GEAI © Manabu Miyazaki
Des nouveaux joyaux, qui eux n'ont pas besoin d'être taillés. Depuis le 2 juillet dernier et jusqu'au 8 janvier 2017, la Fondation Cartier pour l'art contemporain nous entraîne dans un voyage musical et visuel, Le Grand Orchestre des Animaux. Et celui-ci est mené de façon extrêmement rigoureuse. Le visiteur est toutefois libre de se balader à son rythme à travers vidéos, photos, tableaux et autres installations qui le plongent dans une posture de spectateur étonné. Les travaux photographiques de Manabu Miyazaki, Hiroshi Sugimoto et Christian Sardet sont de ce point de vue particulièrement frappants. Dans le cadre extrêmement épuré et apaisant de la Fondation, on est en alors invité à laisser le langage animal prendre le dessus. Plus de notion du temps, plus d'instance humaine organisatrice : la nature devient le seul chef d'orchestre. L'exploration de la partition animale commence, tenez-vous bien...
© Luc Boegly
Le travail du musicien et bio-acousticien américain Bernie Krause, considéré par les exposants comme source d'inspiration du projet, constitue déjà une excellente base : plus de 5 000 heures d'enregistrement et au moins 15 000 espèces animales, dont les voix forment la parfaite et aléatoire symphonie. Il a conçu de véritables « paysages sonores », comme l'explique le texte de l'exposition (image ci-dessus) : lorsque le visiteur est assis dans cette grande salle sombre, calme, et qu'il écoute le cœur de la nature battre avec ces enregistrements, il n'a pas besoin d'avoir des images des animaux pour sentir leur présence. Le son suffit à dessiner le paysage.
© Luc Boegly
Philosophies photographiques
Le texte de la Fondation Cartier et sa communication insistent sur cette dimension sonore - musicale même - très aboutie de l'exposition, qui prédomine dans l'installation du sous-sol dévolue à Bernie Krause, mais aussi dans les cris de ces « oiseaux artistes », qui sont tout simplement incroyables : la beauté quasi irréelle de leurs différentes parades nuptiales, leurs cris et leurs couleurs en font de véritables objets d'étonnement. Mais l'expérience est également visuelle, et elle est tout aussi plaisante et agréable : les photos de Manabu Myazaki, exposées pour la première fois hors du Japon, témoignent par exemple d'un travail rigoureux et d'une patience rare.
A BLACK BEAR PLAYS WITH THE CAMERA, NAGANO, 2006 © Manabu Miyazaki
« Mes pièges photographiques sont comme les arbres qui observent les animaux. Mon appareil photo est l'œil de l'arbre », dit-il lui-même avec justesse. L'image de cet ours qui joue avec un appareil photo (ci-dessus), ou celles de ce geai aux couleurs magnifiques (ci-dessous), sont le fruit d'un dispositif ingénieux : Manabu Miyazaki a en effet placé des appareils avec des capteurs infrarouges en milieu naturel, pour réaliser les « pièges photographiques » dont il parle. Il a également réalisé trois diaporamas sur le monde animal, et si la longueur de certains d'entre eux peut d'abord effrayer (seize minutes pour ledit geai et une mésange variée !), les images sont tellement épurées et belles que le visiteur oublie cette donnée. Mention spéciale pour le troisième diaporama, particulièrement frappant, Mort dans la nature. Cette carcasse de cerf, qui au fil de 48 photographies se confond avec la nature, est à voir absolument.
DE LA SÉRIE GEAI © Manabu Miyazaki
La réflexion photographique est également poussée à travers deux photos de Hiroshi Sugimoto. On aurait cependant aimé connaître davantage son travail, tant les deux images exposées sont intéressantes parce qu'à la fois réelles et totalement mythifiées. On a l'impression que ces loups (ci-dessous) et ces condors sont, dans les deux cas, circonscrits dans un cadre qui leur fait maîtriser le monde, qui exclut les autres espèces et les érigent, eux, en ordonnateurs du règne animal. Ce qu'en dit l'artiste, paroles rapportées dans l'exposition, va dans ce sens : « [j'ai eu] l'envie de représenter l'histoire naturelle comme une image trompeuse offrant une illusion de réalité […] la photographie trompe l'œil humain, et façonne la réalité ». Intéressante philosophie de la photographie, qu'on aurait aimé que l'exposition creuse à travers d'autres œuvres du même artiste. Mais l'avant-goût reste plus que satisfaisant.
ALASKAN WOLVES, 1994 © Hiroshi Sugimoto
Le vivant magnifié
Les autres installations, comme la poudre à canon sur papier de Cai Guo-Qiang , les œuvres de Pierre Bodo entre autres, construisent en définitive une immersion totale dans le monde animal, extrêmement agréable. Du point de vue photographique, on retiendra encore les très beaux clichés de Christian Sardet (exemples ci-dessous) sur le plancton : couleurs vives, formes insoupçonnées et précision incroyable font leur beauté. L'installation intitulée Plancton, aux origines du vivant, dans une salle sombre où des écrans sont disposés au sol, plus énigmatique, est peut-être moins intéressante et moins esthétique que les photos, ou encore que les paysages sonores de Krause. Il n'en demeure pas moins que de façon générale, Le Grand Orchestre des Animaux réunit ce qui fait passer l'exposition au stade d'expérience esthétique aboutie, réussie et profonde. Une belle sortie en perspective, courez-y !
DE LA SÉRIE CHRONIQUES DU PLANCTON © Christian Sardet