Vendredi 03 Août 2012 15:13:22 par actuphoto dans Carte Blanche
Photographe autodidacte, publié dans les parutions les plus prestigieuses, Pascal Meunier a fourni un travail méticuleux et sans concession sur les hammams dans le monde arabo-musulman. Une documentation variée qui révèle une maîtrise photographique de la lumière et des espaces confinés, et que l'on pourra observer dans un livre à paraître en novembre 2005 chez Dakota, et lors de son exposition à la galerie Cosmos, son agence de cœur, à partir du 12 juillet.
Comment êtes-vous arrivé à la photographie ?
J'étais en thèse de Sciences Politiques, je travaillais sur les transitions à la démocratie en Amérique Latine, je m'ennuyais fermement et l'idée m'est venue d'aller voir sur place ce qu'il se passait. J'ai proposé à des éditeurs de faire un guide de voyage, et la proposition a été acceptée à condition que je prenne également les photos. Voilà comment tout a démarré, j'avais 30 ans.
Qu'est-ce qui a nourri votre motivation ?
Je crois que la découverte de la Syrie a été prépondérante dans mon évolution personnelle, je suis tombé amoureux de la ville d'Alep et c'est ce qui m'a encouragé à travailler sur le monde arabo-musulman. Il y a aussi une exposition de Bruno Barbey à l'Institut du Monde Arabe en 1997, où j'ai pu constater l'impact d'une photo, je me souviens de jeunes marocains qui montraient les photos en disant fièrement « Voilà, ça c'est mon pays ». Et puis il y a le magazine Grands Reportages qui m'a suivi dès le début sur mon projet du tour des hammams arabo-musulmans. Il y a six ans, avant de me lancer, j'avais téléphoné à plusieurs grands noms de la photographie pour glaner quelques conseils, et tous m'avaient ri au nez en énumérant les difficultés inhérentes à ce type de travail: humidité, monde fermé etc…
Une des principales difficultés a finalement été de continuer à croire en mon projet.
Justement, comment est né le projet « Hammams »?
J'étais à la Mosquée des Omeyyades à Damas.
Je préparais un livre sur la Syrie, et je me suis fait voler mes chaussures à l'heure de la grande prière du vendredi. Ce qui est incroyable en Syrie, j'insiste, car, s'il y a bien un pays dans lequel il y a très peu de vols, c'est la Syrie. Tout le monde était catastrophé, on m'a pris par la main pour m'emmener au hammam qui allait me fournir des sandales. Le patron du hammam m'a invité à manger avec lui, et m'a présenté son bain. Il m'a montré des gravures de hammams des années 30 en m'expliquant que les bains fermaient tous les uns après les autres, j'ai trouvé l'univers extraordinaire.
Je suis resté avec lui toute l'après-midi, j'ai oublié que je n'avais plus de chaussures et quelque temps après j'étais revenu pour travailler sur le sujet, en cherchant à voir d'autres bains.
Comment ta vision du sujet a t-elle évolué ?
Je suis parti faire ce sujet avec mes fantasmes orientalistes, j'avais en tête les tableaux vaporeux d'Ingres et les écrits de Flaubert, et puis je me suis rendu compte que ce n'était pas ça. En réalité c'était un univers qui allait disparaître, qui n'était pas forcément bien entretenu et qui était souvent fréquenté par les gens en marge de la société.
Est-ce que cela a donné une dimension supplémentaire à ton travail ?
Je pense, la première fois que je suis parti, j'ai essayé de faire de belles images, un peu carte postale, et je me suis attaché dans un second temps, notamment au Caire, à montrer que les bains étaient en péril. À l'époque où j'ai commencé au Caire, il y avait 16 bains, 6 ans après il n'y en a plus que 5 qui tournent et encore, péniblement.
Quel travail d'approche as-tu choisi pour pénétrer cet univers fermé, d'intimité ?
Pour ce sujet, je me suis rendu dans une quinzaine de pays, de la Mauritanie à l'Iran en passant par le Maroc, la Libye, la Syrie, l'Egypte, la Tunisie, le Yémen ou encore la Turquie.
Certains bains m'ont accueilli les bras ouverts, en disant « viens faire de la pub pour nous », d'autres ne comprenaient pas que je puisse m'intéresser à eux, en Iran ils sont sÛrement encore en train de se demander « c'est qui ce fou ? ».
Et pour l'aspect technique ?
L'humidité est un problème que j'ai résolu en travaillant au Leica M, sans caisson étanche car le boîtier des Leica*est extrêmement résistant et en plus son format assure une parfaite discrétion, le deuxième problème était la lumière, et là il n'y a pas de secret, je suis resté des heures et des heures à observer où, comment et à quelle heure la lumière était la plus intéressante.
Et la nudité ?
Là aussi c'est un gros travail d'approche car ce sont des univers où les gens ne veulent pas être photographiés, c'est comme si demain je te dis « je débarque dans ta salle de bain ! », au début je laissais l'appareil dans le hammam et je me baladais, pour habituer tout le monde.
Et puis les parutions dans les magazines m'ont aussi servi car je les montrais aux clients des bains et cela « dédramatisait » la situation.
Quelle est la prochaine étape ?
Mon travail n'est toujours pas fini, prochainement j'aimerais aller à Kaboul, au hammam des Oiseaux, joli nom…D'ailleurs je n'ai jamais pris un seul bain, je me suis dit que je choisirai le bain qui me correspond le mieux une fois que j'aurai bouclé tout le sujet !
Hugo Van Offel
* Le travail de Pascal Meunier sera également exposé chez Leica en octobre 2005.
Article provenant de l'interview Magazine PHOTO / juillet aoÛt 2005 proposé par Pascal Meunier