Vendredi 03 Août 2012 15:13:22 par actuphoto dans Carte Blanche
Les photographies de Kris Jordan nous emmènent dans des ports de marchandises, dans des casses automobiles ou encore dans des décharges à ciel ouvert. Autant de lieux où la consommation de masse se donne à voir dans son gigantisme et sa forme la plus radicale.
Empilements de containers plus grands que des immeubles, murs de voitures compressées, montagnes de métal rouillé, vastes étendues de telephones cellulaires qui donnent l'idée d' une mer polluée, masses de matières indéterminées....
En ce sens il prend le contre-pied de Gursky qui dans certaines de ses photographies traite de la consommation sous un mode plus festif et reluisant, en investissant ses temples que sont les hypermarchés par exemple. Les images de Gursky reprennent les codes du gigantisme, de la masse, de la multitude. Les rayonnages débordent de produits aux emballages colorés qui rutilent sous les néons.
Dans les photographies de Jordan, la société de consommation prend plutôt des allures de lendemains de fête.
Dans son travail, Jordan aborde la consommation de masse sous un angle excrémentiel, sous la forme de rebuts, une fois l'acte de consommer digéré. Ce qu'il donne à voir ce sont des entassements de choses devenues inutiles et hors d'usage,à la fin d'un cycle de vie, les rejets monstrueux d'une société du trop plein, les reliefs d'un désastre écologique annoncé.
Il s'agit donc d'un regard engagé, qui cherche à provoquer une prise de conscience écologique chez le spectateur. Sa démarche s'inscrit dans celle engagée par le photographe canadien Edward Burtynsky qui “documente le caractère résiduel de notre monde” (in les ruines de Burtinsky par Manon Regimbald)
Cependant aussi bien pour Kris Jordan que pour Edward Burtynski, la dimension politique et l'engagement environnementaliste ne constituent qu'un des aspects de leur travail.
Devant les imposantes photographies de Jordan on est certes devant une réalité crue qui se donne à voir de manière implacable et qui pousse à réfléchir au devenir de notre planête mais les partis pris du photographe, sa démarche plastique font vite décoller le regard du réel.
Le monde de la production sérialisée trouve sa traduction visuelle dans la construction géométrique des images, les formes répétées, les structures formelles. L'objectivité documentaliste des images bascule vers l'abstraction. L'infini des détails qui fourmillent engloutit le spectateur.
D'une image figurative le regard bascule vite dans l'abstration picturiale.
On est d'abord saisi d'un paradoxe: les poubelles du monde, les dépotoirs spectaculaires photographiés par Jordan ne suscitent pas le rejet ou le dégout .Les amoncellements, les couleurs des toles froissées, les entrelacs de matières, les compressions figurent une beauté insolite qui rappellent les drippings de Jackson Pollocks ou plus récemment letravail du peintre Philippe Cognée (recyclage 2).
Pour expliquer cette attirance paradoxale, on peut évoquer également les oeuvres des dadaistes et notamment de Kurt Schwitters qui a révélé la poésie des rebuts. Scwhitters fouillait les poubelles de la ville pour récupérer la matière première de ses collages.
Les images de Jordan empruntent enfin à l'esthétique fractaliste, toutes ces influences apportent à ses photographies l'expression métaphorique du chaos urbain.
David Cousin-Marsy
http://www.chrisjordan.com