Yannick Vigouroux © Ons Abid
Après avoir étudié à l'école supérieure de la photographie d'Arles dont il est sorti en 1993, Yannick Vigouroux devient responsable de collections de donations faites à l'Etat français. Il a à l'heure actuelle une activité de responsable de collection, de documentaliste.
En 2005, il crée le collectif Foto povera, qui rassemble des photographes qui, comme lui, ont cet amour inconditionnel pour la photo ancienne. A une époque de boulimie de la photo vintage, Actuphoto a rencontré un véritable passionné.
Vous avez créé le collectif Foto povera, pouvez-vous nous expliquer comment cela s'est fait ?
En 2005, je sortais le livre avec Jean-Marie Balner « Les pratiques pauvres », qui est l'adaptation d'un mémoire que j'ai soutenu sous la direction de Philippe Dagen, qui s'appelait « Les pratiques archaïsantes dans la photographie contemporaine », il était déjà question de sténopé, de pratiques alternatives.
J'ai choisi Dagen car il a fait une de ses thèses sur le primitivisme dans la peinture, et ça l'intéressait d'avoir un élève qui transpose certaines problématiques dans la photographie contemporaine.
La réunion de plusieurs coïncidences m'a porté à créer ce collectif. Remi Gerrin, photographe, m'a également donné envie de le faire, il travaille aussi sur les techniques du sténopé avec beaucoup de talent. Un jour, on lui a offert une carte blanche dans le nord de la France et il m'a proposé d'organiser une exposition avec lui, en exposant des gens avec qui nous sentions que nous avions des affinités. C'était la première étape du Foto povera. Il est co-fondateur de ce collectif mais l'a quitté depuis. Je fais partie du collectif comme théoricien et photographe.
En quoi consiste-t-il ?
C'est un collectif informel, qui ne va peut être pas le rester car j'ai du mal parfois à payer les auteurs en droits d'auteur, et rien que pour cela, c'est bien d'être constitué en association. Ce collectif, il est mouvant. Au début, c'était Rémi et moi qui choisissions les artistes, et comme il ne reste plus que moi, je suis en quelque sorte le leader, mais je ne choisis pas tout seul, je le fait avec les gens qui organisent l'exposition avec moi.
A l'heure actuelle, la photo vintage est partout (instagram, applications pour Smartphone, retour aux appareils argentiques ect) que pensez-vous de cette mode ?
Il y a 2-3 ans, j'étais un peu sceptique. Je suis assez méfiant avec la lomographie, courant qui a été crée en 1993 par trois ou quatre étudiants autrichiens en marketing, c'est une grosse entreprise commerciale. Pour mes amis photographes et moi, ils se font énormément d'argent avec les boutiques installées à Paris. Nous ne sommes pas derrière ce courant. J'étais aussi très sceptique au départ des applications pour smartphones. Mais à l'époque je n'avais pas ce type de téléphone, mais plutôt un modèle bien plus simple. J'ai commencé à faire de la photo au téléphone mobile dès 2003-2004, mais c'était très cheap à l'époque. En 2007 j'ai montré le travail de Marc Donnadieu dans le cadre de Foto povera. Il est passé à une époque à la photo sur téléphone mobile, mais avec presque rien comme information.
Depuis, j'ai changé de téléphone, et je me suis pris au jeu ! Sur l'un de mes blogs j'ai d'ailleurs écrit un article « Sommes nous tous devenus de grands photographes ? », parce qu'avec ce genre d'appareils, on a l'impression que lorsque l'on fait une photo c'est toujours bon, même en déclenchant à l'aveugle.
Je pense que si c'est utilisé intelligemment, tout comme un lomo ou un argentique, avec sensibilité, pourquoi pas. L'outil n'est pas si important que ça. !
C'est aussi beaucoup plus économique...
N'en voyons-nous pas trop des photos « vintage » ? Cela ne nous fait-il pas perdre leur beauté et leurs intérêts aux clichés ?
