Pour Christophe Jacrot, « la photographie a toujours été une passion ». Il a commencé vers l'âge de 15 ans, passant des heures dans son laboratoire, au fond de sa cave. A l'âge de 22 ans, il cesse totalement la photographie pour se consacrer au cinéma, il fera alors quelques courts-métrages primés tel Lifting en 1988 et Soutien de Famille en 1993.
Il y a cinq ans, sa vocation pour la photographie finit par le rattraper. S'intéressant tout d'abord à Paris sous la pluie, puis aux averses dans de nombreuses autres grandes villes du monde, il revient dans le cadre du Festival Photo de Saint-Germain des Prés à la Galerie de l'Europe avec « Neige ». Toujours aussi romanesques, ces clichés rayonnent d'une poésie contemporaine, entre la lumière subtile des photos et les silhouettes fantomatiques qui passent.
Rencontre, au sec, avec Christophe Jacrot.
Comment en êtes-vous venu à exposer dans le cadre du festival photo de Saint-Germain des Prés ?
Je travaille avec la galerie de l'Europe depuis maintenant cinq ans. Elle m’a juste proposé d’exposer, et j'ai dit oui ! La dynamique du festival a l'air intéressante, il y a cinquante galeries cette année qui y participe.
Avant, j’exposais surtout à Noël. J’aime bien ce mois, ça marche bien car il colle avec mon thème.
Black and White (Chicago) © Christophe Jacrot.
Pourquoi avoir choisi de vous intéresser aux intempéries ?
Le déclencheur de cette décision, c’est vraiment un pur hasard.
Quand j’ai décidé de me remettre à la photo, je suis passé par une formation de photojournalisme à l'EMI-CFD. J’avais besoin de prendre des repères vis-à-vis de moi-même, vis-à-vis du monde extérieur. Ca c’est très bien passé, mais je me suis rendu compte à l’issue de cette formation que le photojournalisme n’était pas mon truc.
Il fallait bien vivre, il y a une commande qui est tombé pour un guide touristique à Paris. Elle comportait un cahier des charges bien précis, avec la liste des lieux à photographier sous un grand soleil pour un guide interactif. Pas de chance : il faisait un temps pourri.
C’est donc d’abord par un contre pied que m’est venue l’idée : tiens, Paris sous la pluie. Ca n’avait jamais été fait, ça m’amusait. Donc dès qu’il pleuvait, je sortais. Et il a bien plu ce printemps-là.
Qu'est-ce qui vous a plu dans ce thème de la pluie ? Pourquoi avoir décidé d'exporter le concept à d'autres villes ?
Je n’ai pas encore la réponse ! Est-ce que Burenne peut justifier ses rayures ? Je n’en suis pas sûr. Moi, c’est pareil : pourquoi je me suis pris d’affection pour la pluie, thème que je ne lâche plus depuis 4-5 ans, je ne sais pas.
Après avoir fait une première série de la capitale sous la pluie, j'ai été contacté par le Lucernaire, un théâtre dans le 6e arrondissement de Paris. Ils ont un espace d'exposition au premier étage, ils m’ont proposé d’exposer là-bas. Ca a super bien réagi, j’ai tout vendu. Ca m’a donné confiance.
Mais à l’époque, j’avais décidé d’arrêter la pluie. Je suis parti à Shanghai, en me disant que j'allais faire autre chose, sans trop savoir quoi. Cette histoire de pluie, ça m’a rattrapé. Je me suis rendu compte que ça me plaisait vraiment. Ca m’inspirait, qu’il y avait vraiment de quoi faire. De Shanghai, j’ai été passer quelques jours à Hong Kong, là j’ai craqué sur cette ville. Il y avait une vraie saison des pluies, j’ai vraiment pu me faire plaisir là bas.
Comment choisissez-vous les villes dans lesquelles vous allez ?
C’est un peu selon l’humeur, selon mes envies, et aussi selon la météo.
En continuité de la pluie, j'ai eu envie de prolonger en m'intéressant à la neige, d'où mon départ pour New York. Une fois là-bas, j’ai changé de tactique. Ma première stratégie consistait à passer autant de semaines qu’il faut pour être sûr d’avoir du mauvais temps pendant mon séjour. Aux Etats-Unis, j’ai changé ma stratégie parce que ça coûte cher, et que je n’ai pas forcément envie de rester aussi longtemps.
Désormais, je surveille la météo de Paris, et je saute dans un avion quand une intempérie sérieuse est annoncée. Pour les Etats-Unis, c’est plus facile : c’est vite fait en avion, il y en a beaucoup, et surtout le décalage horaire est dans le bon sens (car on remonte le temps : je peux arriver à temps sans difficulté).
