Massoud Hossaini à Perpignan pour Visa pour l'image © Claire Mayer
Massoud Hossaini est né en Afghanistan. Pourtant, il est contraint à l'exil en Iran avec sa famille, à cause de la guerre qui ravage son pays. Considéré comme un réfugié en Iran, il a grandi en voulant coûte que coûte être un témoin. Témoin de la situation des réfugiés en Iran d'abord, puis témoin de ce qu'il se passait dans son pays. Alors il a trouvé l'une des meilleures armes possibles pour témoigner, un appareil photo, puis il est retourné en Afghanistan.
Rencontre avec un photographe passionné par son pays, qu'il regarde trop souvent avec tristesse.
Pouvez-vous me raconter votre parcours ?
Je suis né en Afghanistan et j'ai grandi en Iran parce que lorsque je suis né, la guerre faisait rage en Afghanistan. Lorsque j'ai fini mes études, j'étais un réfugié afghan, donc je savais qu'un jour je retournerai dans mon propre pays. Les réfugiés afghans qui vivent en Iran sont de fait dans l'illégalité. Il est donc très difficile de vivre, ils n'ont pas de pouvoir, de maisons à eux, certains d'entre eux doivent fouiller les poubelles. Quand je voyais cela, j'étais vraiment très triste. Je me sentais coupable de ne pas informer les gens là dessus. J'ai essayé d'enregistrer et de montrer cela. J'ai commencé à écrire, mais je me sentais restreint par l'écriture.
C'est pour cela que je me suis tourné vers la photographie. Ce n'était pas facile pour moi car j'étais réfugié, j'ai du financer moi-même mes études, et en plus nous ne pouvions avoir de travail légal.
Puis j'ai travaillé chez un tailleur neuf mois pour pouvoir m'acheter un appareil photo. J'ai donc commencé à prendre des photos, à faire des documentaires sur la vie des réfugiés en Iran.
Après les évènements du 11 septembre, il y a eu un grand changement pour moi et dans ma vie. Je me suis senti prêt à revenir dans mon pays, à comprendre et à affronter ce qu'il se passait là-bas.
Je suis donc allé en Afghanistan en 2002, et un jour j'ai rencontré le photographe franco-iranien Reza dans la rue. Je l'ai arrêté, en lui demandant si je pouvais lui montrer mes photos. Il a été très souriant et très gentil. Il m'a donné deux pellicules, et m'a dit « vas-y, utilise les ! ». Je me rappelle que c'était très cher, j’étais très touché !
Donc j'ai commencé, essayant de prendre les meilleures photos.
Reza m'a tout appris. Il m'a managé lors de ma première publication pour le Sunday Times Magazine, et m'a dit « c'est ton projet, choisi ton assistant, et met en place ce projet ». Je l'ai fait, c'était mon premier reportage professionnel.
Vous avez rejoins l'AFP (l'Agence France Presse) en 2007. Pourquoi ?
J'ai rejoins l'AFP car j'aime vraiment travailler avec l'actualité. Et la plus grande partie de ce qu'il se passe dans mon pays concerne la guerre. J'ai beaucoup appris sur l'histoire de mon pays, et la guerre en fait partie intégrante, et partie intégrante de mon époque. J'ai donc commencé à suivre les militaires sur les zones de conflit pour faire des reportages « embarqués » avec eux. Cela a été une bonne opportunité pour moi de voir comment sont les troupes en Afghanistan, comment ils se comportent. La première fois que j'ai vu un étranger dans ma vie, c'était en Afghanistan. En Iran, le gouvernement a une politique difficile envers les étrangers.
Parlez-nous de votre exposition à Visa « Afghanistan : regard de l'intérieur »
Cette exposition est en deux parties, la première traite de la guerre et des violences qui ont lieu dans mon pays, et la deuxième partie concerne la vie quotidienne en Afghanistan.
Tout d'abord, j'ai grandi en Iran, et je n'étais pas en Afghanistan. Donc quand j'y suis allé, j'étais comme un étranger dans mon propre pays, car je ne n'y étais jamais allé avant. Ceci est donc mon point de vu extérieur.
Mais en même temps, j'avais des informations et une culture de ce pays.
Donc j'ai lié ces deux points de vue pour réaliser mes images. De surcroît, parce qu'il s'agissait de mon pays, j'ai été patient, pour pouvoir aller le plus loin possible dans le détail.
