Louisa Gouliamaki, Angelos Tzortzinis et Aris Messinis à Perpignan pour Visa pour l'image © Claire Mayer
Louisa Gouliamaki, Angelos Tzortzinis et Aris Messinis sont photographes pour l'Agence France Presse. Lorsque les manifestations ont éclaté en Grèce, ils ont décidé de partir tous les trois pour couvrir les évènements.
Ils en ont rapporté des images choc, poignantes, des témoignages presque irréels de ce qu'a vécu la Grèce pendant des mois, qu'ils ont exposé cette année lors de la 24e édition de Visa pour l'image.
Rencontre avec trois photographes qui n'ont pas froid aux yeux.
© Aris Messinis / AFP
Pourquoi la photographie ? Comment en êtes-vous arrivés là ?
Aris Messinis : Mon père était photo reporter. Donc depuis ma naissance, j'ai baigné dans cet univers. J'ai commencé en 1996 en Grèce. Au départ, j'étais photographe sportif, pendant un an, puis j'ai décidé de devenir photographe indépendant pour la presse, avant de rejoindre l'AFP en 2003.
Louisa Gouliamaki : J'ai rejoins l'AFP en 2005. Je suis née en Pologne, mon frère faisait des photos, travaillant un peu pour des magazines, c'était un moment historique de solidarité et de changement à l'époque. Cela m'a impressionné de pouvoir faire des images qui immortalisent l'histoire. J'ai hésité entre le design et devenir photographe. J'ai choisi la photo car cela permet de voyager, vous pouvez travailler n'importe où, vous pouvez parler avec vos images, même quand vous ne parlez pas le même langage. J'ai commencé en Grèce, et j'étais entre la photographie d'art et le photojournalisme. Mais j'ai choisi le photojournalisme.
Angelos Tzortzinis : J'ai fait une école de photographie dans les années 1990, et quand j'ai terminé, au bout de deux ans j'ai commencé à être photojournaliste. Il n'y a pas de raison spécifique pour laquelle j'ai choisi la photographie. J'étais très impressionné par la photo en général. Lorsque j'ai fait mon école de photo, je n'étais pas sûr de vouloir devenir photographe. Mais lorsque j'ai commencé à être professionnel, j'ai tout de suite choisi le photojournalisme.
Pourquoi et comment avez-vous commencé à travailler ensemble ?
Aris Messinis : Nous étions tous les trois du bureau de l'AFP en Grèce. Je suis arrivé avant eux à l'AFP, au début du pôle européen. Je cherchais des gens avec qui travailler, qui avait une grande expérience et bien sûr de bons photographes donc j'ai choisi Louisa ! (rires) Elle a tout de suite accepté. Puis j'ai demandé à Angelos, qui était lui aussi à l'AFP qui voulait pratiquer, aller sur le terrain. J'ai vu ses portfolios et je me suis dit « cet homme-là a du talent ! ».
Ce projet est le premier que vous faites ensemble ?
A l'unanimité : Ce projet est le premier, mais pas le dernier !
Pourquoi avez-vous choisi d'exposer ce documentaire à Visa pour l'image?
Aris Messinis : Nous nous sommes mis d'accord avec l'AFP. Ils ont choisi un thème à appliquer à cette exposition. Puis nous avons planifié cela, nous avons fait une sélection globale, et nous avons fait la sélection finale ensemble, sur un travail datant de 2010-2011. Ces images correspondent à une période de grandes révoltes, un moment très difficile pour la Grèce.
Louisa Gouliamaki : C'est l'AFP qui a fait ce choix, car cela fait un moment que ces révoltes ébranlent l'Europe. Ils voulaient mettre l'accent, intéresser les gens car c'est une crise qui a lieu en Europe et tout le monde est concerné.
Combien de temps avez-vous passé dans ces révoltes ?
Louisa Gouliamaki: les images proviennent surtout d'évènements qui ont eu lieu l'année dernière
Aris Messinis : Cela dépendait des évènements, le plus long moment que nous avons passé au milieu de tout cela, a été de 16 heures, des périodes où nous commencions à 1h de l'après-midi, et nous partions à 1h du matin. Nous avions des deadlines pour envoyer nos images aux journaux, donc nous ne pouvions pas perdre de temps. Nous travaillons pour donner des actualités, nous devions aller vite.
© Angelos Tzortzinis / AFP
Quel est votre pire souvenir ?
Louisa Gouliamaki : Pour moi, cela remonte à juin l'année dernière. Je me suis dit que nous étions des victimes, que nous allions mourir. La violence était impressionnante, il y avait d'énormes tirs de gaz, nous ne pouvions plus respirer. Ce jour-là, nous avons été surpris que personne ne soit mort. C'était vraiment très très violent. Les manifestants étaient déchaînés, et la police était très brutale, tout comme d'ailleurs les manifestants eux-mêmes. C'est vraiment mon pire souvenir. Rien ne nous est arrivé, rien n'est arrivé aux gens autour de nous, mais c'était vraiment très dense, et à aucun moment nous ne savions ce qui arriverait après. Nous avions le sentiment que la révolution arrivait.
Aris Messinis : C'est pour moi aussi mon plus mauvais souvenir. Se retrouver au milieu d'autant de violence, sans arriver à contrôler quoique ce soit... Nous avons eu très peur.
