EMPIRE © Samuel Gratacap 2012-2014 / PRIX LE BAL DE LA JEUNE CREATION avec l'ADAGP
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A 5 km du poste de frontière avec la Libye, le camp tunisien de Choucha est devenu en 2011 un lieu de transit pour plusieurs centaines de milliers de réfugiés d’origine subsaharienne qui ont dû fuir la guerre en Libye.
« Choucha, c'est comme la jungle parce que personne n'est né pour y vivre » ( S.D.).
Il n'y a pas que des photographies dans l'exposition de Samuel Gratacap. Le jeune homme a en effet souhaité proposer un travail documentaire plus complet, avec des témoignages, des vidéos, une carte du camp dessinée par ses soins ou des modes d'emploi de montage de tente. Tout ce que permet un travail au long cours finalement. Car Empire est né d'une première expérience photojournalistique au cours de laquelle il a réalisé les limites de ce trop bref exercice : « Ma première expérience du camp s'est avérée être un peu faible en terme d'images au vu de ce qui se présentait à moi et de ce que je découvrais. (…) Ce n'est pas de l' « anti-photojournalisme », parce qu'il y a des sujets qui ont besoin d'être traités dans l'urgence, mais il y a des lieux qui, une fois la tragédie passée, sortent des feux de l'actualité au profit d'une autre plus brûlante. Je sais que les rédactions doivent faire des choix et que c'est plus difficile d'en parler. »
EMPIRE © Samuel Gratacap 2012-2014 / PRIX LE BAL DE LA JEUNE CREATION avec l'ADAGP
L'envie de revenir sur le camp de Choucha a été plus forte que tout. Samuel Gratacap voulait comprendre ce lieu très atypique, ce camp de réfugiés au beau milieu d'une zone désertique et hostile, perdue le long d'une route entre la Tunisie et la Lybie.
En juin 2012, il écrit un projet et reçoit une bourse. Le mois d'après, il s'envole vers la Tunisie pour un an, dans la ville frontière de Ben Guerdane. Afin de rester plus longtemps sur place, il donnera des cours de photo pour le Danish Refugiee Council. Sa vie s'organise entre la ville et le camp, où il sera accueilli par la communauté ivoirienne dans le secteur E, celui des déboutés du droit d'asile : « Un secteur bien spécifique que l'on voit sur la carte... »
Le travail cartographique est en ce sens saisissant puisqu'il montre, entre autres, la répartition (par secteur) des réfugiés en fonction de leurs nationalités et donc des aides qu'ils recevront. Un migrant de Côte d'Ivoire dont le droit d'asile a été rejeté aura moins de droits sur le camp qu'un migrant du Darfour. La fameuse et fallacieuse question des migrations économiques ou politiques : « Certaines personnes d'Afrique de l'Ouest, mais aussi du Tchad et du sud Soudan, déboutées du droit d'asile, se sont vues couper la nourriture en octobre 2012, puis progressivement l'accès aux soins, à l'eau, à l'électricité... Sur un même camp, des gens avaient droit à l'aide alimentaire et d'autres pas. »
EMPIRE © Samuel Gratacap 2012-2014 / PRIX LE BAL DE LA JEUNE CREATION avec l'ADAGP
La carte de Gratacap nous montre aussi un territoire qui n'existe pas et qui est voué à disparaître. Elle rappelle la vie quotidienne d'une communauté avec ses commerces, son coiffeur, ses églises, ses mosquées, ses terrains de foot, ses réservoirs d'eau potable... Les clichés du photographe saisissent ces moments de détente où les personnes tuent le temps en jouant aux dominos ou en allant se faire couper les cheveux. Pour ce projet, il n'a travaillé qu'en argentique et qu'aux polaroids. Il rentrait en France tous les deux mois pour développer la majorité de ses photos, et en a donné beaucoup sur le camp.
« J'ai aussi passé énormément de temps à photographier les tempêtes pour montrer l'hostilité de ce lieu. (…) Les tentes souffraient de ce vent qui souffle en permanence sur Choucha et qui détruit tout », précise-t-il. Ces tentes sont au cœur de l'exposition, avec leurs modes d'emploi impersonnels et leur réalité toute personnelle justement. Pour preuve, cette série de photos qui montrent à quel point les réfugiés personnalisent ces habitats éphémères en ajoutant par-ci, en consolidant par-là.
EMPIRE © Samuel Gratacap 2012-2014 / PRIX LE BAL DE LA JEUNE CREATION avec l'ADAGP
La question des réfugiés a toujours été au coeur des préoccupations de Samuel Gratacap. Dès 2007, alors qu'il est encore étudiant aux Beaux-arts, il s'intéresse à la vie du centre de rétention administratif du Canet, à Marseille : « On parlait très peu des conditions de rétention, on avait peu d'images, sinon ce que j'appelle des « images-barbelés », et on ne voyait pas les personnes qui se cachaient derrière ces chiffres. » Il en sortira un ouvrage, http://www.lebalbooks.com/products/parloir-familie-samuel-gratacap".
Quand on le questionne sur les politiques actuelles menées par la France, et plus largement par l'Europe, vis-à-vis des réfugiés, Gratacap reste lucide : « Mon travail est politique mais ce n'est pas à moi de prendre des décisions. » Mais il dénonce le budget exorbitant imparti à l'agence européenne Frontext*, en charge aux frontières extérieures de l'Union européenne, pour renforcer une surveillance inefficace. Quant à l'externalisation des frontières, le photographe pointe du doigt les conséquences directes sur le non respect des droits de l'homme dans des pays qui ne sont pas habitués à gérer des flux migratoires et qui enferment ces migrants avec leurs prisonniers de droit commun.
* agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne
EMPIRE © Samuel Gratacap 2012-2014 / PRIX LE BAL DE LA JEUNE CREATION avec l'ADAGP
En ce moment, Samuel Gratacap travaille en Libye (dans une prison pour migrants et dans les zones d'attente pour les travailleurs journaliers) et repasse régulièrement devant le camp de Choucha : « Je vois toujours des hommes sur place, quatre ans après l'ouverture du camp, ils vivent encore là sans aide humanitaire, livrés à eux-mêmes. »
L’exposition est accompagnée du livre Samuel Gratacap - Empire co-édité par LE BAL et Filigranes Éditions, conçu par Pierre Hourquet et l’artiste en collaboration avec Guillaume Gratacap.
http://www.lebalbooks.com/products/parloir-familie-samuel-gratacap"