Dans cette famille de 5, 4 sont atteints de troubles mentaux. Mei Lin, 83 ans, est seule à subvenir aux besoins de toute la famille © Yuyang Liu
Le 29 juillet 2015, la Fondation Ian Parry a annoncé les vainqueurs de la bourse qu’elle décerne chaque année aux jeunes photographes de moins de 24 ans. C’est Yuyang Liu, photographe chinois de 23 ans, qui a reçu la distinction pour sa série “At Home with Mental iIlness” (mot à mot “Chez soi avec la maladie mentale”). Un travail qui met en pleine lumière les handicapés mentaux et leur famille, ces oubliés de la société chinoise. Ils pourraient, selon une http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login", être plus de 170 millions atteints de troubles mentaux -dont 16 millions de troubles sévères- dans un pays qui compte 1,3 milliard d’habitants. Le gouvernement, dépassé, a donc choisi de s’en remettre à leur famille, souvent incapable de payer des médicaments, d’amener les malades dans les quelques centres adaptés qui existent ou même de veiller sur eux. “Ce sont des personnes invisibles”, nous explique Yuyang Liu. Face au silence, il a décidé d’agir : “Quand j’ai reçu la newsletter d’un centre de prévention des maladies chroniques qui mentionnait ses efforts pour aider ceux qui luttent contre les maladies mentales et leur famille, j’ai pensé “il y a des histoires et des patients invisibles aux yeux de la société.”” Une histoire qu’il raconte à travers des clichés empreints de bienveillance.
Zhendong Liang, 15 ans, a l'habitude de se tenir au bord de la route et de regarder les gens passer. Il vit dans un petit village d'une centaine de personnes à Zhaoqing (Chine).
At Home with Mental Illness
© Yuyang Liu
Une lutte incessante
Au cours de ces 30 dernières années, le fossé entre riches et pauvres n’a cessé de se creuser, en Chine. Aujourd’hui, http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login" bénéficie d’une assurance couvrant les soins psychiatriques. Quant aux aides du gouvernement, elles sont insuffisantes pour traiter l’ensemble des malades. “Le gouvernement ne veut pas débourser de l’argent pour traiter ces gens, donc il les rend à leur famille” http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login", auteur du rapport du Lancet et avocat. Les familles sont laissées sans recours face à des maladies qui, comme la schizophrénie, nécessitent un suivi régulier et un traitement au long cours, tout deux coûteux. Les soins prodigués sont ponctuels, devenant de ce fait inopérants. Et que faire de ces malades lorsque l’on travaille et qu’on ne peut les veiller ? Pour beaucoup de Chinois, la solution est de les empêcher de faire du mal aux autres et à eux-mêmes, en les entravant ou http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login". C’est ce procédé qu’a longtemps appliqué Xiao, un père de famille qu’a rencontré Yuyang Liu. L’un de ses enfants, une petite fille de 5 ans, et sa femme sont handicapées mentales. Chaque jour avant de partir, http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login", avec des cordes. Une tragédie qui, au-delà de dénoncer l’insensibilité des parents ou des familles, montre surtout leur désespoir face à un problème pour lequel ils n’ont pas de solution.
Shaoping Xiao, 13 ans, se maquille sur son lit encombré de détritus. Elle vit avec son père de 73 ans et sa mère psychotique. Maoming, Chine.
At Home with Mental Illness
© Yuyang Liu
Entre l’amour et le désespoir
Les personnes atteintes de troubles psychiatriques souffrent également de cruels préjugés. http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login", ils sont des criminels, il faut les enfermer. Une simplification née d’un manque d’éducation sur le sujet des troubles mentaux, mais qui fait aussi écho http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login" survenus dans des lieux publics (écoles, centres commerciaux…) impliquant des personnes atteintes de troubles psychotiques échappées d’hôpitaux ou d’asiles. A ces idées préconçues, Yuyang Liu oppose la normalité de ses photos. Des scènes de famille, qui pourraient être capturées dans n’importe quel foyer. Sur ses clichés, on ne voit que les liens unissant plusieurs générations ou des hommes à des femmes : “Je veux montrer la relation entre ces personnes et les membres de leur famille. Je pense que c’est cette relation vraie qui peut impressionner le spectateur. Je veux vraiment sortir des représentations habituelles des maladies mentales, parce que nous avons trop vu de gens souffrir, mais nous n’avons pas vu les liens qu’ils entretiennent avec les membres de leur famille. “
Sous le regard de son père, Jiagui Su regarde des feuilletons télé dans l'après-midi. Quand Jiagui a été diagnostiqué d'une schizophrénie en 2003, son père s'est engagé dans un long combat pour guérir la maladie. Zhaoqing, Chine.
At Home with Mental Illness
© Yuyang Liu
Zhendong Liang, 15 ans, souffle pour aider sa mère à faire du feu. Il vit dans une famille de 4 qui gagne 1.423 euros par an. Le gouvernement leur fournit des médicaments depuis 2012. Zhaoqing, Chine.
