Christophe GIN, Camopi, mars 2015 © Christophe GIN pour la Fondation Carmignac
Entre 1994 et 2001, Christophe Gin s'enferme dans un huit-clos pour la série Nathalie, conduite de pauvreté. Durant 7 ans, il suit la vie de cette jeune femme sans revenus qui lutte au quotidien pour sa survie et celle de ces enfants. Comparable aux clichés du Julie's project de Darcy Padilla, la série de Christophe Gin est intimiste sans être intrusive, toujours en noir et blanc et au plus près des protagonistes. Repéré par Christian Caujolle, l'éditeur de l'agence VU', il intègre la famille en tant que photographe jusqu'en 2003. Il refuse de s'enfermer dans un genre, après Nathalie, il concède « avoir eu besoin d'air, d'espace ».
De Nathalie aux territoires d'Outre-mer
C'est alors qu'il tombe par hasard sur un papier de Maurice Lemoine dans le Monde Diplomatique qui décrivait la Guyane « comme un endroit sans loi, un genre de farwest des temps modernes », nous explique-t-il. En 2000, il décide donc de partir une semaine pour ce territoire français d'outre-mer, avec comme seule commande celle d'un magazine de l'époque, Jonas. « Je n'avais rien compris, avoue le photographe. Une semaine, ce n'est pas assez. »
De retour en France, il s'intéresse à ce qu'il a vu sur place, et débute un projet sud-américain en y retournant régulièrement pendant dix ans. En 2014, Christophe dévoile au grand jour sa deuxième série nommée Le pont des Illusions, qui retrace 12 années de voyages en Amérique du Sud. En effet, de 2002 à 2014, le photographe s'est interrogé sur les modes de vie et les fonctionnements des sociétés brésiliennes, colombiennes, boliviennes et surinamaises. Cette immersion lui a également permis de réaliser sa troisième série, Colonie, qui lui a fait remporter le prix Carmignac 2015. « Je ne vois pas la Guyane comme une zone de non-droit, mais plutôt comme un ensemble de zones d'exception dans lesquelles le droit français et républicain a souvent du mal à être appliqué car il coexiste avec d'autres droits (coutumier, d'usage, etc.) », rapporte-t-il à propos de l'intitulé du sujet.
Christophe GIN, Saint-Elie, avril 2015 © Christophe GIN pour la Fondation Carmignac
Il a fait le choix de ne pas couvrir une zone d'actualité « chaude » comme le font habituellement les médias, et confie : « C'est vrai que je suis un photojournaliste, mais pas forcément d'actualité. On parle peu des régions d'Outre-mer, même si quelques photographes locaux commencent à couvrir la région. Je ne sais pas si ce que je fais en Guyane est utile, je n'ai pas abordé le sujet comme cela. Et honnêtement, c'est assez confortable pour moi de ne pas croiser trop de photographes là-bas. »
Seul territoire européen en Amazonie
Pour un Français métropolitain, il n'est pas aisé de s'imaginer le quotidien en Guyane, car bon nombre d'entre nous ne connaissent que le littoral développé et industrialisé. Mis à part les grandes villes développées de Kourou (et son Centre Spatial Guyanais) et Cayenne, à quoi ressemble la vie d'un Français d'outre-mer ? « La morphologie du territoire est inégale », aime à préciser le photographe. La Guyane est certes un département français depuis 1946, mais l'intérieur du département (territoire de l'Inini) n'a été rattaché à la France qu'en 1969. « Une partie de la Guyane, celle qui est essentiellement composée d'expatriés, est calquée sur le fonctionnement métropolitain. Mais je ne suis pas allé photographier cette Guyane. J'ai voulu me pencher sur les territoires de l'intérieur, tardivement assimilés à la France. Avant, cette partie était considérée comme un territoire autonome. Maintenant, c'est une zone isolée, certes rattachée à un pays, mais, composée de forêt et d'habitants livrés à eux-mêmes, qui vivent à l'extrême opposé des Français métropolitains », précise Christophe.
Mais il ne veut pas faire de politique, ni créer d'amalgames. « Je ne suis pas en train de dénoncer. Je suis juste allé constater la structure du territoire. Ce sont des zones isolées, il est donc compliqué de vouloir appliquer des lois républicaines conçues pour une métropole ». Pour mieux illustrer son propos, le photographe nous dit en plaisantant : « Le jour où on rasera la forêt pour en faire des routes et que l'on chantera la Marseillaise dans les écoles, ce sera fini ! »
Christophe GIN, Trois-Sauts, janvier 2015 © Christophe GIN pour la Fondation Carmignac
Pirogues, forêt et orpaillage : la Guyane vue de l'intérieur
Les frontières sud-américaines entre la Guyane, le Suriname et le Brésil sont des espace flottants difficilement définissables. Le photographe nous souffle une maxime qui illustre bien ce propos : « La liberté s'arrête là où la frontière commence. La Guyane est un espace de liberté comme il en existe encore peu dans le monde », explique l'artiste.
Les flux migratoires se justifient par « les besoins économiques d'un côté ou de l'autre du fleuve Oyapock », qui sépare la Guyane du Brésil. La région regorge d'or et a été cartographiée par le Bureau des Mines français. Depuis quelques années, le commerce aurifère s'est vu privatisé, ce qui a encore amoindri la situation sociale de tous ces garimperos, qui orpaillent désormais illégalement. Mais, comme le dit le photographe, « l'or n'est ni guyanais, ni français, ni surinamais – donc les populations se déplacent pour l'exploiter (…) et pouvoir manger ». Au début de son travail en Guyane, Christophe a rencontré ces chercheurs d'or, : « C'est souvent eux qui m'ont appris la forêt. Bien plus que les Européens qui viennent manger bio ! J'ai découvert des gens à l'opposé de ce que l'on en dit : respectueux, confrontés à un milieu pénible, qui ont juste à faire face à des réalités difficiles et qui doivent vivre dans ces conditions ».
Christophe GIN, Saint Georges de l’Oyapock, avril 2015 © Christophe GIN pour la Fondation Carmignac
Narration monochrome
Les clichés de Christophe offrent à tous une fenêtre ouverte sur la vie de nos homologues d'outre-mer et permettent une compréhension différente et objective de leur situation. Ses images en noir et blanc, ont un point commun : leur contraste est si fort qu'elles font parfois penser à des dessins au fusain, et nous font presque oublier le côté documentaire au profit de l'aspect artistique. Mais ce choix n'en est pas un, il est essentiellement lié à des questions d'éclairage : « J'y étais pendant les 6 mois de la saison des pluies, avec des lumières très ternes, beaucoup de brume et d'eau. En plus, je photographiais des univers et des populations différentes. Le noir et blanc m'a permis une certaine uniformité. Mais il est vrai que si vous m'aviez posé la question il y a 15 ans, je vous aurais certainement répondu de regarder par la fenêtre pour voir de la couleur ! »
Christophe GIN, Camopi, février 2015 © Christophe GIN pour la Fondation Carmignac