Denis Darzacq © Pasquale Sgro
Après être sorti diplômé des Arts décoratifs en 1986, Denis Darzacq shoote la scène rock française : les Rita Mitsouko, Lio, Ellie Medeiros font partie de son univers. Parallèlement à cela il commence à travailler pour Libération.
Conjointement, il fait aussi de la presse d'entreprise dans les années 90. Natif de Saint-Germain-des-Prés, cela lui permet de rencontrer la France dans son ensemble. En faisant des photos pour Philipps, EDF, il va dans les usines, les entreprises, il rencontre le monde réel.
Puis il intègre l'agence Vu, et la galerie Vu.
Denis Darzacq prône son indépendance : « Je n'ai jamais eu de rapports privilégiés avec la presse, je n'ai jamais été bien publié, donc très rapidement j'ai mis en pratique ce que j'avais appris aux arts décoratifs, c'est à dire mettre en avant mon propre travail, l'exposer et faire des livres uniquement de ça.»
Il expose donc son premier projet en 1995 « Only Heaven », et réalise depuis ses propres photographies, qui ne sont pas liées à un commanditaire.
Rencontre avec celui qui a remporté le Prix Niépce il y a tout juste une semaine.
Hyper n° 24, 2007-210 © Denis Darzacq / Galerie VU’
Pourquoi la photographie ?
J'étais fasciné par les photographies que faisait mon père pendant les vacances. Il y avait quelque chose de merveilleux de créer ses propres images.
J'ai fait vidéo aux Arts décoratifs. Mais je me suis très vite rendu compte que pour faire de la vidéo, il fallait être dans une équipe, que le cadreur, le technicien et le reste de l'équipe soit là au bon moment, à la bonne heure. Rien que ça aux Arts décoratifs, c'était épuisant, de travailler avec une équipe. Je travaille bien sûr en équipe mais j'aime bien mon autonomie, ma liberté de mouvement et d'action.
Vous avez remporté le prix Niépce la semaine dernière. Pouvez-vous nous expliquer comment cela s'est passé ?
On ne postule pas pour le prix Niépce, il y a un certain nombre de rapporteurs, nommés par la société des gens d'image, qui cherchent de nouveaux candidats pour le prix.
De ce fait, Hervé Le Goff m'a contacté et m'a demandé si je voulais être candidat pour le Prix Niépce. Comme c'était ma dernière année de postulant (ça s'arrête à 50 ans et j'ai 50 ans cette année), j'ai bien sûr sauté sur l'occasion.
Plusieurs éléments concomitants jouent dans l'attribution du prix. C'est un très beau prix car, pour moi, c'est un prix de demi-carrière. Il vaut mieux évidemment avoir fait un très beau projet dans l'année qui vient, de façon à ce qu'on puisse mettre un point d'attention dessus, donc j'ai présenté « Act », plus de 25 photos.
Mais j'ai aussi présenté 10 photos de « la chute », 10 photos des « hyper », et 10 photos des « ensembles », qui était un travail que j'avais fait il a déjà 10 ans.
Ce prix permet de créer une perspective, et donc de voir l'évolution du photographe. C'est finalement un prix de maturité.
Hyper n°15, 2007-2010 © Denis Darzacq / Galerie VU’
Comment avez-vous appris que vous aviez remporté le prix et qu'avez-vous ressenti ?
J'étais dans le train, j'allais partir pour une semaine de marche dans l'Aveyron, et en arrivant à Clermont-Ferrand, j'apprends que je suis lauréat et que je dois me être le lendemain à Paris. Je savais que les résultats étaient donnés ce jour-là, mais j'avais prévu de partir, et je n'ai pas voulu changer la date de mon séjour. Je suis reparti tout de suite, puis je suis retourné dans l'Aveyron, au fin fond de la campagne.
J'ai ressenti de la joie, après c'est comme tous les prix, c'est chouette si on l'a, si on ne l'a pas, quinze jours plus tard, c'est oublié. Si on l'a c'est une grande nouvelle, car cela permet de repartir de l'avant, de redonner l'envie de continuer d'avancer.
La reconnaissance aide beaucoup, ça aide à confirmer ses points de vue. Je pense que c'est aussi l'occasion pour moi de rendre les gens plus attentifs à mes nouveaux projets.
Ce n'est pas la première fois que vous remportez un prix ...
