Anton Solomoukha - Le Petit Chaperon Rouge visite le Louvre
Vendredi 03 Août 2012 15:13:22 par actuphoto dans Carte Blanche
« Le Petit Chaperon Rouge visite le Louvre » est un projet qui imagine, non sans ambiguïté et ironie, la synthèse de trois éléments réputés inconciliables :
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Le Petit Chaperon Rouge.
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Les tableaux de Maîtres du Louvre.
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L'esthétique de la photographie contemporaine, l'exigence et la splendeur de son art de contracter les passions dans une image qui cristallise le temps jusqu'à le rendre réversible.
Le Petit Chaperon Rouge, personnage populaire, petite fille espiègle et maligne, entame une promenade imaginaire dans le plus grand musée du monde. Sans hésitation, comme beaucoup d'enfants, l'adolescente gravement narcissique s'imagine l'héroïne des toiles qu'elle aperçoit. Elle s'introduit dans les tableaux, se fait le clone de leurs personnages, reprend leurs positions les unes après les autres en s'identifiant au point de se confondre à eux.
Jusqu'à franchir sans y prendre garde, le seuil d'un univers aux dimensions raréfiées où ne se déploient que des simulacres…
Pour réaliser cette fantasmagorie, Anton Solomoukha construit son théâtre mental avec le concours de personnalités venues de différents univers, qu'il associe à son projet de falsification délibérée au prétexte de leur donner l'immortalité promise par la répétition du dispositif mystérieux qu'offre chaque tableau de Maître.
Mallaury Nataf compose différents personnages des "Femmes d'Alger", de Delacroix, avant d'apparaître dans « L'Olympia » et "Le Déjeuner sur l'herbe" de Manet. L'acteur Thierry Frémont, qui a incarné le capitaine Dreyfus à la télévision et joué dans "Les Brigades du Tigre" au cinéma, prête sa figure à des oeuvres de Courbet et Delacroix. Louis Rego, ancien membre du groupe « Les Charlots », apparaît dans des œuvres de Giorgione, et du Titien. Alexandre Stephanovitch, homme de lettres et scénariste russe, se prête à des scènes du Caravage. Le peintre, poète et chanteur, Charlelie Couture, est le Pâris du "Jugement de Paris", puis un vieillard, dans "Susanne et les Vieillards". La jeune artiste Colombe Marcasiano est une splendide "Bethsabée" de Rembrandt, et « Le Modèle » de "L'Atelier de Courbet". Quant à l'impérial Pierre Cornette de Saint Cyr, il hante, lui aussi, l'œuvre de Rembrandt : se transformant tour à tour en un vénérable docteur Nicolas Tulp pour la "Leçon d'anatomie", avant de faire un officier pour " La ronde de la nuit", puis d'apparaître dans le rôle du père, pour le "Retour du fils Prodigue"…
Les personnalités du monde du spectacle ou de la haute couture ne sont-ils pas les bouffons médiatiques d'un art-transfert à part entière ? Pour Anton, les mythes sont infiniment recyclables ! L'artiste nous rappelant, non sans malice, que "l'icône" (Mao, Che Guevara, Marilyn…) est plus que jamais au cœur du processus stéréotypé de l'identité contemporaine.
Que voit-on ?
À une charnière historique où la contestation des règles morales enfle à l'aune du désir de consommation sans frein, Anton nous invite à tester notre soumission aux associations corrélatives au matériel allégorique faisant le fond de nos cultures. Le personnage du Petit Chaperon Rouge, mis à nu pour mieux se charger de l'autodérision inhérente au désir et à ses clichés, vient graisser la machine à mythes à coup de propositions pornographiques. Il devient l'indispensable médium imposant l'esprit critique dans la formulation poétique : l'anesthésiant des réflexes idolâtres préposé au brouillage de piste.
De ce kitsch fantasmatique, qui exalte une mythologie païenne et pacifique, monte un imaginaire hermétique à tout esprit de système, mais aussi, une invitation au musée, un appel au grand art de la Renaissance et du Baroque, qu'Anton pointe pour mieux faire masque à l'irruption de sa vision iconoclaste : opposant l'utopie hédoniste de notre temps perdu à l'histoire et ses postures.