At Home with Mental Illness
© Yuyang Liu
Les mal lotis de la médecine chinoise
La réputation de fou meurtrier de leurs patients http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login"et autres professionnels du secteur. “A force de côtoyer des fous, vous finissez comme eux” semble être la logique appliquée. Pour ne rien arranger, la psychiatrie souffre de graves problèmes économiques, en Chine. Dans les années 1990, le gouvernement décidait que les hôpitaux devaient être financièrement indépendants. En banqueroute, de nombreuses structures, surtout celles de moindre taille, durent fermer. On assista à un effrayant déclin de leur nombre : http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login". A l’heure actuelle, les aides du gouvernement couvrent seulement les frais d’administration, laissant les salaires des professionnels à la charge des hôpitaux… Certains en sont réduits à diversifier leurs activités pour se maintenir à flot. Ainsi, un hôpital de la Province d’Hubei (Est de la Chine) http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login" ! Si pour les médecins généralistes, chirurgiens et autres spécialistes le problème du salaire est partiellement résolu grâce aux patients qui http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login", comprenez un cachet pour être mieux traité, ce n’est pas le cas des professionnels de la santé mentale... Pour avoir un salaire décent, il ne leur reste plus qu’à gonfler les prix des médicaments et essayer d’en vendre. Une démarche commerciale qui va à l’encontre des fondements de la médecine.
Tong Xiao, 9 ans, et sa soeur cadette Ling Xiao protègent leur boîte de nourriture du cochon. Leur mère Tongying Liu dîne dans un coin. Ils étaient 6 enfants avant, mais Tongying a découpé l'aîné, et 3 autres sont morts de faim. Maoming, Chine.
At Home with Mental Illness
© Yuyang Liu
Pandas, psychiatres, même combat
De longues études pour un salaire moindre et une mauvaise image... Peu valorisant pour les étudiants, qui ont déserté la spécialité. “Les psychiatres professionnels, en Chine, sont comme les pandas, il n’en reste plus que quelques milliers” http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login", directeur adjoint de l’Institut de Santé Mentale à la Central South University’s medical school. Avec http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login" la Chine est en dessous de la moyenne mondiale et bien loin de la France et de http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login". Malgré les efforts du gouvernement, des régions grandes comme le http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login" La question du traitement des personnes atteintes de troubles mentaux est décidément épineuse et complexe. Pas sans espoir, pourtant. Car les consciences s’éveillent et les initiatives se multiplient. Celle de Yuyang Liu a rapidement trouvé un auditoire : il a déjà récolté quelque 645 dollars (580 euros) pour la famille de Xiao et avec la bourse Ian Parry de 3.500 livres (4.900 euros), il espère poursuivre son action. “Aider les gens individuellement, c’est un premier objectif atteint. Mais je souhaite à terme faire changer le système de santé chinois et l’image qu’ont les gens sur les handicapés mentaux et leur famille.” Quand on lui demande s’il pense que la photographie peut changer le monde, il nous l’affirme : “Oui, j’en suis convaincu. Aujourd’hui, je provoque un petit changement. Peut-être qu’il y a plein de gens qui font de même et qu’ensemble nous permettrons une grande avancée.” Un petit pas pour le photographe, un grand pour le système chinois ?
Yongyi Ou et Yuryi Ou sont assises dans la cour tandis qu'un garçon fait ses devoirs sur une table. Les deux soeurs n'ont jamais mis les pieds à l'école. Zhaoqing, China.
At Home with Mental Illness
© Yuyang Liu
Une brève histoire de la psychiatrie made in China
Les personnes atteintes de troubles mentaux furent d’abord accueillies par les moines, avec les veuves et les orphelins. Les premières lieux uniquement dédiés à la psychiatrie voient le jour sous l’impulsion de missionnaires fin XIX- début XXème. Ils sont peu nombreux et principalement situés dans les grandes villes.
De 1912 aux années 1980, les hôpitaux se multiplient et des structures à l’échelle des quartiers, villes et provinces voient le jour. La Révolution Culturelle (1966 -1976) sera comme une parenthèse dans cette progression (sauf dans Shanghai et sa région), la maladie mentale étant alors considérée comme une “illusion bourgeoise” et “traitée” par la lecture des écrits de Mao.
L’entrée des hôpitaux sur le marché économique dans les années 1990 provoque une subite disparition de nombre de ces infrastructures, tout en menaçant le reste. Le gouvernement réagit et convoque pour une réunion au sommet des professionnels du domaine, l’OMS et les 3 ministères dont dépend le domaine de la santé mentale (Ministère de la Santé, des Affaires Civiles et de la Sécurité Publique). Un plan national de santé mentale est ratifié en 2002. Il prévoit d’augmenter les capacités d’accueil des centres et de faciliter l’implantation de ces derniers. Une première avancée augmentée en 2004 par un appendice, le“Programme 686”, qui veille aux droits des personnes atteintes de troubles mentaux, soutient la recherche et le développement de traitements.
En 2006, une grande campagne de “dépistage” des troubles psychotiques est menée. Les personnes les plus violentes (ou susceptibles de l’être) sont suivies mensuellement et bénéficient de soins gratuits, si elles ne peuvent les payer. Parallèlement, des actions locales de libération des malades enchaînés ou enfermés ont lieu et leur hospitalisation est financée par l’Etat. 15.000 personnes environ sont ainsi aidées.
Dernièrement, la loi de santé mentale, entrée en application en 2013, interdit de forcer quiconque à intégrer un hôpital psychiatrique, sauf si le sujet représente un danger pour les autres ou elle-même. Une avancée face à l’internement forcée de gens gênants (une femme peu obéissante, un membre de la famille encombrant, un ennemi…) et un pas en arrière quand on sait que cette loi ne permet pas aux personnes souffrant de maladies mentales d’être représentées devant un tribunal ni d’en être entendues directement...
Mei Lin fait à manger pour toute la famille. En général, ils mangent deux fois par jour. Zhaoqing, Chine.
At Home with Mental Illness
© Yuyang Liu
Bibliographie
http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login"
http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login"
http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login"
http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login"
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http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2809%2960660-7/fulltext?_eventId=login"