L'Illusion nationale de Valérie Igounet & Vincent Jarousseau
© Pierre Hybre/MYOP
La forme du roman-photo a été suggérée par Patrick de Saint-Exupéry, rédacteur en chef des revues XXI et créateur de 6 Mois, pour lesquelles ce travail était originellement destiné. Valérie Igounet et Vincent Jarousseau acceptent immédiatement et font un travail de sélection parmi tous les témoignages recueillis. « C'est un docu-photo qui prend la forme d'un roman-photo, tient à souligner le photographe. Parce qu'à la différence de ce dernier, il n'y a absolument rien de romancé, tout est absolument vrai : les propos, les gens... Il n'y a aucune mise en scène, y compris dans le travail photographique. »
« Marine »
Elle est évidemment un personnage central. Au centre de toutes les discussions, http://fr.actuphoto.com/hashtag/frontnational" est à la fois sur la couverture (avec une électrice), mais aussi sur la première photo de l'ouvrage qui déstabilise un temps le lecteur, si peu habitué à voir la femme politique photographiée de la sorte. On croirait presque distinguer de la douceur derrière la sévérité du regard. Il n'en est rien. Vincent Jarousseau nous explique : « C'est une photo qui a été prise le 11 novembre 2016 à Hénin-Beaumont où Marine Le Pen est présente tous les ans. Je cherchais une image pour la couverture. Elle me connaît sans me connaître, c'est le propre des photographes ! Elle voyait que les gens en qui elle a pleinement confiance, comme les responsables d'anciens combattants, me connaissaient et me serraient la main. Ça l’intriguait beaucoup. Je lui tournais autour. Je cherchais à l'agacer, car je voulais provoquer quelque chose, la montrer à un moment où elle est elle, parce qu'elle n'est jamais elle sur les photos. » Dès le début donc, ce portrait glaçant « au naturel » annonce la ligne directrice du livre : se tenir éloigné de la caricature pour approcher au plus près de la réalité.
Et dans tous les romans-photos, il y a de l'amour. Celui des électeurs pour « Marine », « femme de tête, intelligente », la seule qui peut aider, la seule qui vienne encore les voir et qui accepte bien volontiers de faire des selfies. La même relation affective existe avec les élus locaux. Que ce soit Fabien Engelmann, Julien Sanchez ou Steeve Briois, on aime qu'ils disent « bonjour », qu'ils viennent serrer la main ou caresser le chien, qu'ils connaissent le prénom du petit ou un bout de vie de chacun. On aime aussi la propreté, les fleurs et la sécurité qu'ils ont rétablie à Hayange, Beaucaire ou Hénin-Beaumont. Mais, ne nous y trompons pas, comme dans toute histoire d'amour, il y a de la haine aussi. « Je ne suis pas raciste, mais... » revient ad nauseam comme le refrain d'une préférence nationale aussi illusoire qu'insupportable. Un doigt pointé vers l'étranger, le migrant, l'Arabe qui vole le job, l'allocation, la nourriture du vrai Français.
La France en marge
« On le voit très bien aujourd’hui : les 26% des électeurs qui déclarent vouloir voter pour Marine Le Pen sont certains à 80% qu'ils iront voter pour elle. C'est ce qu'on appelle la cristallisation du vote ». Vincent Jarousseau, comme Valérie Igounet, se montre lucide, presque militant, quand il explique ce qui a motivé ce projet. Il fallait sortir de l'abstraction des enquêtes d'opinion et incarner cet électorat au travers de l'image et de la parole, de montrer aussi le milieu dans lequel il évolue...
Ces trois villes ont été et restent ravagées par la crise, la désindustrialisation, la pauvreté, les commerces ferment. Ce livre montre les fractures, il traduit dans le réel la France périphérique. Comment ne pas penser à l'Amérique de Trump, à ces populations en marge, surnommées non sans mépris « white trash », qui ont voté pour un homme white et trash assumé et pour ses idées populistes et xénophobes ? http://fr.actuphoto.com/hashtag/frontnational" suite à l'élection américaine, regrettant de ne pas être allé à la rencontre des ruraux, des oubliés... Vincent Jarousseau n'aura pas ce regret à avoir si le Front national remportait les élections présidentielles. On doute que cela suffise à le consoler.
« Aller voir des populations où il y a des défiances et y aller sans jugement, sans filtre. » Dès le départ pourtant, l'angle choisi n'admet pas la contradiction directe des auteurs : elle se fera en amont et en aval des planches, à travers le titre, l'introduction, les contextualisations et la postface. Elle transparaîtra aussi dans les paroles de certains opposants retranscrites dans le livre, venant contrecarrer la vision idéalisée de l'expérience politique locale vendue par le Front national.
« On a fait beaucoup confiance au hasard des rencontres, que ce soit dans les bars, dans la rue ou même directement chez les gens, en bas de chez eux, au pied de leur maison. Avec un boîtier à la main, cela permet parfois de nouer une discussion. » Dans les premiers temps, Vincent Jarousseau n’est revenu qu'avec très peu d'images, trop occupé à se balader et à établir des contacts. En deux ans et demi, il ira une vingtaine de fois dans chaque ville : « C'est aussi ce qui nous crédibilise parce qu'on a la légitimité de celui qui tient sa parole, qui revient quand il dit qu'il revient, même si c'est six mois après. Il y a une dimension humaine très forte dans ce travail. » Les deux auteurs enregistrent et font valider les propos par ceux qui les ont dits. Ils n'ont pris personne en traître. La relation de confiance est clé dans un projet comme celui-là. Tout autant qu'elle l'est en politique d'ailleurs. Bien souvent le vote FN fait suite à un sentiment de trahison, celle des élus corrompus ou qui ne tiennent pas leurs promesses.
A qui s'adresse ce livre ?
« A tout le monde ! » Il a même été envoyé à tous les candidats à la présidentielle. « Il s'adresse aussi bien à des électeurs du Front national qu'à des bobos parisiens. Il a une vocation grand public évidente », précise Vincent Jarousseau. Voilà pourquoi entre autres Valérie Igounet a accepté de travailler avec lui ; les essais politiques ne sont pas beaucoup lus et il faut savoir s'extraire de la polarisation des idées. Le roman-photo est un vrai genre populaire, on l'a dit, mais pour lequel il faut prendre ici le temps de la lecture (168 pages). Sans le son ou le mouvement, restent des paroles lues par nous, par notre voix, et qui résonnent d’un écho d’autant plus implacable.
http://fr.actuphoto.com/hashtag/frontnational"
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Valérie Igounet & Vincent Jarousseau
Editions Les Arènes
22,90 euros