Noël (New York) © Christophe Jacrot.
Pourquoi vous concentrez-vous sur les villes de l'hémisphère Nord ?
Les deux tiers de la planète sont dans l’hémisphère nord! Je ne peux pas être partout en même temps!
Pour l’instant, l’hémisphère sud ne m’attirait pas. Le problème avec l'Afrique, c'est qu'il n'y a pas de vraies mégalopoles modernes, au sens où je l'entends, et en plus il ne pleut pas tant que ça. J’aimerais quand même prendre un billet et aller à Sao Paulo, histoire de voir si la ville m’inspire. Après, pourquoi pas aussi Rio. Dans les deux, il y a une saison des pluies. Et dans le genre mégapoles, je serai servi.
Justement, pourquoi ce choix de ne photographier que dans les grandes villes ?
Pour l’instant, le monde urbain m’inspire beaucoup plus car il se dissocie du climat : dans les grandes villes, on a tendance à oublier qu’il peut faire beau, venter ou neiger. C’est ce rappel à la nature dans les villes qui me fascine. La ville, par définition, cherche à tout organiser, tout planifier, tout régenter. La météo, c’est la seule chose qu’elle ne peut pas contrôler.
Par exemple à New York, ce qui est captivant, c’est la puissance de la ville culturellement, visuellement, et la puissance de ses tempêtes de neige, qui durent huit heures d’affilé. C’est ce qui explique la photogénie des tempêtes de neige là-bas : l’association de ces deux puissances.
De plus, qui dit ville, dit gens. Je m’ennuie sans leur présence. J’ai besoin qu’il y ait ces silhouettes qui passent.
Le Tireur (New York) © Christophe Jacrot.
Ca donne un côté très cinématographique à vos photos. Est-ce voulu ?
Oui, c’est vraiment ce qui m’intéresse, qu’il y ait une histoire qui se dégage, qu’on puisse projeter une narration dans la photographie. J'aime qu’il y ait un avant et un après dans la photo, une atmosphère particulière.
C'est le message que vous souhaitez faire passer à travers vos photos ?
Chacun y mettra le message qu’il voudra !
Il y a une chose qui m'agace dans une partie de la photo contemporaine : elle ne se suffit pas à elle-même. Si on ne lit pas les deux pages de texte qui vont avec, on ne comprend rien. Pourquoi faire de la photo si le texte est indispensable ? Dans ce cas-là, autant écrire.
C’est en partie pour ça que j’ai décidé de ne postuler à aucun prix. Pour avoir une chance, il faut qu’il y ait tout un discours social derrière. Je pourrais mettre moi aussi mon speech, un beau discours écologique accompagnant mes photos : le rappel de la nature dans les villes, le danger que cela représente, mais qu’il faut vivre avec … Ca fait un moment que j’y pense mais je n’ai pas envie.
En plus, les concours, ils reçoivent 5 millions de dossiers, ça me déprime ! J’ai la chance de bien vendre, donc d’en vivre, donc de pouvoir continuer à en faire, c’est vraiment le principal.
J’ai l’impression que, dès qu’une personne achète une image, il y a quelque chose de très intime qui se passe. C’est quand même une somme d’argent, on ne lâche pas comme ça 2 000 euros comme on achèterait une machine à laver parce qu’elle vient de tomber en panne ! C’est un acte réfléchi, les gens reviennent souvent deux fois avant d’acheter, mais en même temps très impulsif, c’est un achat coup de cœur. Ce qui se passe entre le public et les photos, c’est difficile de savoir, comme pour la peinture. Mais en tout cas les gens se projettent dans mes photos, ça c’est sûr. Les échos que j'ai le plus souvent, c'est la présence de l'émotion qui se dégage et le côté très narratif.
J’essaie d’abord de faire des images qui vont me plaire à moi-même. Si ça plait aussi aux autres, tant mieux. C’est vrai que parfois je me surprends à m’autocensurer, à me dire non celle-là, ça ne plaira pas. Je cherche une certaine intensité dans l’image, c’est ça mon principal critère de choix.
Goodman (Chicago) © Christophe Jacrot.
Quel matériel utilisez-vous ?
J’ai un numérique, un 5D. Le numérique a aujourd'hui une qualité supérieure par rapport à l’argentique. Il a ses défauts, il faut juste les connaître pour les contrôler. Le numérique n'aime pas les hautes lumières, ni la nature (pas les arbres, les feuillages, les pelouses … mais comme je n'en fais pas, cela ne me dérange pas). Par contre, dans les basses lumières, la nuit, le numérique est très à l’aise.