N'était-ce pas difficile pour vous de couvrir ce genre d'évènements, alors qu'il s'agit de votre propre pays ? Comment l'avez-vous vécu ?
Aris Messinis : Oui, c'est vrai, ça a été difficile. Mais d'un autre côté, il s'agit d'êtres humains, peu importe leur nationalité. Effectivement, il s'agit de notre pays, mais je pense que j'aurai ressenti la même chose si javais couvert les mêmes évènements dans un autre pays. Lorsque l'on est photo reporter, nous devons être objectifs, et ne pas s'impliquer dans le conflit. Lorsque je rentre chez moi le soir, je repense à tout cela, évidemment. Mais sur le coup, lorsque nous prenons ces photos, nous nous devons de ne pas penser à ça. Qu'il s'agisse de notre propre pays ou non, lorsque l'on voit des gens s'entretuer, c'est difficile quoiqu'il arrive.
Louisa Gouliamaki : C'est sûr qu'après cela tu rentres chez toi et tu te rends compte que tu as vécu des choses très fortes avec des gens que tu ne connaissais pas. Au milieu des évènements, tu demandes aux gens s'ils vont bien, comme s'il s'agissait de tes amis. Tu es inquiet après pour eux, tu te demandes s'ils s'en ont sortis ect. Lorsque nous le pouvons, nous aidons les gens autour de nous. Mais nous sommes là pour couvrir l'évènement, nous devons rester forts pour faire notre travail.
Aris Messinis : Nous essayons d'aider les gens, certes, mais bien souvent nos images aident encore plus.
Comment étaient la police avec vous ? Etaient-ils compréhensifs ?
A l'unisson : Ah !
Louisa Gouliamaki: Pas vraiment. J'ai d'ailleurs eu une dent cassée !
Aris Messinis : La police était sans doute notre pire ennemi dans ces évènements.
Louisa Gouliamaki : Certains, ou plutôt très peu d'entre eux, nous protégeaient, mais en général, quand nous étions au milieu des manifestations, ce n'était plus le cas. Nous avions nos appareils, ils savaient que nous étions reporters, mais cela n'a rien changé.
Aris Messinis : Nous représentions des cibles pour eux, car ils savaient que nous étions là pour témoigner, et ils ne voulaient pas que nous le fassions. Lorsqu'ils tabassent et arrêtent un vieux monsieur par exemple, forcément ça fait désordre.
Les policiers, dans ces évènements, peuvent battre les gens comme ils veulent, ils en profitent. Même si nous faisions tout pour être objectifs, nous étions forcément au milieu. Tu es au milieu, tu es une cible pour les deux camps. Du côté des manifestants, vous ne pouvez exiger des règles, c'est l'anarchie. Du côté des autorités officielles, normalement ils doivent bien traiter les gens, et faire leur travail, et suivre des règles. Ce n'était pas le cas.
Angelos Tzortzinis : Le problème était que les photographes étaient placés entre la police et les manifestants. En plus de cela, la police attaquait les photographes sans raison spécifique, tout comme ils le faisaient avec les contestataires.
Louisa Gouliamaki : Nous portions tous, à cause des gaz libérés par la police, des masques pour nous protéger. Mais avec cela, nous n'entendions rien, et du coup nous ne savions pas si quelqu'un arrivait derrière nous. Nous devions être sans cesse en alerte, tout en faisant notre travail.
Angelos Tzortzinis : Avec ces masques, il était aussi très difficile de prendre des photos, nous ne voyions pas grand chose.
Aris Messinis : Et il était très difficile de ressentir les choses normalement. En plus de cela, les manifestants pensaient que nous travaillions avec la police, parce que nous essayions de les prendre en photo. Mais ils voulaient surtout réagir, ils étaient en révolte, donc c'était le chaos plus qu'autre chose.
Comment les manifestants se comportaient-ils avec vous ?
Aris Messinis et Angelos Tzortzinis : Ils pensaient que nous travaillions pour la police. Donc ils n'étaient pas tendres avec nous non plus.
Louisa Gouliamaki : Les médias officiels en Grèce, ne disent pas toujours les choses correctement. Ils n'expliquent pas ce qu'il se passe officiellement, donc parfois leur colère se retourne contre les médias aussi. Et nous représentions les médias. Nous devions donc négocier, discuter, expliquer.
Avez-vous publié ces images dans des journaux grecs ?
Louisa Gouliamaki : Nous n'avons pas eu beaucoup de publications dans des journaux locaux, mais surtout dans la presse internationale, envoyée par l'AFP.
Aris Messinis : Il y a beaucoup d'images qui sont très difficiles pour les publier en Grèce, comme l'image des policiers malmenant et emmenant de force un vieillard qui ne tient même plus debout. En Grèce, ils ne veulent pas montrer des images qui rendraient le conflit plus compliqué. Cela envenimerait la situation.
Allez-vous faire un nouveau documentaire tous les trois ?
Louisa Gouliamaki : Nous travaillons ensemble. Si nous nous retrouvons un jour au même endroit pour couvrir la même chose, alors nous le ferons ensemble. Si nous trouvons un sujet à faire ensemble, pourquoi pas ce serait bien ! Nous sommes une bonne équipe ! (rires)
Propos recueillis par Claire Mayer