© Sahar Fadaian
https://www.behance.net/SaharFadaian" a trente ans. Née et élevée dans la ville de Téhéran en Iran, elle voyage souvent, enfant, avec son père documentariste. « Je n'ai jamais eu d'appareil photo professionnel jusqu'à ce que mon père me donne son plus vieux Nikon D80 il y a six ans. Je n'ai jamais pu me permettre d'en acheter un pour moi. Donc j'ai dû faire avec ce que j'avais. » Elle a treize ans quand elle prend sa première photo avec son compact numérique Olympus : « Comme beaucoup d'adolescents, je recherchais la liberté et quelque chose qui pourrait rendre mon existence heureuse. »
Mais le système iranien n'approuve pas réellement son orientation. Sahar se lance donc dans des études d'anglais puis s'oriente vers la pharmacie afin de pouvoir voyager : « J'ai décidé de partir en Inde malgré le fait que cette soudaine décision inquiétait tout le monde, mais j'ai choisi d'étudier la pharmacie là-bas pour me mettre moins de pression. » En tant que femme iranienne, elle sait que le plus grand souhait de sa famille est qu'elle ait une carrière qui lui donne la sécurité, la stabilité financière et l'indépendance.
« J'ai choisi l'Inde parce que j'avais le sentiment que je pourrais enfin trouver le courage de me confronter à ma propre vérité. Et j'avais raison. » confie-t-elle.
Sahar Fadaian et une femme transgenre dans sa maison à Bangalore
Sahar Fadaian passe alors quatre années à Bangalore pour ses études pharmaceutiques et dans le même temps travaille activement avec les différentes ONG de la ville. Elle les aide en documentant leurs projets avec des photos. Pour ce travail humanitaire, elle voyage beaucoup et toutes ses rencontres et expériences lui font totalement changer de chemin. Elle abandonne la pharmacie et devient photographe documentaire à temps plein, malgré l'impossiblité pour une femme de vivre de cet emploi dans son pays : « Si tu ne veux pas travailler avec le gouvernement et ses agences, tu ne peux travailler nulle part, et si tu acceptes, tu seras envoyée à des endroits où tu travailleras sur des sujets pour raconter ce qui est à leur avantage. Une femme n'aura jamais de mission comme photographe de guerre par exemple à moins qu'elle soit freelance et doive le faire elle-même ce qui serait déraisonnable. Je n'ai jamais été payée pour mes différents travaux ».
A Bangalore, un groupe attire particulièrement son attention dans la rue : ces bandes de femmes transgenres qui viennent demander de l'argent aux stops. « Et quand tu leur donnes quelque chose, elles mettent leurs mains sur ta tête, disent des prières, te sourient et repartent. Dans certains cas, surtout si un homme refuse de leur donner de l'argent, elles peuvent l'effrayer en leur montrant leurs parties les plus intimes, le poursuivant, criant après lui jusqu'à ce qu'il cède. »
© Sahar Fadaian
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Sahar a envie de les rencontrer, de les comprendre. « Ce sont juste des gens comme toi Sahar. Seulement avec un visage et un corps qui ne sont pas acceptés, se dit-elle. Je viens d'un pays où je n'ai jamais été approuvée par ma famille et je n'ai jamais pu me conformer aux révolutions culturelles et au masque perpétuel que le gouvernement veut que nous portions. »
Elle sent qu'elle peut pénétrer leur intimité, écouter ce par quoi elles sont passées, comment elles survivent, et quels sont leurs espoirs, leurs rêves et leurs peurs.
Elle reçoit l'aide d'un conducteur d' « auto-rikshaw »* qu'elle connait à Bangalore, une personne de confiance. Il connait la langue locale bien que son anglais soit si pauvre qu'il lui est parfois particulièrement difficile de comprendre.
© Sahar Fadaian
Chaque endroit de Bangalore, chaque quartier a un groupe de femmes transgenres qui vivent en famille dans leurs toutes petites maisons sombres et humides. Dans certains cas, Sahar n'est pas la bienvenue, elles lui demandent de partir, poliment ou d'une manière plus abrupte, en criant par exemple. La marraine de la famille doit d'abord lui donner la permission : « Le chauffeur frappait à la porte et leur parlait en expliquant qui j'étais et ce que je voulais faire. Ensuite la marraine me voyait et si elle avait un bon feeling avec moi et des bonnes vibrations, elle m'autorisait à entrer. »
© Sahar Fadaian
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Rapidement, la jeune photographe sympathise avec ces êtres hors normes. Selon Sahar, 90% d'entre elles on quitté leur famille biologique très jeunes, fuyant dans les grandes villes comme Bangalore, Pune, Bombay... Elles vivent dans de grandes familles reconstituées. Une marraine appelée Guru, la plus expérimentée et la plus vieille, dirige le groupe et accepte les nouveaux membres. Elle est la seule qui dort dans un lit. Les endroits où ces femmes habitent sont la plupart du temps petits, humides et sombres, situés dans des zones dangereuses. Au cours de son travail avec ces « hijras », l'Iranienne en a rencontrées certaines qui étaient mariées et vivaient avec un homme dans leur propre maison. Les personnes transgenres et les eunuques constituent une communauté mystérieuse évoluant en marge de la société indienne. Ayant fréquemment recours à la prostitution ou à la mendicité, elles forment pour une majorité d'entre elles la communauté des « hijras ». Le sentiment à leur égard est très ambigu, entre crainte, mépris et respect quasi religieux. https://www.behance.net/SaharFadaian" ce troisième genre, ni masculin ni féminin.
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© Sahar Fadaian
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En frappant à leur porte, en parlant avec elles, en tenant leurs mains et en écoutant leur histoire aussi longtemps qu'elles veulent bien la partager, Sahar a cherché à avoir sa propre compréhension des choses : « Cela m'a pris un mois pour finir mon travail. De raconter leur histoire, leurs rituels, leur façon de vivre unique, j'ai écrit un article qui va être publié dans https://www.behance.net/SaharFadaian". Cela a aussi été publié en persan sur un site anthropologique. »
Sahar Fadaian n'est pas reporter ou employé de qui que ce soit. A Téhéran, elle travaille en entreprise pour pouvoir faire de la photographie. Sa passion, sa raison de vivre. La jeune femme fait d'abord ça pour elle-même : « L'appareil photo n'est qu'un outil, un pont, une excuse. Etre intègre dans son travail - un gardien de confiance de ce que les gens partagent avec toi pour qu'ensuite tu le partages avec d'autres - gagner cette confiance, ressentir profondément et s'impliquer dans chaque émotion que tu captures et essayer, juste essayer, d'être sincère et confiant en ce que tu as, ce sont toutes les choses que j'aime dans la photographie. »
© Sahar Fadaian
Les projets de Sahar ? Ils tournent surtout autour du sujet qui lui tient à cœur : la vie des femmes transgenres en Asie et peut-être dans d'autres pays. Elle a déjà interviewé quelques femmes en Turquie et elle travaillent maintenant avec celles de Téhéran, ce qui est particulièrement difficile puisqu'elles font très attention à protéger leurs vies, leurs visages et leurs histoires : « J'espère qu'avec la foi et l'amour que j'ai pour tous les sujets que je traite, je pourrai trouver comment réaliser mes envies, et être un moyen pour les autres de faire entendre leurs voix. »
Emilie Lemoine
* véhicule tricycle utilisé pour le transport de personnes ou de marchandises