« Le Petit Chaperon Rouge visite le Louvre » est un projet artistique rassemblant de nombreux travaux :
- 60 photographies numériques noir et blanc et couleur, croisent des personnages multiples et des natures mortes, dans des mises en scènes jouant aussi bien de la visée allégorique que du portrait pour déconstruire le procès du sens au profit des simulacres et de leur puissance de mise à nu…
- 20 dessins
- 10 tableaux
- Une monographie, « Le Petit Chaperon Rouge visite le Louvre », dont chaque chapitre sera accompagné de textes de critiques d'art, d'écrivains, de journalistes. Sont sollicités les écrivains Philippe Sollers, Michel Houellebecq, Milan Kundera ; les critiques d'art, Pierre Cornette de Saint-Cyr, Stéphan Levy-Kuentz, Alain Avila, Jean Luc Chalumeau, Robert Albouker, Oliver Gaulon ; et le producteur radiophonique José Arthur.
C'est la série des photographies que nous souhaitons présenter lors de l'événement Paris-Photo 2007
Anton Solomoukha naît à Kiev, alors capitale de la République socialiste d'Ukraine. Sa formation est marquée par la dualité entre l'enseignement qu'il reçoit, destiné à faire des peintres soviétiques les serviteurs zélés du réalisme socialiste ; et sa participation au collectif interdisciplinaire rassemblant ce qui compte de la scène artistique de Kiev dans une distance critique à l'égard de l'asservissement des images à la diffusion des mots d'ordre.
Auprès de maîtres aussi prestigieux que Misha Frankel, dans le domaine du théâtre, Sergueï Paradjanov, dans celui du cinéma, il apprend à retourner contre lui-même l'idéalisme académique de l'art officiel. Pour déjouer le lien image / mot d'ordre, il sature ses mises en scène d'une inquiétante étrangeté qui court-circuite la subordination de l'image à sa référence verbale. Ce parti pris pour un baroque généralisé a ceci de particulier qu'il retourne l'inflation du sens qui lui est propre contre les finalités discursives et référentielles que la Contre Réforme donnait à cet art. Il installe Anton Solomoukha dans un espace de création original dont les potentialités lui apparaissent progressivement. Réduction du rapport de subordination de limage au mot d'ordre à une simple redondance ; répétition en boucle du thème scénographique ; irruption d'éléments étrangers à la construction du sens… Jusqu'à faire paraître indifféremment les protagonistes de la scénographie sous le mode du nu ou du vêtu ! A ce point, l'art d'Anton connaît une rupture qui est d'abord la prise en compte de la situation aliénée de l'art en Occident, où il vit et travaille désormais. Plus retorse et plus efficace que la propagande socialiste, la rhétorique publicitaire de la séduction qui domine la construction des images dans les sociétés libérales lui apparaît comme le mur à percer pour traverser les apparences. Il lui oppose l'arme la plus explosive ramassée sur son chemin : l'apathie devant la chair et le contre-investissement qu'elle autorise sur le jeu scénique et l'invention à laquelle il fait appel. Pour saluer les couleurs du 21ème siècle, Anton soumet la présentation de l'objet du désir à la logique de l'installation et à son esthétique du simulacre. Cette démarche le conduit au mode d'expression simplifié offert par la photographie numérique. Inversement, elle ouvre un champ à la complexité de ses nouvelles images. Pour leur fournir une charge iconoclaste propre à déjouer le cliché pornographique, il se ressaisit de l'art de la fable servie par la mise en scène de grand style dont ses maîtres avaient le secret ; en même temps qu'il les ouvre sur l'axe horizontal pour rendre sensible la déclinaison du motif narratif et sa déconstruction sous l'astreinte de la répétition qui le gomme. Splendeur des gestes magnifiés par l'univocité de la mise en lumière, en un hommage continu au Caravage. (Dés) organisation panoramique du plan irradiant le pénible secret du sexe de la traînée de poudre du non sens ! La visite du Petit Chaperon Rouge au Louvre peut commencer…
Robert Albouker.
Paris.2007.