© Autoportrait de Richard Dumas - 2000.
Mercredi 24 octobre 2012. 15h. Le téléphone sonne à la rédaction : on m’apprend que ma demande d’interview de Richard Dumas est possible. Là. Tout de suite. Mes lèvres disent un « tout à fait, ce sera avec plaisir » très professionnel, mon cœur, lui, s’emballe à l’idée d’une entrevue avec Richard Dumas, l’un des meilleurs portraitistes actuels, et excellent photographe tout simplement.
Après des études scientifiques poussées qui l’amène à la robotique et des performances dans divers groupes de rock rennais, Richard Dumas se lance dans la photographie, il y a de cela une trentaine d’années. Ce cinquième art est une vieille passion. Tout d’abord photographe dans son cercle d’amis rockeurs, son travail s’élargit de plus en plus pour devenir connu et reconnu.
Aujourd’hui, il est représenté par l'Agence Vu', photographie régulièrement pour la presse, et collabore avec de nombreux artistes de la scène musicale.
Je me rassure une fois arrivée à la Galerie Vu’ : veille du vernissage de son exposition, qui se tiendra du 26 octobre au 5 janvier dans le cadre du mois de la Photo 2012, Richard Dumas est tout aussi stressé que moi !
N’étant pas en avance pour l’installation des photographies de l’exposition, il s’y consacre toujours lors de mon arrivée à la galerie. Je peux donc l’observer, le plus discrètement du monde, réfléchir et discuter de l’aménagement des 56 clichés inédits, du moins dans une exposition car certains ont déjà été publiés dans la presse. « Oui, le portrait d’Etienne Daho sera parfait à côté des escaliers, comme une invitation à s’enfuir en voyage. » « Non, il faut mettre ce cliché plus bas, pour éviter que ce ne soit totalement centré. » « Patti Smith, là, parfait : le visiteur ne pourra pas prendre de recul, l’effet de perspective brouillera les dimensions. »
Si Richard Dumas est un grand passionné de rock comme le prouve la présence de nombreux clichés de ce milieu musical, il n’en demeure pas moins que des personnes d’autres horizons se glissent dans cette exposition, tels les écrivains Haruki Murakami ou John Le Carré. Même au-delà de ces portraits, certains intrus complètent en beauté l’exposition, notamment un magnifique cliché de la vue d’une fenêtre sur l’île de départ des esclaves au Sénégal.
L’exposition de ces nouveaux clichés est complétée par onze œuvres de sa série « Soft Machines », diffusées sur un écran dans une petite pièce à part, teintée de rouge.
Rassuré par l’avancée de la préparation de son exposition réalisée en seulement quelques heures, « rien de tel qu’un faignant qui se met au boulot » lui répétait sa grand-mère, Richard Dumas s’accorde une petite pause pour répondre à mes questions.
Content du résultat ?
Oui, ça me plait bien !
On a un effet intime, presque comme à la maison, c’est ce que je recherchais.
Keith Richards - 2010 © Richard Dumas / Galerie Vu'.
Comment vous est venue l’idée de cette exposition ?
Tout a commencé avec la photo de Gus Van Sant, qui regarde un de ses amis, Scott, assis à l’arrière. Je suis parti de cette photo il y a un mois et demi, et après de fil en aiguille, j’apportai de nouvelles images. C’est pour ça que j’aime bien le concept de « suites », titre de cette exposition, et non de série : ce n’est pas vraiment une série que j’expose.
Il m’a fallu après un mois de préparation pour produire et tirer les photos dans la chambre noire.
Comment prenez-vous contact avec vos modèles ?
Parfois je prends contact avec eux directement ou eux prennent directement contact avec moi.
Mais, généralement, ce sont des commandes. Je travaille beaucoup pour la Presse : Le Monde, Libé, Les Inrocks, Télérama, Magic, …
Abordez-vous toutes les rencontres de la même manière ?
Oui, j’essaie de ne pas avoir d’idées préconçues parce que ça ne sert à rien.
Je regarde bien chaque personne lors de notre rencontre, j’observe ce que la lumière donne sur elle, tout simplement. C’est ça qui m’inspire, surtout à la lumière du jour. Et ensuite, je déplace mon modèle jusqu’à trouver l’effet que je souhaite produire.
Y a-t-il des rencontres qui vous ont particulièrement marquées ?
Il y en a plein !
Je me souviens notamment de Tricky : il a fumé tellement de joints lors de notre séance photo que j’ai fini moi aussi totalement défoncé rien qu’en respirant sa fumée !
Il y a également David Lynch, car je suis un grand fan de lui depuis Eraserhead (1977), son tout premier film. Je l'ai suivi sur un de ses tournages, un souvenir mémorable.
