© Jean-Luc Tartatin
Depuis toujours, Jean-Luc Tartarin est un passionné de photographie. Il a commencé très jeune : né en 1951 à Metz, il a reçu le prix Niepce dès 1971. Cette distinction lui ouvre grand les portes du monde de la photographie professionnelle : alors qu'il était dans un premier temps limité par un manque de moyens, il monte rapidement un laboratoire qui lui permet de mettre en place son travail. Le thème a moins d'importance que la photographie en elle même, que le jeu subtil sur la lumière et les dimensions que Jean-Luc Tartarin met en place. Il ne s'agit pas de faire passer un message en particulier, mais plutôt de réfléchir à ce qu'est la photographie, cette entité entre réel et subjectivité.
Après plusieurs expositions en France et à l'étranger (en Belgique, en Allemagne, au Canada, en Corée), Jean-Luc Tartarin s'installe à la MEP pour le mois de la photo. Jean-Luc Lemagny, commissaire de l'exposition, invite le spectateur a « (découvrir) des mondes dans ce monde ». Laissons Jean-Luc Tartarin expliquer lui même son travail, sa démarche et son plaisir d'être exposé dans le plus prestigieux espaces d'expositions photographiques de la capitale.
Comment en êtes-vous venu à exposer à la MEP pour le mois de la photo ?
Jean-Claude Lemagny avait une carte blanche et m'a invité à faire cette exposition. C'est la personne qui a été la plus proche de mon travail depuis son origine. Il était là lorsque j'ai eu le prix Niepce en 1971, alors que j'étais tout jeune puisque je n'avais que 19 ans. Jean-Claude Lemagny venait de prendre ses fonctions, on s'est rencontré et il a dès lors toujours été attentif à mon travail, il m'a toujours soutenu. Même dans les moments où on ne se voit pas, il a toujours une pensée pour moi, il me demande toujours de mes nouvelles ce qui est très important pour moi.
Le directeur de la MEP, Jean-Luc Monterosso, connait aussi mon travail depuis longtemps. Il avait déjà pensé à le présenter, mais c'est Jean-Claude Lemagny qui a été le vrai déclencheur.
Ce n'est bien sûr qu'un fragment de tout mon vaste travail qui est présenté ici : je présente 21 pièces de mes séries Ciels, Fleurs et Bestiaire.
© Jean-Luc Tartarin
Quel est le fil rouge de ces trois séries ?
La notion d'amplification est ce qui sillonne mon travail.
J'ai toujours été dans la notion, au début intuitive puis qui s'est peu à peu développée dans mon esprit, de construction d'une œuvre, de quelque chose qui s'amplifie.
Cette notion d'amplification se retrouve autant dans la lumière, que dans le choix des sujets photographiés, et également dans la présence des œuvres en grand format.
Comment vous est venu cette idée d'introduire de l'amplification dans votre travail ?
J'ai commencé à travailler sur la forêt, mais très vite j'ai étendu mes sujets : personnages, animaux, ... Même si au départ il y avait une petite visée de reportage puisqu'il s'agissait de prises de vue faites dans leur milieu naturel, ça allait au delà. Mon objectif étaient de faire de mes images des tableaux. J'essayais d'y rentrer, de m'enfermer totalement, de me couper complètement de ma matière photographique.
J'avais la sensibilité et l'intuition que je pouvais construire quelque chose en étant maître de la lumière, c'est-à-dire faire de la photographie en travaillant sur la tonalité. Lorsqu'on photographie, peu importe l'objet choisi, une réaction lumineuse s’opère en fonction du film. Ces quelques nuances de différence, j'ai appris à les amplifier. Et en les amplifiant, je devenais maître de mon matériau, mais aussi de la réalité qui était là devant moi parce que la photographie, c'est faire surgir des choses à partir du réel.
© Jean-Luc Tartarin
Pourquoi êtes-vous passer du noir et blanc de vos débuts, à la couleur que l'on perçoit dans cette exposition ?
J'ai commencé à travailler en noir et blanc. Je faisais mes films, je tirais moi-même mes images.