La différence entre un photographe qui viendrait quelques jours pour couvrir un événement et moi, c'est qu'il vient 15 jours, et qu'il doit mixer toutes les informations qu'il récolte, en aussi peu de temps.
© Massoud Hossaini
Mais cela doit être plus difficile pour vous, car il s'agit de votre pays non ?
Bien sûr que c'est plus difficile. Comme je vous l'ai dit, quand je suis né, la guerre avait déjà commencé. J'ai grandi en Iran, mais la situation n'était pas plus stable, car un autre conflit a eu lieu, la guerre Iran/Irak. Par exemple, à l'école, nous apprenions comment porter des masques dans le cas d'une attaque chimique.
Donc quand je suis retourné en Afghanistan la guerre faisait déjà rage. Des deux côtés, toute ma vie j'ai exprimé la guerre. J'ai toujours espéré avoir une vie normale, dans la paix. Quand vous êtes dans ce type de pays, cela vous rend déprimé. Vous devez toujours aller de l'avant par rapport à la situation.
Par exemple, pour moi le jour où j'ai pris la photo de la petite fille en vert (qui lui a valu le prix Pulitzer ndlr), ce fut le moment le plus horrible de ma vie. J'ai fait partie de cette scène, et après ça, ces images ne me quittaient plus. J'ai à la suite de ça cherché la famille, afin d'essayer de les aider financièrement.
Mais en même temps, je dois faire mon travail, et faire de mon mieux même quand je suis dans de telles situations.
Quand vous couvrez ce type d'évènements, vous devenez plus émotifs et moins patient. J'étais en colère. Ce type d'évènements influent forcément sur votre vie personnelle.
© Massoud Hossaini. Avec cette photographie, Massoud Hossaini a remporté le Prix Pulitzer 2012 dans la catégorie "breaking news"
Comment les gens réagissent quand vous êtes en reportage ? Etes-vous accepté par la population afghane ?
Il y a deux langues en Afghanistan, et je parle l'une d'entre elle. Cette question des deux langues fait d'ailleurs partie du conflit.
Les gens qui parlent le même langage que moi, sont accueillants. Certains de ceux qui ne parlent pas la même langue que moi, il est plus difficile de s'entretenir avec eux, évidemment. Je dois trouver des façons de communiquer avec eux, de devenir « ami » avec eux, leur expliquer ce que je fais, et obtenir leur confiance. Parfois c'est facile, parfois ça l'est beaucoup moins.
Souvent, les gens sont en colère contre les étrangers. De mon côté, je suis le plus souvent au milieu. D'abord, je m'habille différemment car j'ai grandi en Iran, et mon visage est un peu différent : j'ai les cheveux longs ce qui n'est pas habituel là-bas, et je passe aisément pour un étranger. Je dois donc faire très attention. Quand je vais à la rencontre des gens, je dois discuter avec eux, les toucher dans leurs émotions.
Lorsque je me retrouve dans des situations dangereuses, je vais voir les gens, je leur demande ce qu'il s'est passé...
Un jour, dans une manifestation dénonçant l'incendie de corans par des soldats américains, un homme est venu me voir en me tendant une pierre. Il m'a dit « Si tu es musulman, jette cette pierre sur les soldats américains ». J'ai pris la pierre, j'ai feint de la jeter, puis j'ai réussi à esquiver cet épisode en prétextant une photo à prendre. Pour un autre photographe, cela aurait été plus compliqué.
© Massoud Hossaini
Quelle est votre photo préférée ?
Je ne dirai pas préférée, mais la photo qui m'a le plus marqué et qui m'a rendu célèbre, est celle de la petite fille au milieu de l'attentat.
Depuis que vous vivez en Afghanistan et que vous couvrez l'actualité de votre pays, quel est votre meilleur souvenir ?
Une fois j'ai pu me rendre à un concert uniquement réservé aux femmes. Aucun homme ne pouvait venir. Donc elles se sentaient vraiment libres, elles étaient joyeuses, fashion, maquillées, non voilées... Elles pouvaient même danser !
Le pire ?
Sans aucun doute celui de l'attentat, c'est un moment qui me marquera toute ma vie, je le sais. Souvent, les journalistes me demandent combien de fois j'ai réussi à regarder cette image. Je leur dit que lorsqu'il faut en parler, car c'est mon devoir de reporter, alors je le fais, mais quand je n'en ai pas la nécessité, je préfère ne pas la regarder.
Propos recueillis par Claire Mayer