Albert & Verzone
Alessandro Albert est né à Turin en 1965. Paolo Verzone est lui aussi né à Turin, mais en 1967. Inséparables depuis l'enfance, les deux amis ont très vite choisi la même carrière, celle de photographe.
Ensemble, ils ont crée le style « Albert & Verzone », reconnaissable entre tous. Des portraits réalisé à Moscou en 1991 ont marqué le début de leur carrière en binôme. A eux deux, ils ont trouvé leur crédo.
Pourtant, ils font aussi bande à part, et là, leur style se démarque aisément l'un de l'autre. Paolo Verzone aime les portraits officiels, droits et froids, tandis qu'Alessandro Albert aime photographier les corps sans vie dans les morgues. Ce duo improbable fait pourtant fureur depuis plus de 20 ans.
Rencontre avec deux photographes distincts, mais qui ne font qu'un.
© Paolo Verzone
Pouvez-vous nous raconter vos parcours ?
Alessandro Albert : Quand j'étais petit, avant même d'avoir un appareil photo, je voulais immortaliser les choses avant même d'avoir cligné des yeux dans l'espoir d'imprimer ces images dans ma mémoire. Pourtant, avec le temps, ces images disparaissaient.
Les premières photos que j'ai prises, vers 12 ans, c'était je pense pour entrer dans le monde de la photographie pour enregistrer, me souvenir, parce que j'avais peur que quelque chose que je considérai comme important soit perdu et ne soit plus visible pour les autres.
Donc, pour moi, la photographie a été une aide mémoire importante. J'ai tout appris par moi-même, même le développement et l'impression de mes photos dans une chambre noire.
Plus tard, la photographie est devenue un mode de vie, une façon de passer de nombreuses vacances. Ca a été un moyen et une excuse pour aller à des endroits et voir des choses qui m’intriguaient. Puis j'ai rencontré Paolo, et ensemble nous avons fait quelques projets ; de là c'est devenu notre commerce.
Après plusieurs années il alla vivre à Paris, et nous nous sommes divisé le travail, même lorsqu'il s'agissait d'un travail commun. J'ai commencé à faire des portraits en couleur de format moyen et plus de reportages. Après plusieurs années d'heureuse collaboration avec l'agence « Grazia Neri », je travaille maintenant avec « Getty Images » pour les images commerciales que je réalise. Je suis aussi arrivé à faire quelque chose qui allait contre ma nature : enseigner la photographie. Je ne suis pas amoureux des challenges mais parfois vous apprenez plus avec les choses auxquelles vous n'êtes pas apparenté.
Paolo Verzone : J'ai commencé à faire des photos très très tôt. Ma mère était photographe. Mais la dernière chose que je pensais faire de ma vie, c'était d'être photographe. Je me disais que ça pouvait être une passion, et non pas un métier. On avait une chambre noire à la maison, et donc c'était moi qui faisait des photos pour mes amis, j'avais 12-13 ans. J'utilisais les appareils de ma mère et je les développais chez moi.
Plus tard, le père d'un ami, qui était un écrivain italien très connu, m'a demandé de faire les photos de son livre, j'avais 18 ans. Ce sont les premières photos que j'ai vendu à une maison d'édition. Par la suite, ça a continué. A 18 ans, bien sûr, je n'avais aucune idée de ce que je voulais faire, donc la photographie a été pour moi comme un jeu. Je me suis retrouvé dans un métier sans, de fait, l'avoir choisi. Après, le choix, je l'ai fait quand les choses sont devenues plus structurées. C'est donc devenu mon métier.
Mais au départ, je ne l'avais pas choisi, c'était juste un plaisir de le faire. Ca s'est donc fait de façon assez naturelle, sans que je me pose la question de savoir ce que je voulais faire de ma vie.
Si vous aviez pu faire un autre métier, qu'auriez-vous aimé ?
Alessandro Albert : J'aurai aimé être écrivain ou musicien. En effet, si j'avais du étudier la musique, je serai certainement devenu musicien. J'aurai également pu être un voleur, alternativement.
Plus tard, quand la photographie ne me suffisait pas pour vivre, j'ai travaillé pendant de nombreuses années comme charpentier dans un magasin qui vendait des cadres photos. J'ai vraiment aimé ça et je nourris un profond respect pour la charpenterie.
