©Charles Fréger, portrait
Le fameux photographe des majorettes, Charles Fréger, a accepté de nous accorder une interview à l'occasion de son exposition prochaine à Cherbourg baptisée « Seconde peau». Son dernier travail baptisé Wilder mann est sans doute un de ceux qui représente le mieux sa démarche. Il y expose la figure du sauvage comme la redécouverte de nos origines par les clichés d'hommes et femmes tour à tour vêtus de peau de chèvre, de cerf, de sanglier et même couverts de paille.
Né en 1975 et résidant aujourd'hui à Rouen, il est connu dans son milieu principalement pour ses très nombreux portraits, qu'il s'agisse de ceux des nageuses, des hommes en verts ou encore des sikhs. Celui qui se définit comme un sémiologue semble effectivement vouer à son art un caractère quasi scientifique. Son travail demeure comme une étude de l'Homme et de ses attributs. En réponse à cela, le photographe ne manque cependant pas de revendiquer l'expression poétique qu'il applique à ses clichés. Onze ouvrages sont parus sur ses multiples expositions, ils sont une belle illustration de l'ampleur de son travail. Ayant suivi son travail avec assiduité, nous l'avons rencontrer pour lever le voile sur l'esprit de sa démarche.
© Charles Fréger, Wilder Mann
© Charles Fréger, Wilder Mann
Comment en êtes vous venu à la photographie ?
J'ai été étudiant aux Beaux Arts, j'ai donc eu un enseignement académique. Je me suis beaucoup intéressé à la peinture, flamande en particulier pour la rigueur de la touche, pour la tension qui en émane. Puis je me suis mis à la recherche d'images anciennes, je me suis passionné pour la sérigraphie. J'ai ensuite commencé à intégrer des images dans mes propres peintures. Comme il n'y a pas vraiment d'école de la photographie dite « artistique», je considère que j'ai découvert la pratique par moi-même, par le portrait en particulier. C'est un genre dans lequel je me reconnaissais bien. Ma série Water polo en est un bon exemple : ce ne sont que des portraits.
Quels sont les artistes qui vous ont inspiré ?
Mes influences sont nombreuses. Pour la photographie, je dirais surtout August Sander, Diane Arbus et Walker Evans pour son rapport au matériau. Je pourrais définir mon travail comme un genre à cheval entre les vues intérieures de Diane Arbus et les portraits de Sander.
Vous prenez des photos comme on étudie un groupe. Est-ce qu'on pourrait de là qualifier votre démarche d'anthropologique ?
On qualifie effectivement beaucoup mon travail de cette façon mais moi je ne le considère pas comme tel. L'anthropologie sert plutôt de référence : je ne la cultive pas. Je me donne beaucoup plus de libertés que ça. Je me laisse par exemple aller bien volontiers à la poésie dans mon travail.
Qu'est ce qui vous fascine dans les tenues traditionnelles ?
Disons que je n'ai pas l'amour des traditions. Je ne me considère pas comme quelqu'un de nostalgique. Ce que j'apprécie à la rigueur c'est le côté intemporel des tenues. Par exemple, je ne m'oblige pas du tout à intégrer des signes d'aujourd'hui dans mes clichés.
Je fais ce travail parce que j'aime le rapport du matériau dans mon travail, du tissu, de l'étoffe, des broderies...
Comment organisez-vous une série de photographies ? Mettez-vous vos sujets en scène ?
Dans ma façon de photographier, je créé du territoire dans un milieu. J'aime l'idée d'aller dans un milieu qui n'est pas le mien et de recréer un territoire. C'est ce qui constitue mon langage photographique. Après, je dirige pas mal mes personnages. Je les laisse poser dans un premier temps puis je modifie en fonction de ce que je veux obtenir. Après, chose très importante, je leur demande de ne pas sourire. Ce qui ne signifie pas que j'attends d'eux qu'ils soient neutres. J'aime bien cette rigueur car elle créé une vraie introspection de leur part, même une fierté.
Que pourriez-vous dire de votre rapport à votre art ?
Pour moi, mes clichés sont comme une preuve de mes expériences, un peu comme pour dire « je l'ai fait ». Tous ces portraits sont comme des trophées, comme des sortes de scalp pour moi. Concernant l'acte photographique strictement, j'ai remarqué que plus on a tendance à perdre le contrôle et plus ce qui nous échappe devient agréable. J'aime ce qui peut aller au-delà de mon dispositif. C'est pour cette raison que Wilder mann est sans doute l'expérience que j'ai le mieux apprécié. Je l'ai faite parce que j'ai senti que j'avais besoin d'aller plus loin que ce que je fais d'habitude. J'ai recherché des choses plus inattendues, plus exotiques. Je l'ai est trouvées dans Wilder mann, pour cela je suis satisfait.
Quels sont vos projets futurs ?
Pour le moment je travaille pour des commandes de Lacoste et de Louis Vuitton. Je vais faire pour cela des portraits de personnes avec ces marques. J'ai également le projet d'une série photographique qui va s'appeler « Les Bretonnes ». Ce ne seront que des portraits de femmes avec des coiffes traditionnelles. Elles seront coiffées avec beaucoup de soin, ce qui va donner une série très pointue, presque maniaque mais assez poétique. C'est le projet qui répond sûrement le mieux à Wilder mann. J'ai envie de prendre mon temps pour ce projet.
© Charles Fréger, Wilder Mann