© Paolo Woods / Institute
Paolo Woods, nous vous suivons depuis quelques temps et nous intéressons aujourd'hui particulièrement à vous après votre prix World Press Photo 2012 sur la radio en Haïti. Les images du reportage ont fortement retenu notre attention par leur registre légèrement inattendu dans le cadre du World Press et leur intensité.
Pouvez-vous d'abord revenir sur votre parcours ; qu'est ce qui vous a décidé, alors que vous teniez un studio photo à Florence, à vous lancer dans le photojournalisme ?
Ce studio photo, rattaché à une galerie, était orienté vers la photographie "artistique". Mais au bout d'un moment, ce registre un peu autoréférentiel m'a lassé ; l'exposition que nous avons organisé autour d'un photographe qui s'était déplacé au Kosovo et mon goût du voyage, que je pratique depuis toujours, m'ont finalement repris.
Aujourd'hui cependant, je ne me définirai pas comme un photojournaliste, je trouve la définition un peu étroite : plutôt comme un photographe documentaire qui collabore avec la presse.
Pouvez-vous décrire le projet en Haïti, son contenu et sa préparation ? A quel média était-il destiné ?
Plus que les news, les histoires m'ont toujours intéressé. Je vis en Haïti depuis plus d'un an, et j'ai constaté que, notamment du fait du taux d'analphabétisme très élevé, la radio avait un rôle central dans la vie des gens. J'ai voulu savoir qui étaient les "gens de la radio", ses animateurs etc. Encore une fois et comme souvent pour moi, ça n'était pas une commande mais un sujet que j'ai autofinancé et ensuite vendu à la presse. Il est en train de sortir un peu partout dans le monde en ce moment.
Images de la série Radio Days © Paolo Woods / INSTITUTE
Certains types d'images d'information sont-ils des repoussoirs pour vous et au contraire, qu'est ce qui vous intéresse aujourd'hui dans ce domaine ?
Je regrette souvent qu'une grande partie de la presse n'aie pas beaucoup d'idées ; ils lancent des commandes, ou des sujets, avec des idées préconcues. Beaucoup d'images reproduisent des choses déjà vues sans arrêt depuis la Seconde Guerre Mondiale ; notamment sur l'Afrique, cette imagerie de l'enfant au gros ventre derrière une moustiquaire.... En faisant mon sujet sur les Chinois en Afrique [Chinafrica, ndr], c'est notamment contre ce genre de schémas que je voulais aller. Pour moi, reproduire ces clichés est à la fois un manque de courage de la part de la presse et des photographes, mais surtout un manque de respect pour les sujets sur lesquels je travaille.
On parle de la crise de la photographie dans la presse ; les médias n'achèteraient plus d'images aux agences mais au photostocks, et ne pairaient plus de productions. Quel est votre regard sur cette situation, comment selon vous redonner envie à la presse d'acheter des photographies ?
Je pense au contraire que les journaux sont demandeurs de nouveauté ; je ne parlerai pas d'une crise de la presse mais d'une période de bouleversement, plutôt une «crise des idées» finalement. On a besoin de raconter de nouvelles histoires et souvent, l'envie est là pour la presse. Mais les schémas évoluent : le nombre de commandes diminue, le mode de vie des photojournalistes change. Il est plus adapté aujourd'hui, du moins c'est comme ça que je fonctionne, d'autoproduire pour ensuite vendre ses sujets aux médias.
Image de la série Chinafrica © Paolo Woods / INSTITUTE
Quel est le rôle de votre agence, Institute, dans ces nouveaux modèles, pensez-vous que d'une certaine manière elle les incarne ?
Oui, disons que le fil rouge d'Institute c'est cette envie narrative un peu différente, cette envie de renouvellement à la fois stylistique et dans les sujets.
Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec le journaliste Serge Michel d'une part, avec Claude Baechtold de Riverboom d'autre part ?
Serge et moi, nous collaborons depuis 12 ans maintenant. On s'est rencontrés en Iran, où il travaillait pour Le Figaro ; depuis, on a fait quatre livres ensemble et travaillé à deux sur pratiquement tous mes sujets. C'est une vraie synergie de travail, qui fonctionne aussi parce que Serge s'intéresse à la photographie et moi au texte ; on peut très facilement se comprendre. Serge est maintenant rédacteur-en-chef adjoint au Monde, ce qui nous laisse moins de temps pour travailler ensemble, mais on le refera prochainement, c'est une évidence.
La pochette d'Afghanistan, aux éditions Riverboom.
Quant à Riverboom, il s'agit d'une maison d'édition basée en Suisse, fondée par Claude Baechtold avec Serge Michel et moi : elle nous permet de donner naissance à des idées radicales en toute liberté, et de faire des livres avec ces idées.
Quelles sont les images, qui sont les auteurs que vous suivez aujourd'hui ?
Je viens juste de voir mon ami Martin Kollar, qui fait partie de ces photographes que je suis avec attention. Simon Norfolk également, Claude Baechtold et ses projets... Ils abordent des sujets contemporains difficiles, pas forcément photogéniques au sens classique, et trouvent face à eux des solutions narratives nouvelles.
Un de vos sujets revêt-il une importance particulière à vos yeux ?
Le sujet sur la Chinafrique a connu un certain succès commercial, alors qu'il n'était pas très "vendeur" à la base.
En 2010, le livre sur l'Iran, Marche sur mes yeux (image de gauche), est sorti, mais c'est surtout sa traduction en perse et sa publication gratuite sur Internet qui m'ont apporté une grande satisfaction ; c'était en soi un acte militant, un retour du sujet à ses personnages principaux, le peuple Iranien.
Propos recueillis par Antoine Soubrier, le 2 mars 2012.
Le site de Paolo Woods : http://www.paolowoods.net/
Le site d'Institute : http://www.paolowoods.net/
Celui des éditions Riverboom : http://www.catalogue.riverboom.com/riverboom_eng.html
Images © Paolo Woods / Institute