Toutes les images © Jean Revillard
J’ai rencontré Sarah un jour de mars dans une forêt, le long d’une route de campagne au Nord Est de Turin. Elle vendait son corps sur un chemin de terre. La rencontre fut farouche, pleine de peurs réciproques, et les premières photos bancales. Sarah n’était qu’une fille parmi d’autres à photographier sur ces routes de campagne au Nord Est de Turin.
Ces zones, je les repère à l’aube depuis plusieurs mois. Je tourne en rond sur quelques routes pour cartographier les places des «lucioles» comme on les appelle en Italie, pour rencontrer les filles en prostitution qui remboursent ainsi leur passage en Europe. Et à force de passer et repasser encore, à force de m’arrêter, à force de dire simplement bonjour, une fille m’a accordé sa confiance. Et Sarah sur son pont s’est révélée être une évidence.
Il y la fille. Ses mots. Il y a sa route, sa chaise, son feu et son parasol. Il y a ce chemin de terre, la forêt, les matelas, et au milieu il y a ce pont qui à lui seul est une métaphore de ce passage si difficile pour gagner l’Europe.
Caluso, juin 2010
Jean Revillard
Sarah la migrante n’est pas une prostituée et après une année à attendre sur sa chaise en bord de forêt elle décide d’arrêter, de s’échapper. Elle s’achète un faux passeport pour sortir de la clandestinité et retourner à Athènes en avion. La Grèce est son pays d’entrée dans l’espace Shengen, et c’est-là qu’elle doit déposer officiellement sa demande d’asile. Profitant d’une vague d’arrestation des filles de la forêt, Sarah fait croire à sa maquerelle qu’elle est aux mains de la police alors qu’elle se rend à l’aéroport de Milan. Un passeur est venue la chercher et ensemble, ils embarquent et passent tous les contrôles. Aujourd’hui, Sarah vit à Athènes. Elle est aidée par Médecins du monde et un bureau d’avocats spécialisés dans les affaires de trafics d’êtres humains. Elle a obtenu une carte de demandeur d’asile et peut aujourd’hui sortir librement faire ses courses dans la rue. Tous les dimanches, Sarah chante dans la chorale à la messe. Trois fois par semaine, Sarah prend des cours de grec. Elle cherche un travail dans la restauration. Elle vient de fêter ses 20 ans.
Jean Revillard
Vignette et images © Jean Revillard