Georges Saillard
Après avoir été photographe de mode pendant 25 ans, évoluant dans un monde idyllique, agréable, Georges Saillard a eu envie d'autre chose.
Il s'est posé cette question : "A quoi ça sert? ", voulant aller chercher plus loin.
Il avait déjà cette habitude, à l'époque, de faire des portraits. Lorsqu'il partait en voyage dans le cadre de son travail de photographe de mode, il se réservait toujours deux jours à la fin du séjour pour aller à la rencontre des locaux, découvir l'endroit où il était, mais autrement. Il prenait des gens en photos, apprenait à les connaître.
Puis il a contacté deux ONG, ASMAE (l'association de sœur Emmanuelle), et SOS enfants sans frontières. Il voulait faire des reportages photos avec ces associations, et elles lui ont ouvert leurs portes.
Au départ, il faisait des polaroids, pour pouvoir donner un tirage à chaque personne qu'il photographiait au cours de ses pérégrinations. Cette idée de « photo vintage » lui est venue de là.
Son exposition Voyages hors du temps à la Little Big Galerie à Paris rassemble des clichés pris lors de différents reportages, et vieillis grâce au procédé de l'héliogravure.
Entretien avec un homme hanté par le retour aux sources.
Expliquez-nous ce que vous avez voulu réaliser. Pourquoi ce titre « Voyages hors du temps » ? Quelle est l'idée de ce travail sur le « temps » ?
Dans plein de pays, les gens ne vivent pas dans le même temps que nous.
Chez les Pygmées par exemple, on vit au rythme du soleil. Ils n'ont pas notre technologie, ils n'ont ni l’électricité, ni l'eau courante, pas de portable … et ils sont heureux ! Je dirai même que philosophiquement parlant, ils sont beaucoup plus évolués que nous.
C'est cette notion du temps, que nous voyons différemment mais dans laquelle nous évoluons tous, que j'ai voulu étudier, montrer.
A chaque voyage que je fais, je dors chez l'habitant. J'ai fait des rencontres incroyables.
Famille Massaï © Georges Saillard, Courtesy Little Big Galerie, Paris
Expliquez-nous ce travail d'héliogravure au grain : pourquoi ce procédé, comment l'avez-vous découvert et appris, et comment l'utilisez-vous ?
Un jour, en Espagne, j'ai vu une exposition qui m'a beaucoup plu (mais dont je ne me rappelle plus le nom!).
En rentrant, j'ai fait des recherches, beaucoup de recherches et je suis tombé sur l'héliogravure.
En continuant mes recherches, j'ai découvert qu'il n'y avait que 4 ou 5 personnes dans le monde capables d'utiliser ce procédé : en Suisse, en Angleterre, Aux Etats-Unis mais aussi en France ! Je suis alors tombé sur Fanny, qui est la seule à utiliser ce procédé en France.
Au départ, j'allais chez un imprimeur d'art – qui est d'ailleurs celui qui s'occupe de Pierre Soulage, c'était fascinant de le croiser!- qui m'a appris à faire des photos pour les mettre ensuite sur la plaque d'héliogravure. Mais cet imprimeur a pris sa retraite, et j'ai été très ennuyé.
Or, un jour, j'étais dans le Perche, dans un village où j'ai une maison, et je fais la connaissance d'un couple retraité des Beaux-Arts de Los Angeles. Coïncidence, la femme avait son propre atelier de gravure ! Je lui ai alors loué, et de ratages en ratages, j'ai fini par apprendre !
Pour faire une photo grâce à l'héliogravure, je prend une photo, me sert d'un fichier numérique pour travailler la photo, ses couleurs, puis j'envoie la photo à Fanny, qui travaille sur une plaque d'impression. C'est très très technique, et surtout très long.
Je cherchais un procédé qui me permettrait d'avoir des photos vieillies, un peu comme quand vous sortez une vieille photo du fond d'un tiroir, sur laquelle les couleurs sont passées. Je voulais vraiment obtenir ce résultat et c'est possible grâce à ce procédé.
Est-ce une technique qui demande plus de difficultés de réalisation ? / Plus de moyens ?
Oui c'est un processus très long et très cher. Il faut deux jours pour faire 10 tirages, et la plaque d'héliogravure vaut 250 euros. Pas très rentable d'ailleurs, mais tellement passionnant...
Quel est votre meilleur souvenir d'un shooting? Le plus mauvais ?
Mon meilleur souvenir est lorsque j'ai fait le cliché de ce petit garçon (voir photo ci-après). Il était très méfiant, très renfrogné. Mais quand je lui ai donné sa photo, il m'a fait un sourire incroyable... Je crois que c'est ma photo préférée.
Iisana © Georges Saillard, Courtesy Little Big Galerie, Paris
Mon plus mauvais souvenir a eu lieu dans un camp de Pygmées, où je me suis retrouvé un jour au milieu d'une dispute entre deux familles du camp. Ils étaient énervés, je me suis retranché dans une case mais ils tournaient autour de moi, j'ai vraiment cru que j'allais mourir.
Après, le pays où le reportage a été le plus dur moralement, a été Madagascar, sur les handicapés. C'est un pays vraiment très très pauvre, et j'ai vraiment été choqué de la façon dont ils traitent les handicapé la bas, on en veut pas, on les laissent sur le trottoir.
Le plus beau pays que j'ai fait est l'Egypte, au Caire, mais ce n'est pas là où j'ai fait mes plus belles photos curieusement !
Un projet à venir ?
J'ai le projet de faire une série de nus prochainement.
Mais sinon, j'ai beaucoup aimé le projet qu'a fait Henry David Thoreau (essayiste et philosophe américain de la fin du XIX ème siècle NDLR), il est parti vivre deux ans dans les bois pour réfléchir et y mener une vie de simplicité.
Je trouve cela très intéressant et j'aimerai moi-même faire une série sur la nature, dans la région du Perche ou j'ai une petite maison isolée au fond des bois, loin de toute civilisation …
Paysanne indienne © Georges Saillard, courtesy Little Big Galerie, Paris
Propos recueillis par Claire Mayer