence. Montrer la forêt c'est évident qu'il y a une leçon écolo. Je suis pessimiste, je pense qu'on est voué à être de plus en plus mal, donc je ne montre pas les forêts pour dire que c'est la solution pour aller mieux. C'est plus qu'une démarche écolo, c'est une démarche philosophique, plus intérieure, plus contemplative et très intime. Donc c'est plutôt un miroir de l'âme.
© Laurent Monlaü
Vous avez plusieurs domaines de photos : avez-vous un point d'attache particulier ?
En ce moment ce sont les paysages, mais j'ai beaucoup photographié, fais des portraits. J'ai la même empathie pour chaque sujet. Je suis comme une éponge, je me sers de l'autre, que ce soit des paysages ou autres. Après faut pas tout mélanger, on raconte des histoires donc il y a une part de documentaires dedans. C'est structuré au niveau de la démarche et des lieux, je vais pas n'importe où faire ces photos. Amazonie, Patagonie Chilienne ou Japon, chaque fois c'est des endroits très précis donc il y a quelque chose de documenté derrière.
Comment avez-vous choisi ces endroits ?
C'est là que se trouvent ces forêts, « rainforest », ces forêts tropicales. Elles sont très humides, très anciennes et très touffues à cause de l'humidité. Ces forêts là sont ailleurs. En France, elles sont complètement rasées. Il n'y a qu'une seule forêt comme ça en Europe, c'est au confins de la Pologne et de la Biélorussie. Sur ce continent là, il n'y a plus rien. Il reste des forêts en Afrique, en Amazonie, en Amérique Latine, au Nord-Ouest des Etats-Unis, au Canada, au Japon, en Nouvelle Zélande.. des endroits qui n'ont pas encore eu le temps d'avoir le massacre de l'homme. C'est marrant je me suis rendu compte que mes voyages sont autour du pacifique. J'ai une fascination pour cet endroit.
© Laurent Monlaü
Combien de temps cela vous a pris ?
Cela fait plus de 5 ans que je travaille là dessus. Et je produis maximum 10 images par an. Je fais un ou deux voyages par an rien que pour ça. Ensuite il y a un gros travail derrière. Ca prend beaucoup de temps de produire ces photos, mais ça va avec l'histoire. On ne peut pas photographier les endroits les plus chaotiques et primitifs et produire ça de suite. Mon prochain voyage se fera en Colombie Britannique. Après j'irai en Amazonie sans doute. Il y a beaucoup d'endroits où j'aimerais retourner, dont des forêts en Australie qui m'intéressent, à Bornéo.
Vous allez continuer ce thème de la forêt ?
Oui, avec le Mont de la Lune, qui se trouve en Ouganda. Ce sont des forêts comme celles ci mais en altitude, donc très brumeuses. Si je peux mon prochain voyage se fera au printemps, mais tout dépend de l'argent, de la production...
© Laurent Monlaü
Propos recueillis par Eloïse Rey
Photos © Laurent Monlaü
Vignette © Nicolas Guerbe