International, le Festival de Photographie de Lianzhou l’est, incontestablement. Tout d’abord parce que, même s’il fait la part belle à la photographie chinoise, ce qui est un bonheur pour nous, il invite cette année des commissaires venus des Pays-Bas, du Danemark, d’Allemagne, de Grande Bretagne et des Chinois dont certains déploient une intense activité à l’étranger. Et il présente des artistes du monde entier dont certains, comme Sujimoto, Araki ou Moriyama, sont des stars de l’image fixe. International, il l’est également par la présence de journalistes européens et américains. Et encore par le sponsoring de Epson et de HP qui ont permis la réalisation des œuvres accrochées, quitte, parfois, à nous faire regretter la splendeur de certains tirages argentiques et à uniformiser quelque peu les tonalités. Mais sans cette technologie, le Festival ne pourrait avoir lieu.
Si quelques dizaines d’Européens et des centaines de professionnels Chinois ont bravé depuis Guangzhou, sur une route impossible, dans des bus inconfortables conduits par des chauffeurs spectaculaires plus de cinq heures de trajet, c’est que Lianzhou est devenu une référence. Et, ce qui manque de plus en plus à trop de festivals, un lieu de découvertes.
Même si les soirées et les petits matins sont glaciaux et même si la ville est insupportablement polluée, on peut marcher avec plaisir entre les trois principaux lieux d’exposition pour se confronter à des ensemble copieux, variés, souvent bien accrochés mais malheureusement trop mal éclairés. Il n’empêche qu’il s’agit là d’une performance remarquable animée avec savoir-faire par Duan Yuting.
C’est l’occasion, au delà de la sempiternelle douzaine de vedettes chinoises invitées dans tous les festivals occidentaux, dans toutes les Biennales et battant des records dans la majorité des grandes ventes aux enchères récentes, de voir une photographie bien vivante, souvent très sérieuse, et d’en cerner les tendances.
Certes, souvent, ces tendances suivent les grands mouvements actuels, du grand format à la mise en scène, du travail saturé ou délavé de la couleur à l’appréhension de thèmes en vogue, comme l’écologie (du panoramique documentaire ennuyeux à des montages digitaux râtés avec squelettes incorporés dans le désastre…) ou la ville (allant du reportage bien vu aux inévitables tableaux froids inspirés de l’école de Dusseldorf). Côté nature, les portraits de grands arbres derrière lesquels Myoung Ho Lee a tendu d’immenses toiles de fond sont ce qu’il y a de plus remarquable.
Même si elles ne sont pas toujours originales, certaines approches s’affirment, entre autres les compositions avec figurines au propos clair et bien maîtrisé (de la reconstitution de photographies historiques à des évocations du quotidien en passant, plus troublants, par les oniriques tableautins traversés de personnages en porcelaine de Meng Minsheng).
L’histoire est également très présente, aussi bien individuelle (avec par exemple des bidouillages peu convaincants de photos de famille retravaillées de façon picturale sur ordinateur) qu’avec un passionnant ensemble évoquant la politique en Chine Populaire. Elle est analysée avec subtilité par la confrontation d’intérieurs ordinaires avec de grands formats de vues presque effacées, diaphanes, des lustres monuments des palais du Parti. Moment de bravoure, les vues en grand format que Wu Yinxian, alors octogénaire, réalisa en commande, en 1981 sur le Grand Hall du Peuple sonnent plus juste que certaines images de Candida Hoffer auxquelles on pourrait les comparer. Et l’on s’étonne de se trouver soudain transporté au Sud Tyrol où une importante communauté chinoise a transporté les signes du Parti (Giovanni Melillo). Encore plus surprenante, la « réhabilitation » de l’imagerie de propagande, en noir et blanc comme en couleurs, séduit par l’exceptionnel savoir faire, le sens de la lumière et de la mise en scène de Zhu Xianmin.
Coup de cœur pour, à l’entrée des superbes silos à grain qui accueillent les premières expositions pour les immenses fresques en noir et blanc, installées à même le mur, en extérieur, en utilisant remarquablement l’architecture par Li Baoming, ancien mineur, évoque le quotidien des habitants pauvres du Shanxi qui ont bâti leurs propres demeures. Au sommet du documentaire bien compris.
Coup de cœur aussi, mais en tout petit format cette fois-ci, pour la maison de poupée, avec télévision – qui marche !- , posters de filles dénudées que Zhang Xiangxi a installée à l’intérieur d’un vieux téléviseur. Aussi remarquable que la vidéo en noir et blanc de Huang Xiapong « Une variation sur le Requiem de Verdi », filmée dans la rue principale de Pinyao (où Alain Julien avait créé en 2001 le premier festival international de photographie du pays et qui a aujourd’hui été vidé de son sens par la reprise en main officielle…). Et une très grande tendresse pour les émouvantes images d’habitants de Shanghaï par Lu Yanmin, nimbées d’une lumière vibrante, sensibles, justes, sans aucun effet et pleines de poésie.
Décliné sous toutes ses formes, du pire au meilleur, le portrait est omni présent. Remarquable avec Jiang Jian qui, quarante ans après qu’elles aient posé en groupe dans leur jeunesse, retrouve des jeunes femmes, les photographie une à une en gros plan, raconte leur histoire puis les réunit à nouveau aujourd’hui dans le même cadre. Bien maîtrisé, le travail de Hu Li sur le costume d’Opéra recto verso en couleurs ou sur les mineurs en noir et blanc est d’une incontestable force mais doit se méfier du trop joli.
C’est dans deux styles totalement opposés que Liu Yiquing et Wang Gong nous proposent, l’un aux silos à grain, l’autre à l’ancienne usine de chaussures, un résumé stupéfiant de la Chine d’aujourd’hui et des possibilités de la photographie. Le premier, de façon directe et ludique a photographié ses jeunes voisins en mêlant noir et blanc et couleur et les a installés avec finesse dans des cadres kitschs et dorés. Décapant et plein d’énergie. Le second (qui pratique la photographie depuis à peine deux ans et « aime photografier les enfants et les vieillards), laisse monter l’émotion dans des carrés impeccables où se révèlent, sous des lumières et dans une palette raffinées des visages et des émotions universels de « petites gens » de sa province. Universel.
Christian Caujolle
LIPF 2007. Jusqu’au 22 décembre. www.lipf.cn