©Daniel Castro Garcia
Immédiatement, la couverture pose le cadre : elle ressemble à s'y méprendre à un passeport, le petit livret indispensable qui manque à beaucoup de migrants. Celui-ci comporte six tampons, correspondant aux différents endroits où l'auteur s'est rendu : Lampedusa (Italie), Lesbos (Grèce), Catania (Italie), les Balkans, Calais et Idomeni (Grèce).
Lampedusa, Italy, May 2015 ©Daniel Castro Garcia
ABANDONED SWIMMING POOL COMPLEX, Lampedusa, Italy, May 2015 ©Daniel Castro Garcia
Lampedusa, l'île fantôme
Les autorités italiennes ont transféré tous les centres d'accueil de réfugiés vers la Sicile. Garcia commence ce chapitre par un cliché montrant le côté paradisiaque de l'île, pour mieux bifurquer vers la réalité qu'il a pu observer sur place : une île fantôme où la nature reprend peu à peu le dessus sur les milliers d'hommes, de femmes et d'enfants qui l'ont foulée de leurs pieds. Seuls de tristes vestiges de leur passage subsistent : des vêtements, des épaves, un cimetière, un monument en hommage aux trop nombreuses personnes qui ont péri dans les eaux dangereuses qui entourent la petite île de pêcheurs.
Le chaos de Lesbos
Le photographe se dirige ensuite vers l'île de Lesbos en Grèce. Ici, il n'est plus question de désert : 15 à 25 bateaux accostent chaque jour sur l'île, déversant chacun leurs quelque 60 passagers. Ceux-ci s'entassent parfois sur des bateaux bien trop petits et sans aucune sécurité, malgré le prix très onéreux imposé par les passeurs.
Lesbos, Greece, November 2015 ©Daniel Castro Garcia
Malgré le chaos provoqué par l'arrivée d'autant de personnes, l'émotion est palpable sur les photos de Daniel Castro Garcia : le soulagement, la joie, mais aussi la mélancolie et la fatigue du voyage se lisent sur les visages des migrants. Ici, photos en noir et blanc alternent avec la couleur, comme pour mieux souligner le contraste avec leurs vies passées, leur arrivée tumultueuse avec le soulagement de l'arrivée, qui n'est pas de tout repos pour autant.
A Catania, les autorités font preuve d'une organisation quasi-militaire
Une nouvelle île et une nouvelle situation. Au port de Catania en Sicile, les Italiens sont bien organisés, le chaos n'a pas sa place ici. Tout le monde fait la queue pour s'enregistrer, se faire soigner, ou récupérer des chaussures, car beaucoup sont arrivés pieds nus.
Port of Catania, Sicily, June 2015 ©Daniel Castro Garcia
Les visages sont paisibles tandis que les migrants patientent, entourés des autorités italiennes. Garcia fait planer le doute : ces policiers, masqués comme pour se protéger d'individus hautement contagieux, instaurent-ils vraiment une atmosphère paisible nécessaire après un tel voyage ? En tout cas, cet ordre ne convient pas à tout le monde. Certains réfugiés, ne faisant plus confiance aux autres et aux autorités, préfèrent rester entre eux et trouver leur propre route vers l'ouest.
ALI GADIAGA, Catania, Italy, June 2015 ©Daniel Castro Garcia
Catania, Sicily, June 2015 ©Daniel Castro Garcia
Ici, le photographe s'immisce dans l'intimité de ses compagnons, qui partagent avec lui le récit de leur traversée de l'Afrique. Leur lourd passé transparaît sur leurs traits fatigués. La méfiance se lit sur le portrait de l'un d'eux, tandis que les liens fraternels éclatent sur le cliché de groupe. Le courage et la force de leurs regards sont envoûtants, leurs histoires, tragiques.
Le no man's land autrichien
A la frontière entre la Slovénie et l'Autriche, les réfugiés sortent des trains par milliers.
Slentilj, Slovenia, November 2015 ©Daniel Castro Garcia
Les photos rappellent tristement une autre époque, avec ces visages d'enfants qui se pressent aux fenêtres, comme pour chercher de l'air. Ils sont ensuite acheminés du camp slovène vers une zone de transit devant la frontière autrichienne. Ils doivent attendre, parfois pendant plus de 10 heures, que les autorités autrichiennes les autorisent à passer. Un repas leur est offert au cours de leur attente : deux tranches de pain et une bouteille d'eau par personne.
Slentilj, Slovenia, November 2015 ©Daniel Castro Garcia
Ils attendent de pouvoir poursuivre leur chemin, espérant qu'il mènera vers une vie meilleure.
L'installation à Calais
Dans la jungle de Calais, les migrants sont des milliers.
Calais, France, November 2015 ©Daniel Castro Garcia
Au fur et à mesure du temps et des photos, les tentes de fortune et installations temporaires se transforment en véritables structures : écoles, restaurants, lieux de prière... La situation semble figée, la jungle se sédentarise. Garcia remarque également un grand nombre d'enfants, livrés à eux-mêmes dans cette jungle du nord.
Idomeni, le village surpeuplé
Retour en Grèce pour la dernière étape de son voyage : à Idomeni, un petit village proche de la frontière macédonienne. Avec l'arrivée des migrants, la population locale a été multipliée par 100. Ce sont donc environ 11000 personnes qui se retrouvent bloquées dans ce village, la Macédoine ayant fermé ses frontières depuis mars dernier. La ville ne possède pas les infrastructures nécessaires pour accueillir autant de personnes pour une longue durée. Habitants et migrants se partagent 128 toilettes.
Idomeni, Greece, April 2016 ©Daniel Castro Garcia
Les photos reflètent la précarité dans laquelle vivent les réfugiés, bloqués dans leurs tentes. Ici, les migrants sont majoritairement des femmes et des enfants, contrairement aux autres camps. Selon un médecin de MSF, 40% auraient moins de 12ans.
A travers ses photos, Daniel Castro Garcia a voulu montrer l'humanité cachée derrière les chiffres relayés par les médias. Ses clichés nous montrent l'envers du décor, ce qu'il se passe réellement sur place. Il s'est mis dans la peau des migrants, pour nous permettre de voir la situation à travers leurs yeux. Foreigner : migration into Europe 2015-16 propose une imagerie différente de ce que propose habituellement la presse, qui préfère généralement les photos sensationnelles, alarmistes, mais qui ne donne pas aux gens concernés l'attention, le temps qu'ils méritent. Ici, les portraits permettent un face-à-face avec les migrants, offrant une approche plus personnelle, plus vivante. On les voit dans leur vie quotidienne, dans leurs moments de joie, de peur, de tristesse. Ils nous ressemblent, mais aurions-nous eu le courage, la force de suivre le même parcours qu'eux ? Comment peut-on décemment rejeter ces personnes qui viennent nous demander notre aide ? Ces pistes de réflexion sont les bienvenues dans un contexte de montée des extrêmes en Europe.
Certains disent qu'on parle trop de la crise des migrants. Cet ouvrage prouve que, au contraire, on n'en parle pas assez, mais aussi qu'on peut mieux en parler.
http://www.mackbooks.co.uk/books/1133-Foreigner-Migration-into-Europe-2015-2016.html"
Studios Radcliffe
MackBooks
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*Tom Saxby et Daniel Castro Garcia sont les fondateurs des Studios John Radcliffe, qui se spécialisent dans la photographie, les films et les projets de design graphique