Anna et Bernhard Blume, Im Wahnzimmer (détail) - 1984 © Centre Pompidou, MNAM-CCI/G. Meguerditchian et Ph. Migeat / Dist. RMN-GP © ADAGP, 2015
C’est au sous-sol du Centre Pompidou que l’on change d’univers. La porte de la salle vitrée qui abrite la cinquantaine de photographies du couple Blume est comme une frontière. Une fois la porte franchie, tout ce qui était normal, réel, bref rassurant de par sa familiarité, devient incontrôlable, flou et extatique. Le monde d’Anna et Bernhard Blume n’a décidément rien de commun avec ce qu’on a l’habitude de voir dans la photographie… et c’est là leur intention.
Anna et Bernhard Blume, Im Wahnzimmer (détail) - 1984
© Centre Pompidou, MNAM-CCI/G. Meguerditchian et Ph. Migeat / Dist. RMN-GP
© ADAGP, 2015
Entre art et surnaturel
Anna et Bernhard sont philosophes de formation, passionnés d’art, peintres, photographes... Tous les deux sont nés en 1937, lui à Dortmund, elle à Bork. Le couple se forme sur les bancs de l'académie des Arts de Düsseldorf entre 1960 et 1965. Les deux étudiants ont pour professeur Joseph Beuys, sculpteur inspiré par le chamanisme et créateur du concept de “scultpure sociale”, la vision de l’art comme libérateur et partie intégrante de la société plutôt qu’expression en marge d'elle. Baignés dans cette culture artistico-mystique, ils découvrent la photographie spirite à l’Institut für Grenzgebiete der Psychologie und der Psychohygiene (mot à mot "Institut des régions frontalières de la psychologie et de la santé mentale") de Freiburg, dont la collection en la matière est importante -et partiellement présentée dans l’exposition. Plus tard, ils peignent, photographient et enseignent les arts (et la philosophie pour Bernhard). Dès 1970, ils montent à deux des installations, aménagent des décors et cousent même leurs costumes pour faire naître un univers dans lequel ils recréent des phénomènes ésotériques et mystiques. Un jeu qui les amènera dans les galeries du monde entier. Leur but : mettre du surnaturel dans l’existence.
Le paranormal s'invite soudain
Leurs mises en scène s’installent toujours dans un intérieur petit-bourgeois, caractéristique de la famille allemande moyenne des années 1960. Leurs protagonistes sont un couple d’un certain âge. Lui dégarni, elle un foulard noué autour de la tête ou les cheveux figés par une permanente. Un couple ordinaire qui se retrouve brusquement dans la tourmente. Sans qu'on sache pourquoi, son quotidien devient chaos. Dans la cuisine, alors que Madame s’apprête à éplucher les pommes de terre, celles-ci lévitent puis tournoient au-dessus de sa tête tandis que Monsieur, dans le salon, s’offre un baptême de l’air, accroché à un vase extatique. La vie de tous les jours se charge soudain d’une atmosphère inquiétante.
Anna et Bernhard Blume, Im Wahnzimmer (détail) - 1984
© Centre Pompidou, MNAM-CCI/G. Meguerditchian et Ph. Migeat / Dist. RMN-GP
© ADAGP, 2015
La forme...
Le plus souvent en noir et blanc, ces scènes font penser aux photographies mediumniques qu’affectionnent les Blume. Les clichés spirites présentent en effet des phénomènes inexplicables similaires : tables qui lévitent, ectoplasmes sortant de la bouche d’une personne ou apparaissant au hasard d’une séance de divination, lévitation d'aliments… Mais contrairement à ces prises de vue très sérieuses, le couple disperse rapidement tout aura de mystère autour de ses créations, livrant sans malice les ficelles de ses tours. Flous, traces au développement, mouvement rotatif de l’appareil, objets surexposés… pour eux, la performance est dans la forme.
...mais aussi le fond
La photographie a mis longtemps à trouver sa place dans l’art, restant longtemps cantonnée à une simple représentation du réel, un arrêt sur image. Les Blume, avec leurs saynètes loufoques bousculent ses codes, sa prétendue objectivité et fidélité au réel. Avec eux, tout est paranormal, illusion et fantaisie. Le documentaire n’a pas sa place ici, ni le banal. La photographie est un médium d’expérimentation qu’ils tordent et façonnent, à force d’inventivité. Par leur approche, le couple insuffle un vent de folie dans les salons de ces gens bien pensants, un peu trop engoncés dans le consummérisme et le rationalisme qui se développent chez les Allemands à l’époque. Une thérapie par la folie qui fait mouche !
Anna & Bernhard Blume – La photographie transcendantale
Exposition au Centre Pompidou
©Centre Pompidou, Hervé Véronèse, 2015
Jusqu’au 21 septembre vous pouvez donc admirer les délires photographiques d'Anna et Bernhard Blume. Originale et déroutante, l’exposition présente pour la première fois un polyptique acquis par le Centre Pompidou en 2012, "Im Wahnzimmer". En 18 photos grand format et sur 25 mètres de long, il résume bien le travail de ces étonnants performeurs, photographes et artistes à l’imagination débordante et à l’humour décalé. Une exposition à ne pas rater !