© Alain Lefort, Eidôlon 3 (détail), 2016, impression numérique, 107 × 94 cm
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Dossier de Presse -
Chacune des séries d'images que nous avons réunies dans ce numéro s'offre en quelque sorte comme un travail sur le motif, en prise directe avec le paysage, à l'instar de la procédure des peintres de jadis. Capter ainsi les infinies variations qu'arbres, icebergs ou nuages peuvent prendre dans différentes conditions témoigne très certainement d'un intérêt pour la nature, mais peut-être plus encore pour la façon dont elle est façonnée par l'intervention humaine. Jocelyn Philibert photographie ainsi des arbres depuis une bonne dizaine d'années. L'intention pouvait sembler naturaliste au premier abord tant la série initiale était spectaculaire, montrant de très beaux arbres, photographiés de nuit, magnifiés par la lumière. Le surplus de présence s'avérait cependant, à l'examen, résulter de l'assemblage de multiples prises de vue. Exit la beauté naturelle. Puis progressivement, l'arbre isolé s'est fait bosquet, puis boisé. Et le cadrage de l'image s'est ouvert plus largement sur les différents sites. Routes, ponts, chemins et maisons sont alors apparus pour convoquer l'humain comme artisan de cette nature domestiquée. La série Eidôlon, d'Alain Lefort, s'attache à décrire la dérive et la lente fonte des icebergs. L'Eidôlon, c'est le double, l'image, le simulacre, le fantôme ; bref, c'est la représentation dont la signification est un enjeu. La série se construit du narratif vers l'abstrait, de l'approche de l'objet jusqu'à sa disparition. Elle montre l'apparition, sur un horizon très sombre, de points blancs qui deviennent progressivement d'immenses monuments hiératiques à la dérive. De quoi ces monuments improbables sont-ils la représentation ? Leur disparition s'incarne ensuite en une série de gros plans sur la glace, images de plus en plus abstraites, presque entièrement blanches, qui se dissolvent sous nos yeux. Ce que les images de nuages réalisées par Denis Farley cadrent d'abord et avant tout, ce sont des espaces aériens. Ces espaces sont caractérisés depuis un lieu d'observation : Espace aérien, vallée de la rivière Tomifobia, Qc. D'autres éléments viennent également contextualiser minimalement ces vues de ciel : lampadaire, cime des toits ou des arbres, avion. Mais les spectaculaires nuées de ces images ne renvoient pas tant à un référent météorologique qu'à des notions de flux et de circulation d'un immatériel bien concret : celui de données informatiques matérialisées dans de gigantesques fermes de serveurs qu'on oblitère sous le doux nom de nuage informatique. La nuée est désormais stratégique. Ce traitement du motif n'est ainsi pas si anodin qu'il peut paraître d’emblée. Derrière une telle focalisation autour d'un élément isolé du paysage se profile en fait une série de questionnements et de mises en contexte (autour de l'habitat, des écosystèmes et des interconnexions de réseaux) qui réintroduisent l'humain comme composante active dans un environnement qui est maintenant au centre de notre conception du paysage contemporain. On retrouvera également dans ce numéro des essais sur les expositions Soulèvements, au Jeu de Paume à Paris, Josef Sudek, à l’Institut canadien de la photographie (ICP), et Elles photographes, au Musée des beaux-arts de Montréal, de même qu’une entrevue de Luce Lebart, directrice du ICP, à Ottawa, et, dans la section Actualités, plus d'une dizaine de recensions d'expositions et de publications récentes (Robert Mapplethorpe, la Biennale de Montréal, Jacynthe Carrier, James Welling, Leila Alaoui, Fiona Annis, Matthieu Brouillard, Manon Labrecque, le livre photo à Paris et Astres noirs).
© Denis Farley, Espace aérien, près du mont Orford, QC, 2014, épreuve au jet d’encre, 80 × 262 cm
© Jocelyn Philibert, Sans titre (pont de chemin de fer), 2010, 84 × 137 cm