© Claire-Lise Rimaz
Quelques heures plus tôt, nous étions invités à visiter l'atelier du photographe en compagnie de son tireur, Erwan Sourget...
15 rue de Seine dans le VIème arrondissement de Paris. On pousse la porte d'une galerie qui ressemble à toutes les autres, sauf qu'ici, nous sommes chez Yann Arthus-Bertrand.
Atelier de Yann Arthus-Bertrand
Sous-sol de l'atelier de Yann Arthus-Bertrand
Accessible et disponible, Erwan se montre pédagogue avec qui ne s'y connait pas. Oui, car contrairement à ce que l'on peut penser, le maître des lieux, le vrai, c'est lui. Il travaille en binôme avec l'assistante du photographe en se répartissant les tâches. Elle s'occupe du choix des photos, il s'occupe de la partie technique : retouches, dimensions, papiers, tirages. Mais le travail du tireur est également d'amener la photo à une réalité améliorée, car la photographie en contre-plongée peut être interprétée de manières très différentes. Erwan nous confie qu'en fonction du sujet, Yann aime rendre la photo plus au moins conceptuelle. Il peut rendre un cliché vu du ciel très abstrait et proche de la peinture (voir ci-dessous), ou très réaliste en ajoutant un personnage qui permet d'avoir une échelle. Les tirages, généralement réalisés sur papier baryté ou polyester, peuvent être conçus pour l'intérieur comme pour l'extérieur, et peuvent mesurer jusqu'à 1m50.
Yann Arthus-Bertrand, Rejet d'une explosion de marbre près de Kishangarh, Rajasthan, Inde
Ouvert en juillet 2013, l'atelier avait pour fonction première d'exposer les photos d'Arthus-Bertrand, avant que l'artiste décide de faire connaître de jeunes talents, dont le travail diffère souvent du sien. Le choix du quartier était stratégique : l'Ecole Supérieure des Beaux-Arts se trouve à deux pâtés de maison. En effet, devenu académicien de l'institution en 2006, il a l'habitude d'y donner des conférences.
De retour chez Yellow Korner. Entre un jus de pomme – bio – et une dédicace de tirage, on se fait une place au milieu des attachées de presse et critiques d'art en effervescence pour poser quelques questions à ce visionnaire de la photographie documentaire. Tel un chef d'orchestre ne laissant rien au hasard, surtout pas la communication, Yann Arthus-Bertrand dirige les interviews d'une main de fer dans un gant de velours. Rencontre avec un entrepreneur de la photographie...
© Yann Arthus-Bertrand
La visite de votre atelier et les explications de votre tireur nous rappellent la place particulière que vous avez dans la photographie documentaire. Après tant d'années de travail, avez-vous toujours cette même passion ? Ne vous êtes-vous jamais lassé ?
Pas du tout ! Je suis toujours aussi enthousiaste à l'idée de voler, de filmer et de faire des photos. J'ai gardé la même passion de la découverte. Je pense que si l'on perd son envie, c'est le signe que l'on doit arrêter. J'ai la chance inouïe de faire un métier de rêve qui me permet d'aller où je veux et de rencontrer des gens extraordinaires. Et puis la photographie, c'est facile à faire, une fois lancé, on n'a plus envie de s'arrêter. C'est pour cela que les photographes vivent vieux ! (rires)
L'exposition Celebrates Life chez Yellow Korner va permettre au plus grand nombre de commander vos photos et de pouvoir les avoir dans leur salon. L'accessibilité de votre travail est-elle importante pour vous ?
Oui, malgré le fait que je sois un photographe connu, je n'aime pas vendre mes photos cher. Je n'apprécie pas non plus de numéroter mes images, même si je l'ai fait une fois et que cela a plutôt bien marché. Mais cela ne fait pas partie de ma philosophie de vie, mes images portent un message et doivent donc être accessibles. J'essaye de vendre mes livres à des prix raisonnables, de mettre mes films gratuitement sur internet. Ce n'est pas de la mégalomanie, plus on donne, plus on reçoit. Je reçois, donc je donne. J'adore voir mes images se balader en étant illimitées.
Vous jonglez avec l'image, tantôt derrière une caméra, tantôt derrière un appareil photo. Quel outil vous permet d'exprimer le plus vos sentiments ?
Même si je suis un fou de photo, c'est un travail de solitaire. La vidéo, en revanche, est une pratique familiale. Associer la technique, le montage, la musique, la post-production permet de rapprocher les gens et donne un rendu plus complet.
