Karl Lagerfeld Autoportrait 2013 - impression jet d’encre noir et blanc sur papier Fabriano - 50X70 cm © 2015 Karl Lagerfeld
Chroniques du 16/10/2015 au 20/3/2016 Terminé
Pinacothèque de Paris 28, Place de la Madeleine 75008 Paris
Allez, il faut bien l'avouer, on avait un léger a priori en y allant. N'étant ni inconditionnel de la photographie de mode ni particulièrement fan de Lagerfeld. Alors tout un voyage photographique avec lui, très peu pour nous. Et finalement, l'exposition « A Visual Journey » a eu ses bons moments. Comme toute expédition, elle en a aussi eu de moins bons, entre l'ennui profond et les somnolences du voyageur déçu.Pinacothèque de Paris 28, Place de la Madeleine 75008 Paris
Rendre à Lagerfeld ce qui est à Lagerfeld. Mettons une chose au clair au sujet de l'icône de la mode : il maîtrise parfaitement la photographie. Ou du moins il en donne l'impression. La variété des techniques utilisées pourrait même passer parfois pour l'étalage fiérot du bon élève qui sait tout faire : daguerréotypes, platinotypes, transferts d’images polaroïds, résinotypes, tirages Fresson, sérigraphies et impressions numériques. « Ce qui m'amuse, c'est ce que je n'ai jamais fait », aurait-il proclamé un jour. C'est sans nul doute ce qui l'a mené au jeu photographique en 1987 (nous ne verrons qu'en majorité – et à regret - ses œuvres relativement récentes).
Karl Lagerfeld - Villa Malaparte - 1998 - Sérigraphie © 2015 Karl Lagerfeld
Karl Lagerfeld - Designed by Man and Nature - 2010 Sérigraphie © 2015 Karl Lagerfeld
Et l'amusement est bel et bien là. On le devine, à travers ses sérigraphies notamment, de Carla Bruni à Diane Krüger en passant par la Tour Eiffel. Entre peinture et photographie, l'exercice lui plaît, on le sent. On partage même volontiers ce plaisir jubilatoire qu'il peut y avoir à essayer de nouvelles choses. Mais c'est vraiment dans l'architecture et le paysage qu'il se distingue, selon nous, et pousse la badinerie à un niveau supérieur. Béton de bord de Rhin, paysages sépia, comme rêvés, à Capri. Et ces façades new-yorkaises où se tisse la toile métallique d'échelles et d'escaliers de secours.
On le suivra aussi volontiers dans quelques exercices de comédie photographiée. Il y a l'ovni Akstrakt (2000), série de 12 clichés en noir et blanc montrant un homme nu jouant avec des cercles dans l'ombre et la lumière. L'impression à la gélatine argentique enveloppant le tout et convoquant le temps d'un instant Cocteau et Mapplethorpe. Épatant. Il y a aussi son vieux comédien, Der alte Komödiant, n'étant pas sans rappeler Lagerfeld lui-même. Vieillard transgenre, cheveux blanc, fardé comme un vampire d'une autre époque, boucle d'oreille en croix et canne. Vieillesse ennemie et jeunesse éternelle sont au cœur du voyage. Son travail autour de Dorian Gray, s'il n'était pas aussi marqué par l'empreinte de la mode et son esthétisme ultra-lissé, pourrait presque fasciner. Mais la lubricité et la décadence ont ici le goût de la soie propre et de l'eau de parfum hors de prix. Quel dommage !
Karl Lagerfeld - Le Voyage d’Ulysse - 2013 - Impression acrylique sur toile © 2015 Karl Lagerfeld
Karl Lagerfeld - Daphnis et Chloé - 2013 - Impression acrylique sur toile © 2015 Karl Lagerfeld
C'est là qu'il nous perd. A l'image de ce visage triste qui regarde par la vitre passager d'une Rolls Royce (A different View, 2012), , nous restons souvent le témoin passif d'images qui ne nous touchent pas. Trop propres trop lisses. Les photographies de The beauty of violence (2010) par exemple montrent Baptiste Giabiconi, jeune modèle à la plastique irréprochable et au charisme de bulot d'élevage, tentant d'incarner cette beauté violente, cette possession de tout son corps musclé, de ses magnifiques abdominaux, de sa toison pubienne joliment fournie... et rien ne se passe. Lagerfeld a beau avoir recours au mots des autres et pas des moindres, ici George Santayana, rien n'y fait : « La beauté peut aussi exister dans la violence. Ressentir la beauté est mieux que de comprendre comment nous en arrivons à la ressentir ». Certes. Mais la seule violence ici est celle qui est faite à l'image, devenue publicitaire, là où elle voudrait être artistique. Il en est hélas de même pour Le voyage d'Ulysse ou Les amours pastorales de Daphnis et Chloé de Longus : ces dernières nous émoustillent d'abord avec la présentation des planches du texte et nous déçoivent ensuite à travers l'illustration photographique qui en est faite.
Karl Lagerfeld - Baptiste Giabiconi, Vogue, Allemagne - 2009 - Impression acrylique sur aluminium © 2015 Karl Lagerfeld
Les murs de la Pinacothèque, à deux pas du Fauchon de la Madeleine, le papier Arches, les grands et gigantesques formats, la scénographie léchée, etc. : l'écrin offert aux amusements d'esthète de Karl Lagerfeld en ferait baver plus d'un. Mais lui a la chance de l'homme riche à qui l'on ne refuse (presque) plus rien. Les amoureux de la mode en auront vraiment pour leur argent. Les autres pourront sans doute le garder pour un verre en terrasse. A voir (ou pas) à la Pinacothèque jusqu'au 20 mars 2016.