Patti Smith - 2010 © Richard Dumas / Galerie Vu'.
Le cinéma et la musique vous ont particulièrement inspiré pour vos photos …
C’est grâce à la musique que je suis arrivée à la photographie. Quand j’étais encore dans le monde scientifique, je me sentais un peu trop à l’étroit. Certes, ils discutent ensemble, mais moi j’avais besoin de plus d’ouverture.
J’ai toujours été un grand passionné de rock. Comme j’étais musicien, j’ai commencé à photographier des groupes, juste pour les copains : Miossec, Etienne Daho, pour ne citer que quelques exemples. Etienne Daho, je le connaissais même avant qu’il ne soit chanteur : je lui ai dis de venir chanter dans mon groupe, et c’est ça qui lui a donné envie de devenir le chanteur qu'on connait. Evidemment, la première année, j’ai un peu galéré, j’ai du gagné 300 francs !
A l’époque, on était vraiment qu’une poignée à s’intéresser à la musique, du coup tout le monde se connaissait. On était vu comme des glandeurs, des parias. Ce n’est pas comme aujourd’hui où tout le monde écoute de la musique, va au concert, même si paradoxalement les disques ne se sont jamais aussi peu vendus. Les musiciens n’étaient pas estimés socialement comme peuvent l’être aujourd’hui certains.
Mon autre passion, le cinéma, m’a également énormément inspiré. Quand j’étais petit, je découpais dans les magazines toutes les têtes des personnalités du cinéma (acteurs, actrices, metteurs en scène), et je les mettais dans deux enveloppes différentes : une pour les femmes, l’autre pour les hommes. Ca fait longtemps que je ne les ai pas regardées d’ailleurs, mais je les ai toujours.
Qu’est-ce que ce mélange entre photographie, musique rock et cinéma apporte à chaque univers ?
Si on regarde bien, je n’ai pas tant de photos de rock exposées là. Il y a Joe Strummer des Clash, Keith Richard des Rolling Stones, Nick Cave, ...
Arielle Dombasle aussi, une très bonne chanteuse, et si on observe attentivement, elle a une belle allure rock sur ce cliché. Il y a presque un côté diabolique qui s’en dégage !
J’ai fait pas mal de films publicitaires pour des chanteurs, notamment Alain Bashung et Louise Attaque. Je n’aime pas trop faire des clips, ça impose des images sur la musique ; alors que j’apprécie me créer mes propres illustration. L’image vampirise trop la musique. Les pochettes, au contraire, ne la vampirise pas, elle l’emballe, au deux sens du terme ! Enfin, elle peut l’emballer ou la plomber !
Nick Cave - 2002 © Richard Dumas / Galerie Vu'.
Quel matériel utilisez-vous ?
J’utilise plusieurs types d’appareil : 6-6 en carré, un reflex, ou un Olympus, un Olga avec flash, et aussi un Fuji X100 numérique. Le choix se fait totalement au feeling !
Pourquoi ce choix du format carré pour l’ensemble de vos photos ?
Tout simplement parce que j’aime bien ce format !
Je pense que le carré, c’est aussi lié à l’enfance : mes photos de famille étaient carrées, c’était aussi quasiment le format à l’origine du cinéma. Et, comme vous l’avez surement compris, je suis un grand passionné de cinéma…
Vos photos sont en noir et blanc, à quelques exceptions près. Pourquoi ? Comment s’opère le choix plutôt du noir et blanc ou de la couleur ?
Parce que j’adore le noir et blanc ! Pour moi, la source vient du noir et blanc. Quand j’étais petit, j’adorais déjà les films en noir et blanc. Mon père faisait des photos en noir et blanc. Je suis ancré dans le noir et blanc.
Je fais aussi quelques photos en couleur. Au début, c’était sans doute par obligation, parce que c’était dans l’air du temps. Et puis, finalement, je me suis pris au jeu, et je ne suis pas déçu : je les aime aussi mes photos en couleur !
Mais je ne peux pas nier que je sens les choses plus précieuses quand je les fais en noir et blanc ; précieuses pas dans le sens esthétique, mais dans le sens de la valeur que j’y mets.
Charlotte Gainsbourg - 2006 © Richard Dumas / Galerie Vu'.
Y a-t-il des personnalités que vous n’avez pas encore photographiées mais que vous aimeriez beaucoup immortaliser ?
Oui, bien sûr ! Enfin, il y a beaucoup de morts que j’aimerai bien photographier mais ça va être dur !
Sinon, Mick Jagger comme je suis un grand fan des Stones.
Propos recueillis par Claire Barbuti