Paolo Verzone : J'avais la vague idée de faire du cinéma. Sinon, j'aurai rêvé être physicien. Le côté « découverte » des choses me plaisait beaucoup. Mon grand-père était archéologue, on avait donc dans la famille cette idée de découverte des choses, j'ai grandi dans cet esprit d'exploration, et ça me passionnait.
Quelle est la première série que vous ayez réalisé ?
Alessandro Albert : La première série dont je me souviens était un travail graphique d'une autoroute, fait à partir d'un haut point de vue. Puis j'ai fait un shooting photo avec des enfants d'une école primaire, toutes en noir et blanc (elles ont été faites quand je passais par ma phase Giacomelli). C'était l'école primaire où j'étais moi-même allé, et j'ai simplement demandé l'autorisation du directeur. Aujourd'hui, il serait impossible de réaliser ce genre de projet à cause des nombreuses décharges, sans fin.
Paolo Verzone : Comme « série » à proprement parler, la première est celle que j'ai faite avec Alessandro en 1991 à Moscou. C'était vraiment le fruit du hasard. J'avais à l'époque 22 ou 23 ans, Alessandro deux ans de plus que moi, on faisait tous les deux des travaux commerciaux, mais on arrivait pas vraiment à faire un vrai travail personnel, plus fort.
Donc on s'était dit qu'on devait sortir du lot, et faire quelque chose de plus structuré. On voulait aller en Inde, pour faire des photos sur « les femmes de l'Inde », à la chambre. C'était vraiment pas original ! Sauf que pendant le mois d'août, il y a eu le coup d'état à Moscou. On était prêts à partir pour Bombay, et au dernier moment, on a eu un déclic et on s'est dit qu'on allait faire plutôt un reportage à Moscou, décliné en portraits.
On est parti Mais dans la naïveté de notre jeunesse, on croyait qu'on pouvait faire nos photos comme ça sans problème en pleine rue avec nos draps blancs sans rien demander à personne. Evidemment, on a pas été très bien reçus ! Donc on a enlevé le fond, et on a cherché des lieux avec des fonds « neutres » pour pouvoir prendre les gens en photo. On s'organisait pour faire une quarantaine, cinquantaine de portraits par jour. C'est donc le premier projet vraiment structuré que l'on a fait avec Alessandro.
Quelle est la différence pour vous entre un travail personnel et un travail « de groupe » comme vous le faites l'un avec l'autre ?
Alessandro Albert : Le style Albert & Verzone a émergé et mûri comme un style d'efforts combinés ; il a été forgé et a grandi quand nous-mêmes, comme des individus séparés, n'avions pas de style particulier. Pour cela il a été possible de travailler ensemble et ensuite de développer le style Albert et le style Verzone. Mon travail est séparé en deux parties : ce que je fais pour vivre, et ce que je fais pour moi. Mais la vérité est que ces deux parties se contaminent l'une l'autre mutuellement.
Par exemple, mon travail sur les autopsies contamine mes méthodes de réalisation de portraits. Mais j'aime ces contaminations et je vois l'aspect polyédrique comme quelque chose de très positif. Le regard fixe d'Albert et Verzone est donc fortement limité à l'utilisation d'un équipement photographique spécifique et à une technique de prise de vue qui aide à travailler en duo. Il serait impossible pour moi comme pour Paolo de reproduire individuellement ce que nous faisons ensemble.
Paolo Verzone : Ce que l'on fait ensemble, Alessandro et moi, c'est une troisième personne. On rit beaucoup de ça, on se dit que nous sommes des psychopathes parce que l'on a trois identités, toi, moi, et l'autre. Le problème, c'est que l'autre travaille très bien. Parfois c'est même handicapant pour nous, parce que « l'autre » a plus de succès que nous. On nous connaît plus comme « Albert & Verzone » qu'individuellement. Parfois ça nous ennuie. C'est pas moi, c'est pas lui, mais c'est nous deux. Il est déjà arrivé que quelqu'un nous passe une commande en disant « mais je veux l'autre ».
© Paolo Verzone
© Paolo Verzone
On est en train de préparer un travail sur une grande entreprise pharmaceutique qui veut faire une grande exposition en Italie de tous les pharmaciens d'Italie. La requête était claire : c'était pas lui, c'était pas moi, c'était Albert & Verzone.
Quel est votre meilleur et plus mauvais souvenir de shooting avec lui ?