J'ai remporté le prix Altadis en 2000, et un prix du world press en 2006. C'était une très belle expérience.
Qu'apporte un prix dans la vie et dans la carrière d'un photographe ?
Un prix donne les moyens de travailler à nouveau sur des projets. Les gens connaissent un peu mieux le nom, et sont donc plus attentifs à ce que vous faites : « tiens mais c'est celui qui a eu un prix ? Ah oui, je vais regarder ce qu'il fait. »
En principe, il y a une exposition qui est faite à la bibliothèque nationale, mais celle-ci est en travaux, donc depuis c'est à la galerie esther woerdehoff, mais c'est une galerie privée donc pour moi qui suis de la galerie Vu, exposer dans une galerie privée, c'est compliqué, mais quoiqu'il arrive cette exposition est en préparation et nous allons trouver une solution.
Groupe 02, Act, 2009-2011 © Denis Darzacq / Galerie VU’
Pensez-vous qu'un prix influence le travail d'un photographe ? Change sa façon de travailler ?
Non, absolument pas. En revanche, les 8000 euros de ce prix vont me permettre d'étancher ma production de « Act », projet qui m'a pris deux ans et demi et qui m'a coûté très cher. Grâce à ce prix, je vais pouvoir me remettre à flots et continuer à travailler.
Que pensez-vous des autres prix qui existent ? HSBC, NPPA, World Press...
Dans ce foisonnement de l'activité culturelle liée à la photographie, plus il y a d'occasions de se faire remarquer, mieux c'est.
Je n'ai pas grand chose à voir avec un photographe de l'AFP, avec un photographe de sport, qui lui-même n'a pas grand chose à voir avec un photographe animalier ect... Ces prix recouvrent une diversité extraordinaire, à chaque développement de la photographie correspond un prix.
Que pensez-vous du refus de Jean-Paul Sartre en 1964 du Prix Nobel de la littérature, et sa justification : « J'ai refusé le Prix Nobel de littérature parce que je refusais que l'on consacre Sartre avant sa mort. Aucun artiste, aucun écrivain, aucun homme ne mérite d'être consacré de son vivant, parce qu'il a le pouvoir et la liberté de tout changer. Le Prix Nobel m'aurait élevé sur un piédestal alors que je n'avais pas fini d'accomplir des choses, de prendre ma liberté et d'agir, de m'engager. Tout acte aurait été futile après, puisque déjà reconnu de façon rétrospective. »
Je pense que Jean-Paul Sartre, en refusant le Prix Nobel fait encore parler de lui aujourd'hui. On ne se souvient plus qui a gagné le prix en 1965, mais 1964, impossible de faire l'impasse ! En plus de cela, c'était une époque très politique, où il fallait impérativement contester les institutions pour exister. Les temps changent !
Quel prix rêveriez-vous d'avoir ? Quel est pour vous le prix ultime pour un photographe ?
Aucun. Aucun n'est pour moi plus important que les autres.
Je ne pense pas que les gens réfléchissent en fonction des prix. Je pense que lorsque l'opportunité se présente, on se dit pourquoi pas le faire, mais je ne pense pas que les gens se disent que je fais des photographies pour avoir un prix. Mon but ultime n'est pas de gagner des prix, mais de réussir à faire mon travail et pouvoir le montrer, le diffuser et en vivre.
Le prix aide évidemment, mais ce n'est pas une motivation principale.
Pouvez-vous nous expliquer votre dernière série « Act » ? Pourquoi ce sujet, comment l'avez-vous réalisé ?
Je suis captivé par notre capacité à nous regarder nous, notre société, à la façon dont on cherche à trouver sa place dans le cadre, dans un environnement donné. Ce qui m'intéressait avec les minorités physiques et mentales, c'est que pour moi l'artiste doit s'intéresser à des faits ou à des réalités qui ont encore été peu abordés.
La minorité sexuelle, ou les minorités ethniques, sont des sujets qui sont sur la table. Tout n'est pas réglé évidemment, mais on accepte désormais beaucoup plus le vote des femmes et l'homosexualité.
Le but de nos sociétés démocratiques, c'est d'apporter un peu d'humanisme.
Réfléchir à la représentation des corps qui sont considérés comme handicapés, est un challenge intéressant à relever. Comme toute minorité, la première question c'est la visibilité, la deuxième c'est la visibilité, la troisième c'est la visibilité. Je repense à « Act up » dans les années 90 au moment du sida, c'est la même chose : par des actions d'éclat, ils mettaient sur le devant de la scène politique et social, un fait de société.
