Loïc Le Loët
Musée d'Aquitaine 22 bis rue Gabriel Péri 93200 Saint-Denis France
Quelle photographie contemporaine en Aquitaine ?
Le Musée d’Aquitaine innove en consacrant à la photographie produite dans la région ces vingt dernières années, une première exposition exceptionnelle tant par sa dimension que par sa richesse.
Cette exposition réunit près de 500 images d’une vingtaine de photographes, certains de renommée internationale, dont la pratique contemporaine traite des questions de société et de leurs modes de représentation. Fortes d’une indéniable diversité plastique, qu’il s’agisse de tentatives d’appréhender la société du siècle nouveau ou de témoigner d’un monde qui s’achève, ces images placent la relation à l’autre au coeur de la démarche photographique et rendent hommage aux communautés. Art et document, véritables « archives du présent », ces travaux interrogent l’histoire et écrivent la mémoire de l’Aquitaine, prouvant combien la photographie peut participer à la compréhension du monde.
Le musée d’Aquitaine conserve d’importantes collections photographiques des XIXe et XXe siècles dont le très exceptionnel fonds Arnaudin. Aujourd’hui, dans la continuité de ses missions mémorielles et patrimoniales, il se propose d’inaugurer une série d’expositions, échelonnées sur plusieurs années, qui interrogeront la photographie documentaire contemporaine en Aquitaine.
Cette initiative ouvre un large débat, un ample chantier à la fois multiple et complexe à l’image de la photographie ou plutôt des photographies. C’est à la fois reconnaître l’existence d’une création régionale dont ce projet rendra compte et c’est aussi, à travers ce chantier, une région -et son image- qui est questionnée dans ses certitudes et dans ses évolutions.
L’exposition «Humain, très humain, photographies en Aquitaine 1987-2007» est la première étape de ce projet. Les suivantes s’intéresseront aux paysages puis aux survivances culturelles.
En écho à l’oeuvre de Félix Arnaudin et en phase avec les enjeux du document dans l’art et dans la création audiovisuelle, l’exposition privilégie les approches documentaires traversées par des questions sociales et sociétales et par le problème de leur représentation. Bien qu’elle ne vise aucune exhaustivité ni autorité, elle favorise une photographie affirmée comme démarche contemporaine et qui peut être support à un travail de mémoire ou d’histoire.
«Humain, très humain» présente des travaux réalisés ces vingt dernières années, par une vingtaine de photographes vivant majoritairement dans la région, exception faite de Gabriel Martinez dont les photographies datent de 1960.
Si la diversité des travaux résonne de multiples sensibilités qui dialoguent entre elles, elle révèle aussi la constance de certaines préoccupations, qui fondent les directions croisées de l’exposition.
Ainsi la question de l’appartenance à des communautés et le dialogue entre celles-ci motivent plusieurs travaux. Dans les portraits de Christian Delecluse et de Pierre Bidart, les jeux de filiation répondent aux inquiétudes de l’enracinement.
L’immigration des travailleurs portugais en attente en gare d’Hendaye dans les clichés de Gabriel Martinez et les visages des anciens combattants marocains que l’on croise régulièrement à Bordeaux, auxquels Loïc Le Loët rend hommage, tout comme la présence fantomatique de l’homme à la frontière de l’Espagne pour Patrizia di Fiore, témoignent de l’échange historique et intime entre ces pays du sud et la région aquitaine. Aux colorations des travailleurs dans les usines de transformation du bois dans les Landes investies par Bruno Lasnier répondent les portraits singulièrement décalés des châtelains et paysans du Langonnais dans les clichés de Rip Hopkins.
Christophe Goussard fait poser les personnes âgées et leurs objets fétiches dans leur résidence près de Bordeaux. En contrepoint, dans le Médoc, Gédéon souligne l’illusion de l’ambition du portrait sociologique. Ces travaux souvent enrichis d’une perspective historique soudent plus les communautés qu’elles ne les séparent et ce d’autant plus que se partage une mémoire commune.
La mission de sauvegarde, intrinsèque au document photographique, irrigue le travail que Jean-Christophe Garcia a consacré aux cinémas aquitains. Histoire et mémoire fondent l’inventaire que firent Delphine Trentacosta et Jürgen Nefzger des blockhaus de La Forteresse du Nord Médoc comme ils nourrissent les photographies de l’estuaire de Bruno Lasnier ou les compositions de Bernard Brisé. « La ferme » de Pascal Fellonneau sillonne entre peinture du réel et souvenirs d’enfance.
A la mémoire des lieux s’ajoute celle des corps photographiés par Pascal de Lavergne, méditatifs et solitaires, au bord de l’océan atlantique. A l’inverse Richard Cerf dissèque les corps mannequins et les gadgets électroniques dans les vitrines des rues marchandes ivres de consommation. Comme dans les images de Denis Darzacq, c’est en terme de dynamique que le corps est présent dans le travail de Francis Andrieux : dispositifs de prélèvements réalisés à Bordeaux et carnet de notes multiples, tandis que Yannick Lavigne tient un carnet de vol à la verticale de nos territoires et de nos activités, où se lit la mutation de notre société. Enfin, seule une image du laser mégajoule faite par Stéphane Couturier atteste de l’industrie de pointe régionale.
Les photographies de l’exposition « Humain, très humain » proposent des expériences individualisées et sensibles qui privilégient la relation à l’autre. En rendant hommage aux communautés, elles réaffirment qu’un territoire se définit d’abord par les hommes et les femmes qui le composent et elles plaident pour une histoire sociale et une harmonie secrète. L’exposition se tient à échelle humaine, elle invite le passé, elle pointe des permanences et des évolutions. En cela, elle constitue de véritables archives du présent.