Alessandro Albert : Je n'ai pas le souvenir d'un unique bon souvenir que nous avons partagé. Les meilleurs moments en réalité sont ceux qui ont pris place autour de la photographie. Une certaine humeur s'est installée entre nous quand nous avons appris à rire de certaines situations et de toujours trouver un côté ironique aux situations les plus désespérées. Moscou en 1991 a certainement été le moment le plus important. Outre le côté professionnel qui a imprimé notre marque de fabrique, la ville et la photographie nous a donné une image profondément positive.
Le pire moment a été peut être à Moscou en 2001 lorsque cette synergie entre nous manquait et que cela se voyait dans les résultats.
Paolo Verzone : Mon meilleur souvenir est le voyage dans un bateau marchand polonais q'on a fait pendant 25 jours en 1993 pour faire un reportage
Le plus mauvais : le jour où l'on pensait avoir perdu le négatif d'une image qu'on aimait beaucoup, la photo du Marin de Moscou (après 24 heures on l'a retrouvé)
Alessandro, Votre genre photographique est relativement éloigné de ce que vous créez avec Paolo. Pouvez-vous nous l'expliquer ?
C'est vrai. Dans mon propre travail photographique, j'essaie toujours de mettre une distance d'Albert et Verzone mais aussi de Verzone. C'est un choix personnel. Comme je l'ai dit plus tôt je suis très curieux et je trouve plus intéressant d'aller dans une direction différente et d'explorer d'autres parcours. Mais parfois je fais la même chose avec moi-même, quand je vois que je suis une ligne trop droite je change soudainement de direction.
© Alessandro Albert
Alessandro, pouvez-vous nous parler de votre série « autopsie » ? Comment l'avez-vous réalisé et pourquoi ?
Alessandro Albert : C'est la première fois que l'on m'interroge sur mon travail sur les autopsies. J'ai toujours été attiré par le corps humain. Quand j'étais enfant j'avais l'habitude de feuilleter les encyclopédies médicales pour voir des photos de chirurgie. En plus de cela j'étais intéressé par les situations inaccessibles où l'on ne sait pas exactement de quoi il s'agit. Donc la salle de dissection avec ses cadavres était un endroit mystique pour moi.
Il y a quelques années j'ai rencontré un médecin légiste du même âge que moi qui avait également une grande passion pour le cinéma. J'ai commencé à le suivre pendant ses autopsies. J'ai pris beaucoup de photos.
© Alessandro Albert
Avant d'entrer dans une salle d'autopsie, vous pensez qu'être présent et photographier les corps vous permettra de découvrir quelle est la réalité et de comprendre quelque chose sur la mort ; mais à la place, au final, il n'y a rien à découvrir. Mais je pense que mes images ont un impact particulier sur le public, et il reste néanmoins impressionné, et même s'il est apprécié par beaucoup, en Italie il est pratiquement impossible de même en parler.
© Alessandro Albert
Paolo, comment avez-vous rencontré Alessandro Albert ?
Paolo Verzone : On avait tous les deux entre 12 ans et 14 ans, nos familles se connaissaient, et nous étions dans un groupe d'amis qui se fréquentait. Alessandro savait que j'étais passionné par la photo, et je savais qu'il l'était lui aussi. Donc on regardait les photos de l'un ou de l'autre, on faisait des comparaisons, des compétitions ! Ca a continué à un niveau où lorsque l'on a commencé à en faire nos métiers, si un des deux avait une information, il la faisait partager à l'autre. Par exemple, si l'un apprenait que tel magazine cherchait tel type de photos, il le disait tout de suite à l'autre. On avait une sorte de jeu tous les deux où, si l'un des deux allait par exemple à Milan montrer des photos, l'autre devait prendre rendez-vous dans la même journée : on y allait alors ensemble, au même rendez-vous, et on se retrouvait après pour en parler ! C'était une compétition, mais amicale. Comme un jeu entre nous !
Mais lorsque l'on fait des photos ensemble, il n'y a jamais de compétition. On impose jamais une idée à l'autre, on est vraiment pour la beauté d'un travail, d'une image.
Comment est né le projet « Seeuropeans » avec lui ?
Paolo Verzone : J'ai eu une idée un jour où j'étais sur une plage à Biarritz. Je me suis dit que ça serait pas mal de faire des photos de gens à la plage. J'en ai parlé à Alessandro, et on s'est dit que ce serait une bonne idée de faire un parallèle de deux plages : une plage du nord et du sud de l'Europe.