Hier, j'étais à Bruxelles pour la projection d'Humans, et on a pu montrer le film a 1200 personnes – c'est très différent de la photo. Je ne ferai pas de choix entre les deux, aujourd'hui je pratique la vidéo avant la photo, mais je ne peux me passer ni de l'un ni de l'autre.
Récemment, des cinéastes tels que Tarantino et Scorsese s’engageaient auprès de Kodak à leur acheter une certaine quantité de pellicules par an pour les aider à résister à la crise du numérique. Pensez-vous que l'ère numérique va définitivement tuer la pellicule ?
Oui je le pense. Aujourd'hui tout le monde fait des photos avec son iPhone. Même les petits appareils photo numériques compact se vendent moins. Cela permet une nouvelle approche, les gens font beaucoup plus de photo. Numérique ou argentique, c'est comme peindre à l'acrylique ou à l'aquarelle, il n'y a pas de grosse différence. D'ailleurs, je ne suis pas un amoureux du grain, du papier argentique. Je dois reconnaître qu'un tirage numérique, je trouve cela magnifique.
Je ne suis pas non plus nostalgique du temps où l'on devait se trainer toutes nos pellicules. Quand je travaillais au Kenya, je ne voyais mes photos que 6 mois après, alors qu'aujourd'hui on peut les voir tout de suite. Par contre, j'adore les grands polaroids, je suis nostalgique de ces exemplaires uniques.
Votre film Humans est disponible en trois parties sur Youtube, diffusé sur France 2, projeté publiquement, etc. Pourquoi cette volonté d'offrir ce film à tous ?
On a vraiment inventé quelque chose avec Humans. Comme on a beaucoup tourné, on est arrivé à faire quelque chose de différent pour le cinéma, pour la télévision et pour internet. Ce ne sont pas les mêmes versions mais cela nous permet de faire un lancement global. Etant donné que le financement venait d'une fondation – celle de Bettencourt-Schueller – cela nous a permis de le distribuer gratuitement puisque l'on n'a pas d'argent à faire.
C'est un film activiste, qui veut dire quelque chose et qui mérite d'être partagé. Je voulais savoir pourquoi on se fait la guerre comme des animaux, voire pire. Pourquoi l'homosexualité est-elle interdite dans 60 pays et condamnée à mort dans 20 ? Pourquoi les ¾ des pauvres sur cette planète sont-ils des paysans ? Pourquoi n'est-on pas capable de dire « je t'aime » à ses parents ou à ses enfants ? Même si je réalise que je ne résoudrai pas tout avec ce film, j'avais besoin de le faire. Ce film est une question, pas une réponse.
© Yann Arthus-Bertrand
Vous n'êtes pas sans savoir que le succès et la médiatisation amènent la critique. Vous avez été qualifié d'« hélicologiste » et avez suscité l'étonnement de par vos choix de financement (Fondation du Qatar, Fondation Bettencourt-Schueller). Que souhaitez-vous répondre à vos détracteurs ?
Aujourd'hui, assez étonnamment, je suis beaucoup moins attaqué sur l'écologie. Certainement parce que je suis quelqu'un qui prône la décroissance, et que cela fait plaisir aux écologistes. J'ai été très critiqué par Le Monde, Libération ou les Inrocks, et sincèrement je n'ai pas compris. J'ai même envoyé un mot à un critique pour savoir s'il avait vu le film. On peut attaquer sa maladresse, on peut m'attaquer moi, Bettencourt, etc., mais je suis très étonné que l'on puisse attaquer le fond du film quand on essaye de montrer la pauvreté de ce monde.
Hier j'ai eu une standing ovation de 1200 personnes, avec des gens en pleurs, et je me suis dit qu'ils avaient eu une émotion. Alors pourquoi ce besoin de critiquer ? Il en est de même pour ma collaboration avec Yellow Korner, je vais certainement me faire attaquer. Jean-Luc Monterosso (directeur de la Maison Européenne de la Photographie) m'a demandé pourquoi je faisais cela. Et bien, cela correspond à ce que je fais, à mon image populaire. Je vois mes photos de façon simple, et le fait qu'elles soient de la décoration ne me dérange pas. C'est ma philosophie de vie, comme quand j'ai décidé de vendre La Terre vue du Ciel à prix raisonnable, et j'ai eu de la chance car cela a bien marché. (rires)
© Yann Arthus-Bertrand