Mais j'ai débuté la couleur assez tôt, dès les années 1970. Mais je n'avais pas du tout les moyens de faire des grands tirages (les petits tirages coutaient déjà bien assez chers!). Comme je n'avais pas la possibilité de faire apparaître ces images telles que je les maîtrisais en noir et blanc, je n'ai pas développé ce travail pendant de nombreuses années. J'attendais de pouvoir faire les choses telles que je les ressentais, c'est-à-dire de pouvoir arriver à la même puissance, à la même présence dans des tirages en couleur que ceux que je pouvais faire en noir et blanc.
Entre temps, j'ai eu un parcours qui a fait que je suis devenu photographe professionnel. J'ai appris à maîtriser la couleur avec beaucoup plus de précision, de justesse.
J'ai attendu le bon moment : je n'aime pas faire plusieurs choses en même temps, mélanger la prise d'images en noir et blanc et en couleurs. Le travail en noir et blanc s'est fini naturellement, j'ai senti que je m'installais dans une routine qui ne me satisfaisait pas. Je suis allé naturellement vers la couleur parce que sur le marché sont apparues des émulsions qui me correspondaient, qui me permettaient de produire des images avec la force que je voulais. J'ai donc commencé à me poser la question de la couleur dans mon travail et j'ai dès lors complètement arrêté de faire du noir et blanc à partir de 1997.
© Jean-Luc Tartarin
Vous êtes-vous formé seul ?
Oui, je suis totalement autodidacte.
J'ai appris avec mon appareil photo dans les mains. Je travaille toujours en argentique avec mn Nikon, en 6-6.
C'est assez drôle parce qu'au tout début de ma démarche photographique, je voulais faire de la photographie mais je n'avais pas les moyens de m'acheter un laboratoire. Je ne pouvais pas tirer les photos : je regardais les négatifs ! Sur les négatifs, on projette ce qu'on a essayé de faire paraître, et puis on voit comment la matière du film transcrit ce réel. En affrontant mon matériau, cette intuition de l'amplification a toujours été là.
Comment vous choisissez le thème de vos photos ?
Je n'ai pas vraiment de thème. Je travaille toujours sur un univers extrêmement proche. Par exemple, mes images de forêt ont toujours été faites dans le même bois. Mon travail sur la couleur, c'était géographiquement dans un endroit intéressant. J'ai une maison, un grand espace de plaine en Lorraine, dans un territoire qu'on appelle la Meuse. C'est un lieu immense et très particulier. Cet espace m'a inspiré : je me suis dis que si je me questionnais sur la couleur, il fallait que je l'interroge avec ce qu'elle a de plus fort, c'est-à-dire la saturation. J'ai donc commencé une grande série, dont un livre est sorti en 2010 aux éditions Somogy.
Je me suis demandé comment moi-même je pouvais poser la question du paysage. L'idée m'est alors venue assez vite : j'ai fait ce travail que j'ai appelé « Les grands paysages ». Ce n'est pas forcément des espaces ouverts (ça peut être une souche, un bord de champ, …). La grandeur, c'est l'amplification par mon regard : une chose, ou une œuvre, devient grande à partir du moment où c'est l'artiste qui s'y intéresse et l'amplifie.
J'ai travaillé avec ce qu'il y avait dans ces territoires, à savoir des champs, des forêts, mais surtout des animaux, des fleurs, et des ciels. Donc, c'était de la terre au ciel en somme !
Les ciels, c'est très particulier car ils ont tous été faits de ma cour. J'avais une grande maison à la campagne qui était en U : la cour avait exactement le même format que celui des photographies que j'expose ici. La série est assez grande, une quarantaine, mais tous étaient pris du même lieu. Ce travail est désormais clos.
© Jean-Luc Tartarin
Avez-vous d'autres projets ?
Je suis sur un tout nouveau travail qui est totalement différent de tout ce que j'ai fait avant, mais en même temps dans une totale cohérence.
Mais je n'en dirai pas plus, car c'est difficile de décrire quelque chose qu'on ne voit pas !
© Jean-Luc Tartarin
Propos recueillis par Claire Barbuti