Bob Schutz prison d’Attica, 10 septembre 1971 © Associated Press
Chroniques du 11/09/2016 au 4/12/2016 Terminé
Le Point du Jour 107 avenue de Paris 50100 Cherbourg-Octeville France
« Laissez-moi mourir d’être Noir », lance Mohamed Ali à la télévision irlandaise en 1972, dans un poème-hommage aux émeutiers d'Attica. Un an auparavant, dans la prison du même nom, la révolte contre un système carcéral raciste, inégalitaire et ultra-violent a été écrasée dans le sang. 31 détenus et 11 gardiens ont été tués. Il y a eu plus de 200 blessés. Mais cette fois-ci, la répression ne s'est faite ni dans le silence ni dans le secret des cellules. Elle a été vue, photographiée même et commentée de l'intérieur. Le Point du Jour nous replonge au cœur du drame avec son exposition Attica, USA 1971 Images et sons d'une révolte du 11 septembre au 4 décembre.Le Point du Jour 107 avenue de Paris 50100 Cherbourg-Octeville France
Deux salles. La première montre l'Amérique contestataire des années 1970, dans son opposition à la guerre du Vietnam. Mention spéciale aux photomontages de Martha Rosler qui invitent la guerre dans le moelleux des salons américains. L'artiste détourne les images de GI ou de Vietnamiens mutilés pour les replacer dans des décors de magazine de mode ou de décoration. A ceux-ci s'ajoutent une collection d'affiches anti-guerre de Jasper Johns, Rauschenberg, de John&Yokko, etc. Un point d’écoute musical vient se joindre à la révolte : Hendrix, Crosby, Stills, Nash & Young...
Martha Rosler
Red Stripe Kitchen, extrait de la série « House Beautiful: Bringing the War Home », 1967-1972
Courtesy : Martha Rosler et Galerie Nagel Draxler, Berlin / Cologne
La deuxième salle a en son milieu un caisson dont on devine qu'il est le cœur agonisant d'Attica, la zone sensible de l'exposition. On y pénètrera plus tard. Pour l'instant, on continue d'humer l'air du drame, l'injustice d'une époque. Quelques clichés de l'excellent Danny Lyon, A Conversation with the Dead (1971), montrent des détenus noirs du Sud, courbés dans les champs de coton. Esclaves un jour...
A Conversation with the Dead (1971) Danny Lyon
The Vanguard (1968) - Ruth-Marion Baruch et Pirkle Jones
Stephen Shames
Funérailles de George Jackson, Oakland, 28 août 1971
Courtesy : Stephen Shames et Steven Kasher Gallery, New York
9 septembre 1971. En signe de protestation, les détenus de la prison d'Attica se révoltent en portant des brassards noirs et en refusant de prendre leur petit-déjeuner. Dans leur déclaration au peuple américain, les choses sont claires : « Nous sommes des êtres humains ! Nous ne sommes pas des bêtes et nous n'acceptons pas d'être traités ni battus comme telles » Il seront pourtant battus et tués comme des bêtes à l'issu de ces quatre jours d'émeute. C'est dans le caisson central que sont montrées des photographies d’archives, particulièrement violentes d’où cet emplacement à part. Il s’agit de la collection d'Elizabeth Fink (1971) : vues de l’intérieur, rangs d’hommes nus entourés de gardiens à matraque, cadavres étiquetés, morgue... Ces images ont été utilisées lors des procédures judiciaires interminables qui ont fait suite à ce scandale d'état : « Elizabeth Fink avait participé depuis 1974 à l’Attica Brothers Legal Defense (« Défense juridique des frères d’Attica ») fondée par l’avocat William Kunstler, et elle contribua grandement, vingt-six ans plus tard, à l’indemnisation de mutins et de leurs familles par l’Etat de New York. »
Gene Becker
Enquête sur Attica, 28 mars 1974 Collection Liz Fink, New York
De nombreuses raisons ont fait que cette émeute, à la différence de tant d'autres, a réussi à obtenir un écho. Sa proximité du pôle culturel, politique et journalistiques qu'est New York en est une. Le fait que les détenus aient choisi de faire rentrer les médias à l'intérieur de la prison, et ce dès le premier jour, en est une autre. Les photographies de John Shearer ou celles de Bob Schutz pour l'Associated Press en témoignent. Un an plus tard viendra le travail plus esthétisé de Cornell Capa.
L'exposition du Point du Jour est passionnante, riche de la multiplicité de ses supports : photographies, affiches, documentaire, extraits de films, musiques... (A noter : la sublime installation musicale de Manon de Boer, basée sur l'oeuvre de Frederic Rzewski.) On en ressort bouleversé, révolté.