On a donc photographié à Rimini en Italie, et Brighton en Angleterre, en 1993. On a fait ce travail à la chambre, on avait un dispositif complètement différent de celui que l'on avait utilisé à Moscou. En effet, sur la plage, on a du apprendre à appréhender différemment les gens. On était tous les deux complètement habillés, (sinon on aurait pas été très crédibles en maillot de bain ! ) avec une grande chambre et une toile noire dessus. Ca renvoyait vraiment à la photo du XIXe. On passait la journée entière là-bas. Il fallait donc instaurer une sorte de confiance avec les gens, parce que tout le monde nous regardait avec curiosité.
Albert & Verzone « Seeuropeans »
Une fois ce travail terminé, on pensait que c'était clôt. Puis, plusieurs personnes nous ont demandé pourquoi nous ne continuions pas dans toute l'Europe. Surtout Laurence Brun, du centre international de la photographie, qui nous a poussé à continuer le projet.
Comment s'est déroulé l'organisation du projet ? Comment vous êtes-vous organisé et comment s'est-il organisé ?
Paolo Verzone : Il y a deux ou trois niveaux de communication avec les gens que nous photographions. Le premier, c'est lorsque l'on parle la même langue. Le deuxième – et plus important – c'est un moyen de communication ancestral, c'est à dire que l'appareil photo est un outil qui donne des souvenirs d'une époque passée de l'idée du portrait à la personne que l'on cherche à photographier. Certains comprennent donc qu'il s'agit d'une « photo à l'ancienne » donc ça facilite le contact. Ce qui facilite aussi les choses, c'est le fait d'utiliser un pied. La personne que l'on cherche à photographier ne se sent donc pas agressée, elle peut gérer et sortir du champ.
Le troisième niveau de communication est tout simplement les gestes que nous faisions aux gens pour qu'ils comprennent !
Mais il y avait de tout, les gens n'étaient pas forcément compréhensifs. Certains disaient même à une personne en train de se faire photographier : « tu sais, tu pourras leur demander de l'argent, il y a des droits, tu peux les envoyer devant un tribunal » ! Enfin, ceux qui ne voulaient pas, nous ne les photographions pas donc la question était réglée.
Mais c'est arrivé une fois, à Helsinki, on a du parler plus d'une heure avec quelqu'un qui nous posait plein de questions, qui n'était pas sûr …
En plus, en fonction des pays, il y a un rapport différent au corps. Dans le nord de l'Europe par exemple, les gens se moquaient complètement de poser en maillot de bain, ils étaient très à l'aise. En Italie pas du tout ! C'était très difficile dans les pays latins, des femmes comme des hommes.
On a aussi relevé que le cliché du macho italien est vrai !
Alessandro, avez-vous des projets à venir, avec ou sans Paolo ?
Alessandro Albert : Je suis en train de réaliser des portraits étranges et absurdes et des auto-portraits qui n'ont aucune logique entre eux. Puis j'ai un projet sur l'histoire de petites marionnettes avec mes caractéristiques. J'aimerai travailler sur l'ironie, j'essaie de produire des images claires, mais qui laissent le spectateur perdu avec des questions qui lui trottent dans la tête : mais qui est-ce ? Pourquoi ? Qu'est-ce que cela signifie ?
Pour l'instant, je n'ai pas de projets avec Paolo, excepté revenir, retravailler sur des projets passés. Nous travaillons sur un important projet d'entreprise pour lequel une exposition aura lieu en novembre mais ce n'est pas notre idée, c'est une commande.
Et vous Paolo ?
Paolo Verzone : Le prochain pour la firme pharmaceutique est une commande. En ce qui concerne les projets personnels, je n'en ai pas pour le moment. Mais c'est toujours comme ça, ils surgissent tout seuls.
Quel est votre rêve de photographe ?
Alessandro Albert : Mon rêve de photographe ? Je ne sais pas, je n'ai pas de rêves photographiques, je n'y ai jamais réfléchi. J'aimerai photographier des gens que je ne photographierai certainement jamais. Parfois, je joue avec l'idée de faire des documentaires photographiques de la crucifixion du Christ, des grandes guerres ou de faire le portrait de Mozart …
Paolo Verzone : J'aime beaucoup les photos officielles. Donc mon rêve de photographe, ce serait de prendre une photo officielle d'un chef d'état par exemple. Il y a tellement de contraintes, que la partie amusante c'est de sortir quelque chose. Ce qui me plairait le plus, ce serait de faire le portrait de Barack Obama.
Propos recueillis par Claire Mayer
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