Il y a trois peines que l'on pourrait identifier lorsque l'on est handicapé : la première c'est bien sûr d'avoir cet handicap, la vie est différente, la deuxième c'est la médicalisation. Il y a des centres spécialisés qui sont généralement loin des centres villes, dans des parcs, dans des endroits un peu paysagers, loin de la vie, loin du réel, loin des autres. J'ai vu beaucoup d'établissements de ce type à Brest, où les jeunes étaient dans un très beau parc, mais ils ne rêvaient que d'une chose, c'est d'être près du centre commercial, du cinéma, des autres jeunes, pour participer à la vie avec les autres. La troisième peine, c'est presque la plus insidieuse, c'est le fait de ne pas avoir d'images de soi. Des images il y en a, en bas d'un tract d'appels aux dons, une petite photo de quelqu'un sur un fauteuil roulant qui fait pitié, qui demande une compassion, de l'aide.
Tout d'un coup, je fais des images avec eux, et on se retrouve dans une galerie, on se retrouve acheté par des collectionneurs, par un musée, un prix est décerné. En ce moment les images sont exposées à New York, il y a des articles dans la presse … Leur image circule, et non pas comme un espèce d'appel aux dons, mais au même titre qu'une autre image. Cette visibilité là, est très bien perçue, tout le monde est très content que ces images existent.
Le travail a duré deux ans, j'en ai parlé autour de moi et chacun, selon la pertinence du projet, me conseillait sur les gens à contacter, à rencontrer. J'ai été par exemple invité en résidence à Brest, j'ai proposé aux organisateurs de rencontrer des acteurs d'associations auxquelles je pourrais présenter mon projet. J'ai toujours été bien reçu, les gens n'attendent qu'une chose, que l'on parle d'eux.
J'ai fait beaucoup de photos en Angleterre, avec une compagnie de théâtre qui s'appelle « Mind the gap », à Bradford, et qui travaille avec des acteurs handicapés mentaux.
En Bretagne, j'ai plutôt travaillé avec des personnes qui travaillent dans des institutions, mais qui veulent prendre position, qui cherchent à ne pas subir leur handicap.
A partir du moment où l'on est acteur d'un projet, on est handicapé, certes, mais ce qui avait toujours été un stigmate est relégué au second plan.
Alex Schoelfield, Act, 2009-2011 © Denis Darzacq / Galerie VU’
Comment ont réagi les jeunes que vous avez photographié ?
Ce que j'aime dans la photographie, c'est l'expérience. J'ai travaillé avec leur mobilité, leur capacité, pour essayer de faire une image ensemble. On est dans une sorte de chemin partagé. Je me nourris de leur expérience, de leur intelligence, de leur savoir-faire, de leur vie.
Je choisissais avec eux des musées, des parcs, des lieux de vie pour les photographier. Quand ils ne pouvaient pas marcher, comme je ne voulais pas les photographier dans leur fauteuil car les gens ne voient ensuite plus que cela, je les photographiais au sol. Au lieu d'avoir l'usage d'un lieu, nous avions sa jouissance, ce qui était très intéressant aussi.
Beaucoup de pays rejettent les handicapés, comme au Cameroun ou à Madagascar …
C'est tout le principe de la différence. La vie est très difficile au Cameroun ou à Madagascar, et le peu de pouvoir et d'énergie dont les gens ont besoin pour survivre, ce sont les valides qui l'ont. Tout ceux qui sont déviants socialement parlant, sont relégués.
Des sociétés qui sont dans le besoin ou l'urgence ont d'autres problématiques, que de s'intéresser à ces minorités. C'est pour cela que nous avons quelque chose à dire.
A nous de proposer une vision de l'homme qui accepte toutes les diversités.
De tous vos clichés, quel est votre préféré ?
Je n'en ai pas. J'ai pas de hiérarchie, pas de top 50. Les séries que j'ai réalisé avec le plus de plaisir ne signifient pas qu'elles sont meilleures !
Je suis très content de « Act » car il y a un projet derrière qui ouvre un champ nouveau pour moi.
Mais je ne suis pas fétichiste, j'avance.
Propos recueillis par Claire Mayer