Le risque de la confusion
Dans son blog, Nicholas Gaffney propose une série d'autoportraits le mettant en scène dans différents paysages du quotidien.
Chaque photo dessine un paysage familier, sans véritable attache géographique. Ca pourrait être partout, c'est donc nulle part. Chacun peut avoir l'impression de les avoir déjà traversés, sans s'y être arrêtés pourtant. Le genre de paysage banal, qui défile derrière la vitre, fondu par la vitesse du déplacement : végétation de bord de route, broussaille de terrain vague, plage désertée, angle de rue banal avec sa station de métro, sa borne à incendie et ses rideaux de fer baissés, rue de faubourg avec ses entrepôts, parc anonyme avec sa végétation alibi, chemin en lisière de forêt.
Nicholas cherche une place dans chacun de ces paysages. Pour chaque image, la mise en scène fonctionne sur le mode du jeu.
Le jeu c'est d'abord le « JE » de l'autoportrait. Nicholas se photographie dans chaque espace comme s'il le découvrait pour la première fois. Dans chaque pose et expression, on perçoit beaucoup de naïveté.
Le jeu c'est aussi celui d'un contrat ludique qui lie Nicholas avec les environnements qu'il a choisis. La règle du jeu paraît claire : vivre un espace, le respirer, y passer du temps pour y trouver un ancrage, s'y fondre enfin mais aussi lui faire un pied de nez.
Mais le jeu de Nicholas exprime aussi un dérèglement (quand on dit qu'il y a du jeu dans une mécanique, c'est qu'elle fonctionne mal). Ainsi dans chaque scénette, Nicholas joue un peu le rôle du grain de sable qui vient gripper la belle mécanique du paysage : Pourquoi s'allonge t-il en travers de la route au risque de se faire renverser ? Pourquoi est-il assis en tailleur à l'angle d'une autre rue ? Pourquoi saute t-il sur place jusqu'à s'effacer dans le mouvement ?
On devine alors que cette série d'autoportraits est un prétexte pour questionner notre place dans les lieux du quotidien et dans la communauté humaine. Quelle place adopter ? Comment s'y inscrire ?
L'effacement de soi, la volonté de se fondre dans les paysages vides, se faire tout petit en jouant sur les échelles au risque de passer inaperçu, toutes ces tentatives expriment l'accélération d'un processus inéluctable, face à la permanence de la ville et de la nature.
Par son travail, Nicholas offre également une vision postmoderne, solitaire et individualiste de la manière d'habiter et de vivre la ville.
La ville, les environnements de tous les jours sont montrés comme des décors dans lesquels on cherche à se fondre plutôt que des espaces vivants où l'on se confronte aux autres. Tout vécu disparaît, il n'y a plus qu'un cadre.
Dans les images de Nicholas, la part de l'humain est réduite à quelques signes : des voitures stationnées, des déchets en attente d'être collectés, des traces de roues dans la neige ou sur le sable, un vélo attaché à une grille, une fenètre éclairée, de la neige entassée. Aucune sociabilité ne transparait, sa tendresse Nicholas la partage en serrant très fort un candélabre.
On comprend finalement que dans la ville postmoderne, la question n'est plus celle de l'inclusion ou de l'exclusion, mais plutôt la capacité de chaque individu à pouvoir s'y fondre, au risque de la confusion.
David Cousin-Marsy
Nicholas Gaffney enseigne la photographie à la katharine Gibbs School dans le New Jersey.
Son travail a été exposé à la Rome arts Gallery à Brooklyn et au Centre for photography at Woodstock à New York.