© L'Insensé photo, Viviane Sassen
L'imposante revue propose une édition hors norme pour son anniversaire. Telle une compilation de chansons d'amour, la parole est donnée à cinquante personnalités de tous horizons. Comme un cadeau, ils ont choisi une photo « préférée » et en ont expliqué l'émotion et l'intimité. Le magazine se retrouve alors à incarner ce qu'il est à la base ; une rencontre. Il y a vingt ans, Elizabeth Nora et Vanessa van Zuylen Menesguen montaient le projet un peu dingue de créer une revue purement photographique. Ce projet a finit par aboutir. Et quel aboutissement !
Au fil des pages, on croise les choix d'écrivains, de designers, de réalisateurs, de créateurs, d'acteurs... L'éclectisme est prédominant. Aucune contrainte. Juste une photo. Ainsi Christian Lacroix, ne pouvant « choisir entre Lucien Clergue, Véronique Ellena, Pierre Gonnord, la mode, l'intime, l'anonyme » optera pour une photo d'identité de son père pendant l'Occupation. La lectrice de David Hamilton sera le choix de Frédéric Beigbeder, choix allant de pair avec la raison de son métier ; « J'écris pour cette fille molle et immortelle qui me fera toujours souffrir. »
Jeff Wall, After "Invisible Man" by Ralph Ellison, the Preface, 1999-2001, transparency in lightbox, 174 x 250.5 cm © Jeff Wall
C'est un portfolio où l'on croise beaucoup de monde. Une fête à l'occasion d'une belle réussite. Une fois par an et sous un format volumineux (26,5cm sur 37cm), L'insensé présente la photographie selon son pays. La simplicité du thème permet une approche directe et concrète, afin de cerner les grands traits de cet art dans une ère géographique donnée. Pour ce numéro spécial, donner la parole à des personnalités célèbres est une idée simple. Mais qui n'empêche en rien la réussite d'un melting-pot improbable où l'on peut tout aussi bien rencontrer Jamel Debouze que Jean-Luc Monterosso.
Peter Lindbergh, Debbie Lee Carrington, Helena Christensen, Vogue Italie, El Mirage, Californie, 1990 © Peter Lindbergh
Les photos choisies sont très belles, et les textes courts qui les accompagnent souvent touchants. La rédaction d'Actuphoto a eu un coup de cœur sur le choix de l'éditeur de Fayard et Grasset, Olivier Nora. En misant sur la nostalgie du passé par le biais d'un cliché d'Elliott Erwitt, il y appose une phrase d'une grande justesse ; « L'automobile n'a pas tué le train, la télévision n'a pas tué la radio, Internet ne tuera pas le papier... ni la frénésie de l'urgence, la recherche du temps perdu. » Est-ce une définition de l'art visuel? Une constatation d'une sensibilité remarquable ? Ou un fait bien établit ? Olivier Nora défend la forme de la revue L'insensé, une forme papier qui irradie de classe et de détermination.
Depuis le début de l'histoire de la revue, Elizabeth Nora et Vanessa van Zuylen Menesguen ont fait le choix d'assumer leurs partis pris et leurs goûts pour la « chose imprimée » comme elles le disent si bien. Avec une étonnante vitalité, elles ont créés des condensés de productions artistiques selon les pays. Pour leurs vingt ans, on ne peut que saluer l'initiative d'offrir un panel d'histoires photographiques variées, comme un recueil de nouvelles manuscrites. A noter qu'en parallèle de ce numéro exceptionnel, L'insensé photo sort également une revue sur la jeune photographie suisse.
William Klein, Simone + Nina, Piazza di Spagna, Rome, 1962 (Vogue), courtesy Galerie Polka © William Klein
On découvre de drôles d'anecdotes, comme le réalisateur Michael Radford commentant la photo Pélerinage de la Saint-Patrick de Josef Koudelka ; « On était amis, il y a trente ans. Il m'appelait, de façon inattendue, d'une cabine, et me disait d'une voix rauque : 'Salut, c'est Joseph. Je suis à Londres. Je peux dormir chez toi ?' ». Ou encore des élans poétiques, comme la journaliste Marion Ruggieri commentant la photo Ligurian Sea d'Hiroshi Sugimoto ; « Je cherchais une photo de ma mère, Eve, et je suis tombée sur la mer de Sugimoto. L'origine et la fin du monde. »
Laetitia Masson, autoportrait , Marseille, 2011 © Laetitia Masson
C'est une belle fête d'anniversaire ; on a vingt ans qu'une fois ! Le numéro offre beaucoup de surprises tout en gardant un caractère bien particulier dont les dames fondatrices ont le secret. Est-ce ce mélange des genres, ou ce format original, offrant une visibilité exceptionnelle ? La fréquence réduite de ses parutions (annuelle) ? Le mystère reste entier, et nous attendrons sa prochaine apparition avec impatience.
Lise Ménalque, mercredi 7 décembre 2011.