Après m'être consacrée sur une période de 18 mois environ à la création de la série “Loin de l'Espoir“, essai de portrait d'un lieu de souffrance; c'est-à-dire arpenter le camp et le photographier, mais aussi lire constamment et assister à des conférences pour tenter de pallier à mes lacunes et d'appréhender du mieux possible cette douloureuse période de notre l'histoire, il est survenu, qu'après un temps assez long passé à Paris et consacré à la réalisation des tirages, lorsque je suis revenue sur le camp pour le photographier encore, il m'était devenu impossible de continuer à travailler de manière identique. Quelque chose en moi se révoltait, se refusait à l'état de peine violente, d'empathie qui m'avait toujours habitée, guidée jusque là et dans laquelle j'avais largement puisé d'un bout à l'autre de “Loin de l'Espoir“.
J'étais pourtant absolument certaine de n'avoir pas tout exprimé à propos de ce lieu.
Il s'est avéré que, si je souhaitais continuer de photographier Rivesaltes, je devais écouter et accepter cette nouvelle position à l'intérieur de moi-même, cela seul pourrait éventuellement rendre à nouveau possible un travail de longue haleine, évidement inconnu de moi à ce moment là mais forcément différent du précédent.
“Je me souviens de vous“ est né de la nécessité de cet accordage, d'un glissement de l'émotion violente, quasiment physique, éprouvée lors de la découverte du lieu et qui charriait avec elle, comme un torrent, à travers moi, toutes les histoires entendues de toutes ces vies englouties, les enfants et les espoirs morts, les plaintes dans l'obscurité glacée, la liberté perdue, vers la maturité d'une peine pleinement assumée et exprimée grâce à l'art, si j'ose dire.
Cette nouvelle série de photographies n'est plus tant l'hommage vibrant ou la reconnaissance de la souffrance, du destin des victimes de ce camp-ci comme symbole de tous les camps, que le témoignage d'un être humain, enfant de la deuxième génération, inscrite dans son siècle, détentrice de son passé et attentive à notre présent, à notre avenir.
Comme beaucoup d'entre nous.
Je me souviens de vous
Le temps est passé.
Que reste-t-il de ces jours terribles, sinon cet écho fragile qui demeure vibrant en nous ?
Des souvenirs qui se dérobent parfois, des images un peu plus floues, qui palissent, à certaines heures, sable fin glissant entre nos doigts, qu’on peine à retenir.
Inexorablement ?
Aujourd’hui, je me souviens encore de vous.