Seydou Keïta, 1959 (Autoportrait) Tirage argentique moderne réalisé en 1994 sous la supervision de Seydou Keïta et signé par lui. Genève, Contemporary African Art Collection © Seydou Keïta
De nombreuses femmes africaines, vêtues de boubous fleuris, de camisoles à volants, à losanges, aux manches bouffantes, se pressaient toujours dans le studio en plein air du photographe malien. Elles y venaient avec leurs enfants, leurs amies, leur mari. Car les hommes - des fonctionnaires, des commerçants, des politiciens - aimaient aussi à se faire photographier. Le studio de Seydou Keïta, situé en face de la gare de Bamako, était pourtant tout l'inverse du luxe : un tapis ou une toile à carreaux venaient parfois cacher le sol poussiéreux et de simples rideaux plissés à motifs colorés apportaient du relief à l'arrière-plan. Il suffisait qu'un modèle vienne se placer dans le cadre baigné de lumière naturelle et la photo prenait vie. Voilà ce dont témoigne la belle exposition du Grand Palais en hommage à Seydou Keïta. 300 images exposées, dont 100 tirages argentiques réalisés entre 1993 et 2001 - signés par Keïta - et parmi eux, quelques pépites, encore visibles jusqu'au 11 juillet 2016.
Sans titre, 1953, Tirage argentique moderne réalisé en 1998 sous la
supervision de Seydou Keïta et signé par lui. 77 x 60 cm
Genève, Contemporary African Art Collection
© Seydou Keïta / SKPEAC / photo courtesy CAAC
– The Pigozzi Collection, Genève
Sans titre, 1952-56, Tirage argentique moderne, 180 x 120 cm,
Genève, Contemporary African Art Collection
© Seydou Keïta / SKPEAC / photo courtesy CAAC
– The Pigozzi Collection, Genève
Des reportages vidéos témoignent de la façon dont se déroulait une séance photo chez Keïta : tout le monde parlait, s'amusait. C'était même à qui se ferait photographier le premier. Beaucoup de personnes venaient de Bamako et de toute l'Afrique de l'Ouest pour avoir une photo souvenir à envoyer à leur famille.
Vue de l’exposition Seydou Keïta (2), Scénographie Gare du Nord architecture © Rmn-Grand Palais / Photo Didier Plowy, Paris, 2016
Vue de l’exposition Seydou Keïta (4) Scénographie Gare du Nord architecture © Rmn-Grand Palais / Photo Didier Plowy, Paris, 2016
A peine entré dans la première salle de l'exposition du Grand Palais, on est happé par ces immenses portraits en noir et blanc. Les salles sont vastes, la scénographie aérée. Quelques citations de Keita accompagnent certaines photos. Sur ces clichés, on ne voit aucun sourire figé et même si l'on connait le travail que Keïta effectuait pour chaque pose - il replaçait un pli de tissu de manière à découvrir un pied, plaçait soigneusement les mains de ses modèles, effleurait leur visage en le tournant un peu pour une pose de trois-quart - les personnes qu'il photographie ne sont jamais dans le paraître. Elles sont, c'est tout. Elles ne tentent pas de séduire son objectif. On ressent la spontanéité de chaque pose, et ce, malgré la timidité visible de certains modèles. Il y a, dans chacun des gestes qu'échangent ses modèles, beaucoup de délicatesse, comme s'ils continuaient à prendre soin les uns des autres et à s'aimer sur le cliché. Il y a de la pudeur aussi : ils se touchent, se tiennent par la main, par le bras, mais ne s'embrassent pas.
Sans titre, 1956-1957, Tirage argentique moderne réalisé en 1998 sous la supervision
de Seydou Keïta et signé par lui. 120 x 180 cm, Genève, Contemporary African Art Collection
© Seydou Keïta / SKPEAC / photo courtesy
CAAC – The Pigozzi Collection, Genève
Juste un regard
Assises sur une simple chaise ou allongées à même le sol - Seydou Keïta appelait cette pose « l'odalisque » - quelques femmes sourient, la plupart sont sérieuses, et certaines ont dans les yeux une lueur, une flamme. C'est le cas de cette élégante jeune femme qui porte une robe à pois. Une main gracieusement posée devant elle, une autre posée contre sa joue, elle ne nous regarde pas vraiment, rêveuse. La lumière qui baigne l'arrière-plan contraste avec ses cheveux noirs et sa coiffure, très structurée. Un homme, habillé en officier - l'était-il vraiment ou Seydou Keïta avait-il mis ce costume à sa disposition ? - a quant à lui le regard le plus troublant qui puisse exister. Il semble embué par des milliers de souvenirs... A lui seul, son regard est un drame, un naufrage, et les multiples motifs du fond choisi par Keïta, la lumière irréelle qui l'entoure et la puissance d'attraction de ses yeux donnent à cette photographie une dimension presque hypnotique. « Dans mes photos, les gens ont l'air si vivants, on dirait presque qu'ils sont là, devant moi », disait Seydou Keïta.
Un photographe conscient de son pouvoir
Seydou Keïta ne faisait qu'une prise de vue pour chaque portrait, à la chambre 13x18. Un pari risqué à l'époque de l'argentique ! A propos de ses modèles, il révèlait à André Magnin, marchand d’art africain contemporain : http://www.seydoukeitaphotographer.com/fr/#3"http://www.seydoukeitaphotographer.com/fr/#3"En Afrique occidentale, il est devenu l'inventeur d'un type de prise de vue : il aimait les poses de trois-quarts, le buste un peu de biais. Le modèle surgit de manière différente sous nos yeux, comme s'il tanguait légèrement. On penche alors un peu la tête pour regarder le modèle !
Sans titre, 1952-55, Tirage argentique moderne réalisé en 1998 sous la
supervision de Seydou Keïta et signé par lui. 120 x 180 cm
Genève, Contemporary African Art Collection
© Seydou Keïta / SKPEAC / photo courtesy CAAC –
The Pigozzi Collection, Genève
Sans titre, 1949-51, Tirage argentique moderne réalisé en 1995 sous la supervision de Seydou Keïta et signé par lui. 50 x 60 cm Genève, Contemporary African Art Collection
© Seydou Keïta / SKPEAC / photo courtesy
CAAC – The Pigozzi Collection, Genève