Plossu m'a dit un jour en paraphrasant Gauguin : « les effets, c'est toujours bien, ça fait de l'effet ». Que ce soit de l'argentique ou ce qui est fait avec les smartphones, ça se ressemble toujours un petit peu. Je suis fréquemment déçu, car nous sommes souvent dans des effets de vignettage, de saturation des couleurs, de traitements inversé ect …
© Yannick Vigouroux
Que pensez-vous d'Instagram ?
Je ne l'utilise pas tellement, je préfère l'application « vignette », qui permet de paramétrer assez finement la température de couleurs, le vignettage, le grain. Pour ce qui est du côté communautaire d'Instagram, ça me plaît, j'aime ce partage communautaire de photos.
C'est un héritage des années 70-80 de Plossu et de certains américains, le goût du fanzine, de l'objet imprimé de façon économique et partagé le plus possible. Il y a 20 ou 30 ans, c'était des fanzines imprimés avec les moyens du bord, des photocopies ect.
Est-ce la nostalgie des photos oubliées ?
Non, je ne crois pas. Moi je collectionne les photos « anonymes ». Souvent, je n'ai que la date. Il y a d'ailleurs un lien évident avec le courant Foto povera.
Où puisez-vous vos inspirations ? Avez-vous un photographe modèle ?
Oui, comme tout le monde ! Bernard Plossu, bien sûr. Je le connais bien, il m'a beaucoup aidé pour écrire mon premier livre.
En France c'est une figure majeure, aussi pour sa générosité, il a encouragé des artistes beaucoup plus jeunes que lui, et il entretient une correspondance avec beaucoup de gens de sa génération, et plus âgés ou plus jeunes.
Marc Trivier est pour moi très important, c'est un photographe belge qui fait de la photo à la box, procédé que j'utilise également. C'est bien avant la lomographie. C'est lui qui m'a donné envie d'utiliser ce procédé.
Après, les collectifs cousins de Foto povera, comme Obsura, qui est très proche de ce que nous faisons sont aussi importants dans mon travail. Nous avons d'ailleurs déjà fait des expositions collectives avec eux.
J'aime beaucoup aussi Willy Ronis, c'est lui qui m'a donné envie de faire de la photo quand j'étais jeune.
Avec quels appareils travaillez-vous ?
J'utilise de nombreux modèles de boîtiers. Je préfère quand même ma box 6-9, la même qu'utilise Marc Trivier. J'aime aussi beaucoup le rolleiflex, qu'utilise aussi Marc Trivier, car il a une espèce de prévisualisation, on regarde au-dessus, on est pas enfermé dans le viseur. Et en ce moment, j'utilise surtout mon téléphone !
Hermanville-sur-mer © Yannick Vigouroux
Que détestez-vous le plus en photographie ? Qu'adorez-vous le plus ?
Ce que je déteste le plus... plein de choses ! Les photos officielles qui sont achetées des fortunes par l'Etat français, le fait que beaucoup de gens pensent que Bernard Plossu n'est pas un photographe contemporain (alors que pour moi, est contemporain ce qui est vivant), le fait que l'on confonde souvent photo plasticienne et photo contemporaine (qui est vraiment une méconnaissance de l'histoire de la photo), les français qui font de la mauvaise post-école de Düsseldorf en vendant leurs tirages une fortune lorsqu'ils sortent de l'école, le dernier boulot de Depardon (ce qu'il a montré à la BNF) qu'il approche de la photo documentaire ce qui est contestable, même si au demeurant j'ai beaucoup de respect pour lui !
Ce que j'aime le plus... La photo ancienne en général, la photo anonyme, une certaine photo, la fotopovera alternative, quand elle ne rentre pas dans un effet de mode
Des projets ?
Lorient, Aminima... Il devrait y avoir d'autres étapes, mais rien de sûr pour l'instant. Des projets d'écriture surtout, avec l'écriture du deuxième tome de mon livre « La photographie ancienne », qui s'intitulera « La photographie moderne »
Beaucoup de mes amis me conseillent de faire une monographie, c'est vrai que j'ai 41 ans, mais je n'y tiens pas particulièrement !
Propos recueillis par Claire Mayer
Vignette © Ons Abid
Photos © Yannick Vigouroux