Après, je travaille avec Photoshop, comme tout le monde. Je ne fais pas grand-chose : essentiellement, un travail sur les contrastes. Je rééquilibre, pour faire en sorte que le regard aille là où j’ai envie qu’il aille.
Je ne recadre pas. Une sur dix est très légèrement recadrée, mais c'est souvent quand les conditions étaient vraiment très difficiles, où je ne voyais rien.
En ce qui concerne les tirages, c’est moi qui les contrôle, sinon ce n’est plus un tirage d’art.
J’aime bien les grands formats. J’essaie de trouver le format juste par rapport à chaque photo. Le format que j’utilise majoritairement, c'est le 70 x 105. Je l'aime bien, car c’est ni trop grand, ni trop petit. Ca reste intime tout en parlant aux gens. Il y a certaines images qui appellent plus grand, d’autres plus petit ; mais quand je prends mes images, j’aime bien penser grand format.
La Passante du Sans-Souci (Paris) © Christophe Jacrot.
Vous et votre appareil photo, vous n'attrapez pas trop de rhumes dans ces conditions difficiles ?
Je ne suis jamais tombé malade en travaillant !
Quand à mon appareil, j'ai un moyen pour le protéger dans une sacoche spécial. Le problème numéro un, c’est la condensation ou le choc thermique. Si par exemple je suis dehors, qu'il fait froid et que je rentre dans un café chauffé, il se couvre de buées instantanément, et après il faut attendre au moins 20 minutes pour qu’elles s’en aillent. Une vraie catastrophe ! A l’inverse, dans un pays chaud où il fait humide, Hong Kong par exemple, je rentre dans n’importe quel endroit, c’est climatisé à 18 degrés. Quand je ressors, instantanément, mon appareil se couvre de buée. Il faut vraiment faire attention, car la buée va même à l’intérieur de l’optique.
Avez-vous d'autres projets en cours ?
J'ai quelques projets en l'air, notamment une exposition à Shanghai et une autre à Genève.
Faire des images, ça reste une priorité. En ce moment, je travaille surtout sur des images prises au Japon. J'aimerai beaucoup aller en Russie aussi, mais ma stratégie qui consiste à sauter dans un avion est incompatible avec leur politique stricte de Visa. Il faut que j'essaie de voir si je peux trouver un moyen car ça m'intéresserait beaucoup d'aller faire une série là-bas.
Les oiseaux (Bologne) © Christophe Jacrot.
Qu'est-ce qui serait une vraie consécration pour vous ?
Qu’est ce que c’est la consécration ? Qui c’est qui décide que ... Un jury, le maire de Paris, les gens qui programment dans les musées … Parce que c’est ça : il y a dix personnes dans Paris qui vont décider ce qui est de la bonne photo et ce qui n’en est pas. La consécration, un étage entier à la MEP ? Pourquoi pas…
Mais la vraie consécration pour moi, ce serait une exposition gratuite à l’hôtel de ville. Avec la queue de 300 mètres devant. Ca, ça me plairait vraiment. Enfin, plutôt payante. Non pas pour gagner de l’argent, mais parce que la gratuité fausse un peu les choses : on ne sait pas si les gens viennent parce qu’ils ont envie de venir voir, ou juste parce que c’est gratuit et qu’il fait chaud. Je trouve ça normal qu’on paye les musées, même si parfois c’est un peu trop cher, tout a un prix, il n’y a pas de raisons que tout ça soit pris en charge par l’état : 5euros serait un bon compromis. L'hôtel de ville parce que c'est plus neutre qu’un musée, moins connoté. C’est le centre de la ville, et puis il y a eu de supers expos.
Sinon j’aimerai bien une belle expo au Japon. Mais ce n'est pas facile : il y a peu de galeries à Tokyo. Les japonais s’intéressant beaucoup à l’art mais achètent peu de photos. C’est très marrant de les voir dans les musées, c’est presque religieux : il n’y a pas un bruit, ils viennent sans les enfants (ici, c’est un peu la promenade du dimanche, avec les gens qui viennent aux expos avec les poussettes, leurs enfants). L’art est pris très au sérieux. Ils sont très attentifs, c’est très glorifiant pour l’artiste. J'ai d'ailleurs peut être un projet avec un immeuble appartenant à Chanel à Tokyo, mais ce n'est pas encore fait.
Propos recueillis par Claire BARBUTI